• Les 100 derniers jours (J -32)

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    Madame la Présidente de la République.

    Claude Bachelier

     

     

     

    Je viens de raccompagner mon prédécesseur jusqu’à la voiture qui le ramènera chez lui. J’ai attendu qu’il sorte de la cour d’honneur de l’Elysée avant de retourner dans le bureau qui sera le mien pendant cinq ans. Cinq longues années où je serai, entre autres, amenée à prendre des décisions qui engageront la France et les français.

     

    L’ultime entretien que j’ai eu avec lui – j’ai du mal à l’appeler par son nom ; même pendant la campagne électorale, je ne parlais, pour l’évoquer, que du président sortant ou du président candidat. Et il n’y avait là aucune stratégie de communication, aucun calcul électoral. Donc cet ultime entretien m’a révélé un homme blessé, abattu, même s’il n’en laissait rien paraître. D’ailleurs, comment en aurait-il pu en être autrement ? Il a été digne, presque chaleureux, à l’inverse de son attitude belliqueuse pendant la campagne. Quand il a prit congé, il a pris ma main dans les siennes et m’a dit : " je vous souhaite de tout mon cœur de réussir. Pour la France et les français."

     

    Tout à l’heure, dans le salon d’honneur, le président du Conseil Constitutionnel, après avoir lu les résultats définitifs de l’élection, me proclamera Présidente de la République Française. Puis le Grand Chancelier de l’Ordre de la Légion d’Honneur me reconnaitra comme Grand Maitre de l’Ordre de la Légion d’Honneur.

     

    Mais avant tout cela, j’ai demandé à rester seule quelques instants. J’ai besoin, non pas de réfléchir, cela je le fais en permanence depuis que je me suis lancée dans cette course à la présidence. Non, j’ai besoin d’être seule. De ne pas avoir tous les regards braqués sur ma personne, sur le moindre de mes faits et gestes. De ne pas avoir à sourire ou à faire semblant. J’ai besoin de goûter encore quelques courts instants au silence et à la solitude. Parce que je sais que, dès l’instant où je franchirai les portes du salon d’honneur où m’attendent les Corps Constitués, les invités, ma famille, je sais que je ne serai plus moi mais Madame la Présidente de la République. Je ne saurai pour autant m’en plaindre car j’ai tout fait  pour en arriver là.

    Sans vouloir m’étourdir de mots ou de formules toutes faites, je sais que, désormais, je suis la voix de la France. Je suis la France. A moi de revêtir l’habit présidentiel avec ce qu’il faut de grandeur et de force. Mais aussi, mais surtout avec ce qu’il faut d’humilité et de modestie.

    Et pour cela, j’ai placé sur mon bureau la photo de mes quatre grands-parents. Tous les quatre venus de leur Sénégal natal juste après la guerre, les uns pour travailler en usine chez Renault, les autres pour vider les poubelles de la capitale. Ils me rappelleront, si besoin est, d’où je viens et surtout de quel milieu je viens.

     

    J’ai envie d’appeler Mathilde. J’aimerais bien qu’elle pénètre dans le salon d’honneur en même temps que moi. Après tout, ce serait normal : voilà trente ans qu’elle partage ma vie. Trente ans qu’elle est à mes côtés, qu’elle participe de mes joies ou de mes chagrins, qu’elle vit auprès de moi  tous ces moments intenses du militantisme, ceux de ma vie d’élue. Trente ans que je l’aime autant qu’il est possible d’aimer. Mais elle refusera, comme elle a toujours refusé de se mettre en avant ; parce qu’elle a toujours voulu rester en retrait, derrière moi, discrète mais heureusement si présente.

     

    Dans quelques instants, l’huissier m’ouvrira les portes du salon d’honneur et annoncera d’une voix forte : Madame la Présidente de la République.

     


  • Commentaires

    1
    Samedi 7 Avril 2012 à 03:38

    "... avec ce qu'il faut d'humilité et de modestie" : ça nous changera agréablement du prédecesseur.

    J'espère aussi l'avènement d'une femme, mais c'est râpé pour cette fois-ci.

    2
    Lza
    Samedi 23 Août 2014 à 18:10

    Le jour où ça arrivera sera un grand jour pour tous les peuples, et cette présidente, si elle n'oublie pas ses origine, pourra amener, ou au moins faciliter la paix entre les peuples.

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