• La deuxième vague (3)


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    Sur les cent douze nouvelles reçues au concours Calipso " Sens dessus dessous " dix sept avaient été retenues par les jurés dans une première sélection. Vous connaissez les auteurs des dix nouvelles lauréates mais pas les sept autres qui les suivaient de près. Comme ces dernières ne seront pas éditées dans le recueil 2007, nous avons proposé aux auteurs de les publier ici même. Nous poursuivons aujourd’hui avec Pascale Fayolle.
     

    Les papillons (1/2)


    Avant, notre appartement était toujours tiré à quatre épingles.

    Les papiers de Maman bien rangés dans leurs chemises, la brosse à cheveux dorée brillant de mille feux sous le miroir, nos chaussures reluisantes sagement alignées dans le couloir, la télécommande languissante allongée sur la télévision, les cahiers de Lucie merveilleusement ordonnés sur son bureau, mes poupées gracieusement disposées sur mon lit, nos habits soigneusement pliés dans nos armoires…

    Et puis, Alain a fait irruption dans notre univers feutré.

    L’appartement a pris vie, les objets se sont animés, les bibelots ont changé de place, les ustensiles se sont égarés de pièce en pièce…

    Alain, ce n’est pas notre papa, je l’appelle Alain ; c’est lui qui vient nous attendre à la sortie de l’école. Notre vrai papa s’est encastré dans un camion, sur l’autoroute. On n’a même pas pu sauver la voiture ! J’avais six mois et ma sœur Lucie deux ans et demi. Elle n’a gardé aucun souvenir de lui.

    Alors, Maman est devenue très, très triste. Elle ne sortait plus, ne souriait plus, n’allait même plus travailler. Elle voulait juste s’occuper de nous et que le monde entier la laisse tranquille. Notre papa, qui était aussi son mari, lui manquait terriblement. Finalement, elle est retournée dans son bureau, Lucie a fait ses débuts à l’école maternelle et moi, je me suis trouvée une gentille nounou.

    Notre vie semblait avoir repris ses esprits, sauf que Maman était devenue maniaque, obsédée par l’ordre, tourmentée par la propreté, harcelée par de menus détails. Chez nous, les objets restaient inanimés, les meubles engourdis, notre chambre privée de poussière, notre univers figé en une exaspérante lenteur.

    Papy et Mamie, les parents de notre vrai papa, se sont beaucoup occupés de nous. Ils ont choyé Maman, l’ont soutenue malgré leur chagrin, encouragée encore et encore, aimée toujours.

    Pendant les vacances, Papy nous consacre tout son temps. Il discute longuement avec Lucie, toute douce, toute belle, toute fragile, comme Maman. Il l’appelle son " Petit Lac Paisible ". Moi, je suis son " Tourbillon fougueux ", " un vrai garçon manqué " ! Pourtant, moi, je ne me trouve pas si ratée que ça ! Papy me tempère, il m’explique pourquoi, me montre comment, me parle d’une voix très douce et ne s’énerve jamais contre moi ! Il me répète souvent que je suis tout le portrait de mon vrai papa, qui était aussi son fils Marc.

    Et puis, un soir d’automne, Maman est rentrée tard, suivie par un cyclone dévastateur, un ouragan tumultueux, une tempête effervescente. Cette impression de fin du monde s’appelle Alain. C’est l’ami de Maman, celui qui l’a rendu jolie, qui dort dans son lit, qui lui fait plein de câlins et qui meuble notre espace de ses formidables éclats de rire. Il a transformé notre vie morne et silencieuse en un paradis de fantaisie !

    Alain, on dirait un gros nounours tout brun, tout bouclé, tout doux sauf pour le bisou du matin qui est plutôt piquant. Il est écrivain. Il écrit de longues phrases pour des revues, tape des mots incompréhensibles pour des journaux et aligne étrangement des lettres pour fabriquer son nouveau roman. Il travaille à la maison et c’est lui qui s’occupe de nos devoirs, qui s’émerveille des facilités de Lucie et de mes progrès en lecture.

    Grâce à lui, les sucettes et les bonbons ont franchi le seuil de notre maison, les biscuits fourrés ont découvert le chemin de nos placards et les crèmes au chocolat ont investi le frigo. Notre pauvre maman prétextait que ces produits n’étaient pas bons pour notre santé. Alain lui a expliqué que ce qui a bon goût et qui nous fait envie est forcément bon pour nous. Moi, j’adore manger et Alain est très gourmand. Nous adorons nous régaler tous les deux, en silence, quand Maman prend sa douche ou quand elle téléphone à son amie Léa…

    " Capharnaüm ". C’est mon mot préféré. Tatie Caro me l’a offert un soir de fureur. Elle nous avait demandé de mettre nos pyjamas et d’aller nous coucher. Quand elle est entrée dans la chambre où je m’amusais avec mon cousin Jules, nous avions déjà vidé tous les tiroirs de sa commode et nous jouions tranquillement au marchand d’habits. Elle s’est mise à crier, à crier très fort et très vite beaucoup de mots pas contents du tout. J’ai attrapé au vol " capharnaüm ", il sonne bizarrement et dessine plein d’images très drôles dans mon imagination.

    Je crois que " capharnaüm " décrit très bien notre appartement…

    à suivre…

    Pascale Fayolle

    Après avoir écrit de nombreuses nouvelles tournant obsessionnellement autour de la seconde guerre mondiale et de la vie dans les camps de concentration, j'ai essayé d'alléger mes propos en donnant la parole aux enfants. Lorsque je pose mon crayon, je me sens légère et je ne porte plus toute la journée le poids de souvenirs que je n'ai pas vécus. Plusieurs de mes nouvelles ont été primées. J'ai adoré écrire "Les papillons" : les mots se sont amusés à tourner légèrement sur ma feuille avant de s'envoler gaiement.


  • Commentaires

    1
    Jeudi 11 Octobre 2007 à 11:20
    Belle et généreuse initiative, qui donne à lire des textes et qui permet aux auteurs d'élargir leur audience. Echouer à un concours à quelques mètres du podium ne doit pas pour autant priver le texte de lecteurs...
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