• Le poids du monde

    Extrait de la première nouvelle du nouveau recueil de Joël Hamm "Pastel noir".

    Le poids du monde

                                                                      À la mémoire de Stéphane Laurent.

    Le poids du monde

       La veille, il avait soufflé ses douze bougies, l’œil attiré par la télé qui vibrionnait dans un coin de la pièce. Le journal de vingt heures alignait ses cadavres quotidiens. Sa mère avait éteint la télé mais les images sanglantes restaient coincées au fond de son cerveau, à tourner comme du linge sale dans une machine qui ne lave rien. Il n’avait pas réussi à s’endormir. Terrorisé, il avait appelé sa mère. Quand il la dérange au milieu de la nuit, elle ronchonne un peu, mais elle vient toujours. Assise au bord de son lit, elle lui tient la main, le temps qu’il se calme.

      Il parle souvent de ses cauchemars avec Jos, le vieux qui fait la manche près du collège. Ses copains se fichent de lui. Ils lui demandent si par hasard ce n’est pas son père, ce zonard. Jos est un optimiste forcené ; il remercie la providence, surtout quand le garçon lui apporte des crêpes encore chaudes enveloppées de papier alu. Je suis un oiseau sur la branche, affirme-t-il, pourtant j’aurais de quoi me plaindre avec ma patte folle et mon asthme. Il encourage le garçon à faire du sport et à éteindre la télé. Ne la regarde pas, elle donne une sale idée du monde. Le monde, le vrai, tu le découvriras en explorant le cœur des hommes, c’est là qu’il se trouve. Et puis oublie tes soucis. Chaque ligne de notre vie n’est qu’une minuscule partie du grand récit que Dieu invente pour s’endormir. Alors, à quoi bon s’en faire…

       Le vieux bonhomme est sans doute un peu cinglé mais il est réconfortant. Pendant les grandes vacances, il émigre dans le sud et le garçon l’oublie.

       Ce matin-là, il mange les restes de son gâteau d’anniversaire au petit déjeuner et se recouche avec une BD. Quand sa mère revient de ses ménages et qu’elle le trouve au lit en plein après midi, alors qu’il fait si beau dehors, elle pique une colère.

       – Bouge un peu, dit-elle en lui tendant son ballon de foot, va jouer avec tes copains ! 

       – Quels copains ?

       Elle lui serine son discours préféré : Aide-toi, le ciel t'aidera et les vaches seront bien gardées, si les petits cochons ne te mangent pas ! Quelque chose comme ça.

        La plupart des mômes de la cité zonent dans les caves. Lui, ça le dégoûte l’odeur des poubelles. Sans compter que les grands font leur loi dans ce royaume pourri. Leur chef c’est William Leroy. Le plus taré de tous. À quatorze ans, il mesure un mètre quatre-vingt et se trimballe dans la cité très fier de son quintal de graisse blanchâtre, de cheveux rouges et d'idées tordues. Sa bande le surnomme the big mais le garçon l'appelle la bigle. Un terme bien plus approprié à la vue basse et au strabisme de Leroy.

    Vous pouvez écouter la suite de l'extrait sur la vidéo ci-dessous

     Le livre est à commander sur www.zonaires.com (224 pages, 18 € + port)


  • Commentaires

    1
    Dimanche 8 Mars 2020 à 12:27

    Merci Joël et Merci Patrick, pour Stéphane et pour cette belle pensée à sa mémoire. Je me souviens très bien quand il m'a appelé après la lecture du poids du monde... enthousiaste, touché, sensibilisé et les mots en cascades pour traduire l'émotion : "C'est pour lire cela que l'on fait notre concours" m'avait-il dit... avant que l'on échange nos sentiments partagés sur ce texte pendant une heure ressentant déjà qu'il aurait un poids certain dans notre palmarès.

    C'était un autre temps, mais parfois il y a des traits d'union qui font s'estomper les années... et lire cet article et ces lignes fait repenser à ces instants, à la découverte du bel univers de Joël qui nous a touché tous les deux, et tout le jury puisque cette nouvelle fut primée. Je crois que nous avons partagé un même souffle alors avec cette rencontre artistique : nous de poursuivre notre concours, Joël de redécouvrir que ces mots pouvaient emporter loin ses lecteurs... et il n'a cessé de le confirmer. Ce souffle, qui a manqué à Stéphane un jour, nous a longtemps donné une raison de lire et donc une raison d'être pour être à notre tour une raison d'écrire pour les autres... et aujourd'hui cette nouvelle vie donné à ce texte est un joli trait d'union pour effacer le temps un instant et ce souvenir en sourires.

    Toute les nouvelles de Joël lues depuis ont poursuivi le souffle en de belles respirations et par les temps qui courent, avec le Poids du monde actuel, ne pas manquer d'air est nécessaire, primordial... pour encore se laisser à la lecture de ses mots, porter sur l'air du temps... qui passe sans effacer pour autant certaines traces... et pour du poids du monde alléger le fardeau.

    Et aujourd’hui encore, aujourd'hui surtout, il faudrait éteindre la télé qui "tourne comme du linge sale dans une machine qui ne lave rien", voire qui salit.

    Merci pour lui, (et pour moi aussi quelque part), et il aurait été heureux (et je le suis aussi) de savoir que notre concours a pu en partie donner cette impulsion... et cette belle histoire... ces belles histoires... en "Pastel Noir"... et je vais de ce pas commander ton recueil Joël...

    Merci Joël de ne pas avoir oublié, Merci Patrick pour tout ce que tu fais encore et toujours, pour les auteurs, dont pas mal ont croisé Stéphane et ces mots.. et belle vie à ce recueil.

    Jordy

    2
    Danielle
    Dimanche 8 Mars 2020 à 15:18
    Reçu hier. Beau cadeau d'anniversaire.
    3
    Lundi 9 Mars 2020 à 09:53

    Un très grand merci pour ton retour Jordy.

    4
    Lundi 9 Mars 2020 à 18:01

    Voila un commentaire d'une grande sensibilité, Jordy.

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