• La couleur du temps

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    Il y a quelques mois de cela, Jean-Claude Touray nous avait conté la vie singulière de personnages mémorables tombés dans les oubliettes de l'histoire comme Ravaillac, Mandrin, Caïn. Le temps faisant également son œuvre, il était à son tour menacé de passer à la trappe. Fort heureusement, notre chroniqueur en a vu bien d'autres et il nous revient pour honorer un homme qui en a vu de toutes les couleurs

     

    John Dalton : je pense à lui quand en saison, les cerises sont rares.

    Je ne sais pas si chez vous c’est comme chez moi, mais la variété précoce (l’Early Rivers d’Olivet) a mûri cette année avec beaucoup d’avance, la production étant malheureusement faible. Peu de ces grappes de " pendants d’oreille " qui font les fortes récoltes et que le poète a chantées, il fallut se contenter de ramasser une par une les cerises, points rouges dispersés dans une masse de feuillage vert : un challenge pour les malheureux atteints de l’anomalie de la vision, décrite en son temps par John Dalton.

    "Quand j’entends ce nom, je sors mon Lucky Luke". Voila le genre de réponse en forme de bon mot que te font les gens quand tu leur demandes s’ils connaissent John Dalton. Uniquement histoire de jouer les branchés en montrant qu’ils en savent plus que tu ne crois. Mais c’est à Joe l’aîné des quatre frères, bandits de bédé qu’ils pensent : un homonyme.

    John Dalton (1766-1844) est né en Angleterre, dans une pieuse famille de pauvres tisserands. Il doit sa célébrité posthume à ses travaux en physique-chimie et en médecine.

    Il est d’abord connu comme homme de loi (la loi de Dalton ? Tu m’étonnes) et vrai père de la théorie atomique. Un vieux machin proposé sans arguments sérieux par Démocrite, au joli temps de la Grèce antique et que Dalton a revisité. A ce titre, il a fait un malheur chez les chimistes qui ont donné son nom à une unité officielle au chapitre des mesures physiques. Seules quelques dizaines de personnes, comme Ampère ou Pascal par exemple ont été ainsi honorées.

    La distinction accordée par la "vox populi" des intellos à de grands esprits sympa et à leurs découvertes peut-être un nom commun en…isme, complété par des adjectifs qualificatifs en …iste et/ou plus rarement en …ien. Ainsi, John Dalton n’était pas daltoniste mais daltonien, alors que Bouddha n’était pas bouddhien mais bouddhiste. Le général était tout à la fois gaulliste et gaullien. Mais ne nous égarons pas, tout ce qui nous intéresse est de rappeler que Dalton est le premier daltonien homologué. Un de ces confusionnistes du vert et du rouge qui prennent une menthe à l’eau pour de la grenadine et voient rouge dans de verdoyants pâturages. Je ne parle même pas de leurs opinions : une simple anomalie de la rétine explique leur ignorance de l’écologie politique.

    John Dalton racontait volontiers comment à l’âge de six ans il avait, en ramassant des cerises confondu les rouges et les pas mûres. Il en avait déduit l’existence d’une anomalie, inconnue du corps médical, dans la perception des couleurs, déficience dont il était victime. Sagement, il attendit pour publier ses données d’être assez âgé pour être pris au sérieux.

    John Dalton aurait son buste au Panthéon mondial des hommes de science, si ce monument existait. De plus, il fait partie de ces savants que la petite histoire a rendus familiers : Einstein tirant la langue avec malice ou Newton le distrait qui ne prévoit pas que s’il fait la sieste sous un pommier de plein vent chargé de fruits mûrs, il risque d’en recevoir un sur la tête… pronostic à la portée d’un enfant, mais il fallait être Newton pour en déduire la théorie de la gravitation universelle et ne pas en être plus fier pour ça. Quoi de plus touchant pour le public qu’un scientifique expérimentant sur lui-même, comme Dalton découvrant le daltonisme.

    Alors pourquoi n’est-il pas plus connu aujourd’hui ? Je n’ai pas de données statistiques à présenter mais j’ai l’intime conviction qu’il a été injustement trop oublié. Je vois trois raisons principales :

    D’abord le nombre des homonymes (cf Wikipedia)

    Ensuite la quantité des "réfractaires aux beautés des gaz parfaits" qui ont, dès que possible, oublié Boyle, Mariotte, Gay-Lussac, Avogadro et donc aussi Dalton…

    Enfin le fait que John D. était anglais, facteur défavorable pour être honoré en France. Mais la question reste ouverte…


  • Commentaires

    1
    Mercredi 25 Mai 2011 à 11:32

    Il faut dire aussi que ses frères (ceux qui ont émigré aux USA) lui ont valu une très mauvaise presse... peut-être pas autant qu'au type qui vient de croquer la pomme défendue à Big Apple, mais quand même.

    2
    Jeudi 26 Mai 2011 à 19:16

    "La question reste ouverte ou rouge..." remarque géniale... mais incomplète maintenant que Magali est venu ajouter sa pomme (les Golden, hein?)

    En tout cas, jolie chronique dans le cadre du "Comment s'instruire tout en s'amusant." Merci Jean-Claude!

    3
    Joël H
    Samedi 23 Août 2014 à 18:17

    La question reste ouverte ou rouge...

    4
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:17

    Une jolie balade au pays de la Daltonie. Sur ce, je vais aller me servir un verre de rouge.

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