• La vieille dame indigne

     La vieille dame indigne

    Yvonne Oter

     

    Aïe ! Mais c’est qu’il me fait mal, ce grand-là !

    Avec sa chemise bleu pâle bien fermée sous une cravate foncée, ses souliers impeccables et ses cheveux coupés court, il avait l’air plutôt sympathique. Je n’avais pas vu la plaquette « SÉCURITÉ » accrochée à sa poche. Alors, faut bien qu’il justifie son maigre salaire en ne ménageant pas les flagrants délits comme moi.

    Eh oui ! Je me suis fait pincer !

    À cause de la sale gamine avec sa mère, devant moi à la caisse, neuf, dix ans, poussée en graine et déjà arrogante. « Je l’ai vu, la vieille dame ! Elle a mis un paquet de viande dans sa poche ! ». Et d’insister, la petite peste : « Z’avez qu’à regarder si vous ne me croyez pas ! ».

    Bon, oui, j’avais poussé une barquette de plates côtes dans ma poche. « Prix rond : 3€ » qu’il était marqué dessus. Et je me préparais à payer une barquette de légumes pour potage où il était aussi noté : « Prix rond : 3€ ».

    La soupe de légumes sans viande, ce n’est pas bon, c’est fade, ça manque de goût. Le problème, c’est que dans mon porte-monnaie, je n’ai plus que trois euros et soixante-cinq cents. C’était soit les légumes, soit la viande. Comme l’emballage des poireaux, carottes, oignons, navet, céleri était beaucoup trop volumineux pour entrer dans ma poche, c’est la viande qui y est passée.

    J’éprouve les mêmes difficultés à chaque mois qui compte trente-et-un jours. Qu’il y en ait vingt-huit, vingt-neuf, trente ou trente-et-un, le montant de la retraite est toujours pareil. Il y en a sept, des mois trop longs, dans une année et il faut pourtant bien qu’on mange, surtout en hiver. Nous ne sommes plus de première jeunesse, mon Joseph et moi, nous avons besoin de peu, et un bouillon de légumes avec du vieux pain trempé nous régale pendant plusieurs jours. Si en plus nous devons le manger maigre !

    La gérante du supermarché a pris un air sérieux pour me sermonner, m’expliquer que le larcin que j’avais commis était très vilain, me faire promettre de ne plus recommencer, jamais, sinon j’allais droit aux ennuis plus sérieux. Puis elle m’a mise à la porte de son bureau. Avec les légumes que j’avais payés.

    Pour sortir du magasin, je suis repassée devant la caisse où j’avais tenté de resquiller. La caissière m’a appelée. « Madame ! Madame ! » Un peu gênée quand même, j’aurais voulu plus de discrétion. Avec un grand sourire, elle m’a tendu la barquette de plates côtes responsable de mes malheurs. « Tenez, c’est le monsieur qui vous suivait dans la file qui a tenu à le régler. Et il m’a fait promettre de vous le donner. » Avec un clin d’œil, elle a ajouté : « Et ça me fait rudement plaisir ! »

    Eh bien, ce clin d’œil là, il avait aussi bon goût que la soupe que j’ai servie à mon Joseph le soir.

     

    Brève sud info, Belgique, novembre 2014 :

    On vole de plus en plus de viande dans les grandes surfaces.


  • Commentaires

    1
    Danielle
    Dimanche 9 Novembre 2014 à 08:49

    On pourrait ajouter qu'on jette de plus en plus de viande dans les grandes surfaces, à voir les innombrables barquettes en promo parce que périmée le jour-même !


    Une histoire qui remet cruellement en lumière la paupérisation galopante de la population en ce 21ème siècle. Une chute réconfortante, il existe encore quelques braves gens.

    2
    Lza
    Dimanche 9 Novembre 2014 à 10:01

    Je ne voudrais pas non plus être à la place d'une caissière, obligée de faire respecter le règlement.

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    3
    Danielle
    Dimanche 9 Novembre 2014 à 10:22

    D'autant que l'on punit rapidement celui qui "vole" pour manger alors qu'au haut de l'échelle sociale, voyous, détourneurs de fonds continuent allègrement leurs magouilles ou que leurs affaires s'enlisent dans le magma des tribunaux...

    4
    SophiE
    Samedi 27 Décembre 2014 à 18:14

    Je n'avais pas eu le temps de lire ce texte. Bravo, Yvonne. C'est vrai que la chute est réconfortante, même si ce n'est sans doute pas le cas le plus fréquent.

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