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Le crustacé masqué
Le crustacé masqué
On avait beau lui dire que sa naissance était due à une série de contingences et de hasards plus ou moins heureux, rien n’y faisait. Il n’avait de cesse d’interroger le passé pour s’assurer qu’il n’était pas issu d’un banal chou aux origines indéterminées.
Fort heureusement, il était blanc, certes un blanc un peu délavé par la traversée des siècles et des terroirs, mais il lui restait juste ce qu’il fallait pour être bien vu dans le noir. Il feignait d’ignorer les signes particuliers qui l’auraient orienté sur une lignée clairement mondialiste. Sa mâchoire avait assurément subi l’influence des Vikings et ses yeux celle des Mongols, ses lèvres avaient l’épaisseur de la brousse et son nez la majesté d’une conque. Ses pieds palmés lui causaient bien quelques soucis, mais son médecin, un fidèle de la Francisque, lui avait assuré que la chose était courante chez les gens de son espèce et lui avait prescrit toute une batterie d’examens pour le prouver. Loin de l’aider dans sa quête, la science le mettait dans l’embarras. Le compte-rendu de son génome le situait à une place honorable dans la chaine de l’évolution, mais n’apportait pas d’éléments lui permettant de s’affirmer dans une filière d’excellence.
La police s’était montrée bienveillante, mais peu encline à mobiliser ses forces spéciales pour traquer l’inconnu. Elle avait confié l’affaire aux Renseignements Généraux, lesquels s’étaient contentés après examen du dossier de ses parents, grands-parents et tutti quanti de le déclarer conforme à la législation en vigueur et l’avait orienté sur des officines plus identitaires. Chez ces gens-là, on ne plaisantait pas avec les racines et on lui en avait fait voir de toutes les couleurs avant de l’envoyer faire ses preuves au front. En pure perte.
Dépité, il s’en serait bien remis à Dieu, mais les créatures qu’il avait façonnées étaient si nombreuses et si disparates qu’il n’aurait pas été plus avancé et avec les sempiternelles querelles entre les serviteurs d’ici-bas et les envoyés du ciel, il aurait fini par ne plus savoir sur quel pied danser.
Finalement, il était allé s’enterrer aux Archives Nationales. Le poste de gratte-papier dans les sous-sols avait peu d’intérêt, mais il avait l’avantage de lui offrir assez de temps mort pour qu’il poursuive ses recherches sur les origines personnelles. Il avait ouvert un compte chez les mormons persuadé qu’il trouverait son chemin parmi des quatre-vingt milliards d’identités recensées.
Et puis un jour de mai, il avait quitté précipitamment son poste. Sur son bureau un journal était ouvert, une dépêche cerclée de rouge…
Brève 13 mai 2014
Une équipe de chercheurs a découvert les plus vieux spermatozoïdes fossilisés, appartenant à des crustacés qui vivaient il y a quelque 17 millions d’années dans le nord de l’Australie.
On se demande ce que l’on va pouvoir encore découvrir dans ces dépôts, concluait la dépêche…
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Commentaires
2LaurenceMSamedi 23 Août 2014 à 17:57"il était blanc, certes un blanc un peu délavé par la traversée des siècles et des terroirs, mais il lui restait juste ce qu’il fallait pour être bien vu dans le noir."
Comme disait Coluche, " moins blanc que blanc, c'est gris, plus blanc que blanc, c'est nouveau , ça vient de sortir !"
Nous sommes tous gris mais point grisés ...
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Qui sait? Pourquoi pas le chaînon manquant, entre l'homo sapiens et le dictateur non sapiens?