• Histoires d'eau (21)

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    Vous étiez nombreux à la réclamer, nombreux à vous morfondre, à désespérer, à menacer de quitter le navire et la taverne si le capitaine Suzanne Alvarez ne vous livrait pas une histoire d’eau en bonne et due forme. Alors la voilà, mais point de Pythagore aujourd’hui : c’est une virée à terre qui vous attend.

     

     

    Comme un boomerang

     

     

    On lui fit répéter cette histoire au moins une bonne centaine de fois. Arthur semblait éprouver à chaque fois un plaisir sans limite. Et tous ses camarades de la classe de 4ème B riaient d’un rire de cruauté.

     

    Sur Grande-Terre* en Guadeloupe, à quelques encablures de la Marina Bas-du-Fort. Il est des atmosphères où la glace se brise vite…

    Dédé était un brave type, toujours prêt à rendre service, mais c’était un dur à cuire. Il avait un caractère ombrageux, entier et presque redoutable, surtout depuis qu’il avait perdu sa femme Betty lors d’un cyclone. Dédé avait un fils qu’il aimait plus que tout. Pendant la semaine, le jeune garçon, était demi-pensionnaire dans un collège à Pointe-A-Pitre et rentrait chaque soir sur le voilier " Barracuda " pour retrouver son père. Il n’était pas mauvais élève, bien au contraire, mais c’était un gamin facétieux qui s’amusait du désordre et de l’émoi de ses professeurs. Il était à l’âge merveilleux et inconfortable entre les petits et les grands. Aussi, malheur à celui qui s’avisât à toucher à un seul cheveu d’Arthur.

     

     

     

    La poignée de la porte tourna brusquement et la résistance du verrou provoqua des coups impatients. Il se leva nerveusement de son fauteuil, lâcha la revue qu’il était en train de feuilleter et alla ouvrir.

    - Non, mais… vous croyez qu’on entre chez les gens comme dans un moulin ! s’écria M. le Proviseur.

    - Ne fais plus jamais ça… t’as compris ! lui rétorqua le père du jeune garçon.

    - Ah oui ! fit l’autre avec une ironie méprisante, sans pour autant saisir le sens de cette menace. Mais à la vue d’Arthur, masqué par la stature de son père, il se souvint de l’épisode de l’après-midi, quand il avait corrigé l’indiscipliné. Il faut dire que Bigoudi, surnommé ainsi par les élèves, à cause de ses cheveux frisés, avait la main leste.

    Arthur fixa M. le Proviseur bien dans les yeux, le gratifia d’un sourire puis d’une grimace qui semblait dire : " ça va barder". Mais Bigoudi les regarda tous deux, avec l’air serein et rassurant de celui qui en avait vu d’autres et, les ignorant superbement, il entreprit de se servir un whisky, signifiant par là que l’entrevue était terminée.

     

     

    - Non ! fit le père d’Arthur en le forçant à s’asseoir… tu vas m’écouter jusqu’au bout !

    M. le Proviseur à qui ce tutoiement pesait affreusement, et devant la masse imposante de son rival, renonça à se la ramener. De cette visite insolite, maintenant, il craignait le pire pour lui. Et son attitude et son visage se métamorphosèrent d’un coup.

    - Attendez ! On pourrait peut-être discuter… s’arranger ! risqua-t-il pitoyablement.

    Le bouledogue s’était avancé mâchoires serrées.  D’un mouvement vif du menton, il désigna la porte d’où parvenaient des bruits de vaisselle.

    - Appelle ta femme !

    - Femme ? répéta l’autre d’une voix atone et presque exsangue, s’accrochant de façon arbitraire à ce mot.

    Quand elle entendit prononcer son nom, l’intéressée sortit en trombe de sa cuisine, brandissant comme une menace une louche qu’elle était en train d’essuyer et interrogea son mari d’un haussement de sourcil.

    - Tiens ! Tu arrives bien ! l’accueillit-il simplement par ces mots.

    Caressant sa barbe et conscient de l’hostilité qu’il suscitait, le géant demanda calmement :

    -Donne une claque à ta femme !

    - Co… comment ça... ! bégaya le petit homme sec et gris, ne pouvant refouler un tremblement, et l’œil fixé sur la bouche d’où sortait cet ordre saugrenu.

    - Discute pas, fais ce que je te dis ! rugit Dédé en l’empoignant par le col de sa chemise.

    Comme elle ne comprenait toujours pas de quoi il retournait, Helena leva vers le père de l’élève un regard étonné, et finit par se laisser gagner par un sentiment de culpabilité.

    Les mains de M. le Proviseur jouaient l’une avec l’autre à se tordre les doigts. Puis il eut un geste qui resta en suspens quelques secondes… et il laissa retomber son bras. Helena s’attendant à un refus de la part de son mari, poussa un soupir de soulagement. C’était un homme habitué à commander, pas à recevoir des ordres.

     

     

    Elle le savait veule, mais à ce point… Sa réaction la laissa sans voix. Le coup était parti avec une violence telle qu’on eût dit qu’il avait trouvé même un certain plaisir à la gifler, laissant l’empreinte de ses cinq doigts sur sa joue. Le moment de stupeur passé, elle se rua sur lui, avec, dans la voix, les notes aiguës de l’hystérie :

    - Ah la brute… l’ignoble brute ! Son cœur débordait à tel point d’humiliation et de colère, qu’elle lui asséna un grand coup sur le crâne avec l’ustensile qu’elle tenait toujours en main, et lui jeta en prime le torchon qu’elle avait dans l’autre, en travers de la figure. Ce qui le fit chanceler. Là, c’en était trop. Il avait outrepassé les bornes. Depuis le début de leur union, elle s’était laissé faire comme une bête qu’on mène à l’abattoir. Elle avait toujours obéi sans broncher, comme si sa vie durant elle avait vécu par procuration ; face à cet homme autoritaire, qui n’aimait pas les enfants et qui, du reste, n’avait jamais voulu lui en donner : " Merci bien, j’ai assez affaire avec ceux des autres ! " s’était-il plu à lui dire quand elle avait osé aborder le sujet et quand elle était jeune encore.

     

     

    Et c’est avec un certain plaisir qu’elle observait la débâcle de son mari. Sa déconfiture la ravissait. Elle se sentait tout d’un coup dégagée de son emprise avec une assurance si tranquille. M. le Proviseur avait perdu de sa superbe. Il était assis par terre et essuyait ses larmes d’un revers de manche comme le font les enfants. Encore rougissante de son audace, elle raccompagna d’un air faussement désinvolte ses deux visiteurs complètement médusés, jusque sur le perron. Ebouriffa les cheveux d’Arthur et serra la main de son père, comme si elle eût voulu le remercier d’un somptueux présent qu’il venait de lui offrir.

     

    Le temps des encriers, des claques et du piquet, était révolu.

     

    *Grande Terre. Partie la plus à l’Ouest de la Guadeloupe, département d’Outre-Mer français, avec pour capitale Pointe-À-Pitre.


  • Commentaires

    1
    Mercredi 10 Février 2010 à 20:34
    Tout à fait Captain " à cors et à cris" et même que les visiteurs se faisaient un sang d'ancre, c'est dire. Mais c'est encore une fois les vacances et la neige est là feutrant de sa grande capeline tout désir de voyage...
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    2
    Jeudi 11 Février 2010 à 23:16
    Très beau quatrain de Baudelaire que je ne connaissais pas. Merci, Ysiad.
    3
    Vendredi 12 Février 2010 à 02:06
    Merci, sorcière bien-aimée.
    4
    Vendredi 12 Février 2010 à 11:32
    Ouais, c'est bien beau de citer Baudelaire, mais ce que je voudrais savoir moi, le Dédé, la femme à Bigoudi, la pécho ou la pas pécho ? Peut-être bien qu'on saura dans l'épisode 22...

    5
    Vendredi 12 Février 2010 à 14:40
    1) j'ai dit du mal de Charles, moi ? Je suis né dans la ville qu'il décrivait comme son meilleur souvenir, je suis même allé suivre sa trace jusque sur l'ïle de France, pas celle d'aujourd'hui, je veux dire, Maurice, où il arrêtera son voyage forcé vers Calcutta... alors !?

    2) tu sais, la réalité n'est là que pour nourrir la littérature, moi je te dis que Dédé et Héléna, eh bien, ils n'ont pas fait que s'effleurer la main, crois-moi !
    6
    Lundi 15 Février 2010 à 10:58
    Et non, Franck est né dans la patrie d'Alphonse Allais, Henri de Régnier, Erik Satie... La mère de Baudelaire y avait une maison, appelée maison-joujou je crois, aujourd'hui détruite, la rue porte maintenant le nom de Baudelaire, ce n'est certes pas la plus belle de la ville. Et c'est même là, qu'il aurait composé Le Voyage qui clôt l'édition 1861 de ses fleurs maladives (c'est pile dans le sujet, non ?).
    J'avais écrit un petit texte (sûrement pas mon meilleur) sur Mot Compte Double, il y a quelques siècles, une histoire de guano.

    Pour la référence:
    Baudelaire écrit à sa mère en 1866, juste avant sa mort: » Mon installation à Honfleur a toujours été le plus cher de mes rêves. »
    http://baudelaire.litteratura.com/?rub=regards&srub=art&id=3
    7
    Mercredi 17 Février 2010 à 01:32
    Merci pour ta lecture Capitaine Alvarez. Et je recommande chaudement à tous d'aller se perdre dans les textes de Mot Compte Double, on y fait des découvertes.
    8
    Mercredi 17 Février 2010 à 15:21
    Toujours la même patte iconoclaste qui me ravit, bravo Sorcière !
    Bises
    Coline
    9
    Jeudi 18 Février 2010 à 22:49
    Oui, l'Albatros est incontournable, comme le bar éponyme à Honfleur. Merci sorcière.
    Et notre 807 commun sera publié le 9 mars, qu'on se le dise.
    10
    Jean-Pierre
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Voilà un texte original. On est agréablement surpris par cette nouvelle facette de la plume de Suzanne.
    Cet enseignant est le vestige d'un passé, qu'a connu la génération de nos parents et peut-être celle de certains d'entre nous. Cette éducation à la dure n'est pas toujours négative. Elle serait bienvenue à notre époque... Par contre, dans le récit de Suzanne, cet homme abuse de son pouvoir pour imposer le même régime à sa femme. Alors, là pas d'accord! On ne touche pas à la petite merveille qui mêle son pas sur le nôtre par les mêmes chemins.
    Bravo, Suzanne, tu ne nous déçois jamais. 
    11
    Yvonne Oter
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Tiens, je n'y avais pas pensé, à la louche! Il est vrai que la mienne est made by Tupperware, donc en plastique et ne devrait pas faire beaucoup de dégâts...
    Merci, Cap'taine, pour cette tranche de vie qui aurait aussi bien pu se passer à Nice, à Maubeuge ou à Montcuq!
    12
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Je viens "d'émerger" et je trouve les premiers commentaires délicieux de mes amis. Merci à vous et tant pis pour ceux qui n'aiment pas les voyages...
    Pour ce qui est de la géographie de la Guadeloupe et de son histoire, il y a mille choses à raconter. Sauf que les voiliers (français surtout) n'aiment pas trop à y traîner car les Guadeloupéens ne sont pas des gens spécialement accueillants, à part exceptions, bien sûr. C'est bien pour ça que cet archipel dont les deux plus grandes (l'île de Grande-Terre, là où un certain proviseur... et l'île de Basse-Terre) qui sont rapprochées et séparées par un étroit bras de mer, l'ensemble des deux îles ressemblant à un papillon... et je ne sais plus où j'en étais... Ah ! oui, c'est pour cette raison, voulais-je dire, que les touristes vont plutôt voir ailleurs (Martinique...) et que le niveau de vie en Guadeloupe... c'est pas terrible. De plus, le sport favori semblant être les grèves : grève de la banane, grève des taxis, grève de la canne à sucre, grève de ci et grève de ça, sauf grève du ti-punch, bien sûr. Mais il me semble que je vous avais déjà parlé de ce "beau pays". Quel dommage en effet que ce soit si peu touristique, car il y a de beaux mouillages où les voiliers peuvent encrer, de belles plages, de très belles choses à voir.
    Hormis les deux grandes îles en forme de "papillon", l'archipel est composé des "Saintes", un endroit merveilleux à voir absolument, car on peut "encrer" en toute quiétude. C'est là où l'on fabrique des "Saintoises", longues barques pour la pêche. Les Saintois sont les rois de la pêche, des marins aguerris, venant surtout de la région vendéenne. Nous n'avons pas trouvé les habitants des Saintes spécialement "marrants", ni "causants", mais l'endroit est si beau à voir (ce n'est pas grand), et puis, dès l'instant où l'on ne gêne pas, on vous laisse tranquille. Là, par contre, le tourisme bat son plein.... mais tout est très cher : hôtels, restos, marchés....
    Il y a aussi l'île de Marie-Galante, toute proche et l'île de la Désirade (moins touristique).
    Quoi encore ? L'archipel de la Guadeloupe se situe dans les Antilles, dans la mer des Caraïbes à environ 600 km du nord de l'Amérique du Sud.
    13
    ANNA
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    C'est vrai Suzanne ne nous déçoit jamais et surtout elle nous étonne toujours. J'ai eu l'impression d'assiter à la scène en direct. Efficace la leçon donnée par le père.
    Mais espérons que le brave Dédé ne fasse pas trop d'émules sinon, quelle révolution dans les collèges.
    14
    jackie
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Toujours aussi sympathiques et instructives les histoires du captaine Alvarez. Bravo !
    15
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25

    Dis-moi, Patrick, ne disais-tu pas qu'on réclamait Captain Alvarez à cors et à cris ? Je vois que tout le monde est en vacances... à la neige. Quelle horreur ! Et après ça on dira que les gens n'ont pas de pognon. Remarque-bien, moi, je suis en vacances toute l'année. Ha ! Ha ! Ici, à Nice, grand beau temps. Soleil comme je te dis pas. Les gens sont en chemise et il y a même du monde sur la plage de la Promenade des Anglais. Pas grand monde dans l'eau, je te l'accorde... Quoique ! J'ai vu un papy d'au moins 85 ans se baigner. 
    Et puis aussi, j'ai fait exprès une faute à "encrer"... deux fois... je vois qu'on ne suit pas... C'est vrai que Captain Alvarez est passé de "l'ancre à l'encre"... mais quand même. Tiens ! pour la peine, vous me ferez 100 lignes... sauf Yvonne de mon coeur qui m'a même téléphoné pour me signaler cette fôte.Ô ! Ô ! Captain m'a-t-elle dit... c'est pas parce que je suis immobilisée au fin fond de mon lit que je ne suis pas "Histoires d'OOO". Boubou est là pour me porter jusqu'à mon PC.
    ANNA et Jackie, un grand merci pour vos gentils commentaires.

    16
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    A propos de Baudelaire et de voyage :

    Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes
    L'univers est égal à son vaste appétit.
    Ah ! Que le monde est grand à la clarté des lampes
    Aux yeux du souvenir, que le monde est petit !

    Etc. J'irais bien faire un tour dans les îles, moi, du côté de la Désirade.
    17
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25

    A la Désirade.... Désirée ? Non ! Va plutôt aux Saintes... Mais je te conseille de faire quelques heures supplémentaires à ton boulot avant de partir. Tutto è troppo caro. Et puis, non, va à la Martinique, c'est beaucoup mieux, beaucoup moins cher, mais alors, vas-y sans ton mari. Pourquoi ? Devine ! 
     
    Bien d'accord avec toi, ce quatrain est magnifique.

    18
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25

    Puisque tu ne connaissais pas ce poème, Jean, le voici en entier. Tu pourras constater que les quatre quatrains que j'ai postés plus haut -et qui sont très beaux aussi- proviennent du même poème. Bonne lecture ! 


    LE VOYAGE

    A Maxime Du Camp.

    I

    Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
    L'univers est égal à son vaste appétit.
    Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
    Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

    Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
    Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
    Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
    Berçant notre infini sur le fini des mers :

    Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
    D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
    Astrologues noyés dans les yeux d'une femme,
    La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

    Pour n'être pas changés en bêtes, ils s'enivrent
    D'espace et de lumière et de cieux embrasés ;
    La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
    Effacent lentement la marque des baisers.

    Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
    Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons,
    De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
    Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

    Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
    Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,
    De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
    Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom !

    II

    Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule
    Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils
    La Curiosité nous tourmente et nous roule,
    Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.

    Singulière fortune où le but se déplace,
    Et, n'étant nulle part, peut être n'importe où !
    Où l'homme, dont jamais l'espérance n'est lasse,
    Pour trouver le repos court toujours comme un fou !

    Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;
    Une voix retentit sur le pont : " Ouvre l'oeil ! "
    Une voix de la hune, ardente et folle, crie .
    " Amour... gloire... bonheur ! " Enfer ! c'est un écueil !

    Chaque îlot signalé par l'homme de vigie
    Est un Eldorado promis par le Destin ;
    L'Imagination qui dresse son orgie
    Ne trouve qu'un récif aux clartés du matin.

    Ô le Pauvre amoureux des pays chimériques !
    Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
    Ce matelot ivrogne, inventeur d'Amériques
    Dont le mirage rend le gouffre plus amer ?

    Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
    Rêve, le nez en l'air, de brillants paradis ;
    Son oeil ensorcelé découvre une Capoue
    Partout où la chandelle illumine un taudis.

    III

    Etonnants voyageurs ! quelles nobles histoires
    Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
    Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
    Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éthers.

    Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
    Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,
    Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
    Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.

    Dites, qu'avez-vous vu ?

    IV

    " Nous avons vu des astres
    Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
    Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,
    Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.

    La gloire du soleil sur la mer violette,
    La gloire des cités dans le soleil couchant,
    Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
    De plonger dans un ciel au reflet alléchant.

    Les plus riches cités, les plus grands paysages,
    Jamais ne contenaient l'attrait mystérieux
    De ceux que le hasard fait avec les nuages.
    Et toujours le désir nous rendait soucieux !

    - La jouissance ajoute au désir de la force.
    Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais,
    Cependant que grossit et durcit ton écorce,
    Tes branches veulent voir le soleil de plus près !

    Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
    Que le cyprès ? - Pourtant nous avons, avec soin,
    Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
    Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !

    Nous avons salué des idoles à trompe ;
    Des trônes constellés de joyaux lumineux ;
    Des palais ouvragés dont la féerique pompe
    Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;

    " Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ;
    Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
    Et des jongleurs savants que le serpent caresse. "

    V

    Et puis, et puis encore ?

    VI

    " Ô cerveaux enfantins !
    Pour ne pas oublier la chose capitale,
    Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,
    Du haut jusques en bas de l'échelle fatale,
    Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché

    La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
    Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût ;
    L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
    Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout ;

    Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;
    La fête qu'assaisonne et parfume le sang ;
    Le poison du pouvoir énervant le despote,
    Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;

    Plusieurs religions semblables à la nôtre,
    Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,
    Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
    Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;

    L'Humanité bavarde, ivre de son génie,
    Et, folle maintenant comme elle était jadis,
    Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :
    " Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! "

    Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
    Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
    Et se réfugiant dans l'opium immense !
    - Tel est du globe entier l'éternel bulletin. "

    VII

    Amer savoir, celui qu'on tire du voyage !
    Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
    Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
    Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui !

    Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
    Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
    Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
    Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

    Comme le Juif errant et comme les apôtres,
    A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
    Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d'autres
    Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

    Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
    Nous pourrons espérer et crier : En avant !
    De même qu'autrefois nous partions pour la Chine,
    Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,

    Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
    Avec le coeur joyeux d'un jeune passager.
    Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
    Qui chantent : " Par ici ! vous qui voulez manger

    Le Lotus parfumé ! c'est ici qu'on vendange
    Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim ;
    Venez vous enivrer de la douceur étrange
    De cette après-midi qui n'a jamais de fin ? "

    A l'accent familier nous devinons le spectre ;
    Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
    " Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Electre ! "
    Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

    VIII

    Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
    Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
    Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
    Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !

    Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
    Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
    Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
    Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

    Charles Baudelaire

    ------------------------------
    PS. Un scoop : il a neigé à gros flocons sur Nice. Ca faisait bien une trentaine d'années que je n'avais vu la neige. La veille il faisait si beau. Sniff !
    Pour moi, "c'est le restant de la colère de Dieu"... Je déteste la neige.

    Et à propos de ce que je disais pour les VOYAGES à destination de la Martinique, quelqu'un me demandait pourquoi je proposais à "Désirée de la Désirade" de ne point emmener son mari avec elle... Eh ben tout simplement parce que ces Messieurs ne sont pas la bienvenue quand ils sont accompagnés. C'est tout !
    Pour ceux qui ont envie d'y aller, la meilleure période est l'hiver (enfin l'hiver chez nous), c'est-à-dire de décembre à mars, car l'île est toute fleurie. C'est absolument magni

    19
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Quand je pense que ce grand poète est mort sans savoir qu'il avait du génie mais en doutant au contraire de son talent, on peut se dire que le doute humain a encore de beaux jours devant lui !!!
    20
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25

    Et voilà ! Impossible de me rendormir. Je me fais "un sang d'ancre".... Ha ! Ha ! pas mal, pas mal.... Et "... la neige feutrant de sa grande capeline tout désir de voyage", comme cela est joliment dit, et même avec beaucoup de sangsualité, je trouve. Qu'en pense le poète Jean-Pierre ? Et puisque toi aussi, tu aimes la poésie, voici quelques quatrains (que je trouve très beaux) de l'ami Charles :

    LE VOYAGE

    ....................................

    Faut-il partir ? Rester ? Si tu peux rester, reste ;
    Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
    Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
    Le Temps ! Il est, hélas ! Des coureurs sans répit,

    Comme le Juif errant et comme les apôtres,
    A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
    Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d'autres
    Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

    ..............................

    Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! Levons l'ancre !
    Ce pays nous ennuie, Ô Mort ! Appareillons !
    Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
    Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !

    Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
    Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
    Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
    Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau !

    Charles Beaudelaire

    PS. Je voulais dire aussi, que j'ai une "tendresse" toute particulière, pour le dessin ou peinture (d'enfant ?) qui illustre "histoire d'eau 21". Merci !

    Bon... je vais peut-être bien essayer de me rendormir. Buona notte a tutti ! 

    21
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Et celui-là, vous le connaissez ? Toujours de Charles Baudelaire, à propos de saisons, franchement sublime :

    Brumes et pluies

    Ô fins d'automne, hivers, printemps trempés de boue,
    Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue
    D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau
    D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau.

    Dans cette grande plaine où l'autan froid se joue,
    Où par les longues nuits la girouette s'enroue,
    Mon âme mieux qu'au temps du tiède renouveau
    Ouvrira largement ses ailes de corbeau.

    Rien n'est plus doux au coeur plein de choses funèbres,
    Et sur qui dès longtemps descendent les frimas,
    Ô blafardes saisons, reines de nos climats,

    Que l'aspect permanent de vos pâles ténèbres,
    Si ce n'est, par un soir sans lune, deux à deux,
    D'endormir la douleur sur un lit hasardeux.

    22
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25

    Personnellement, je le connais sous forme de sonnet :


    BRUMES ET PLUIES

    Ô fins d'automne, hivers, printemps trempés de boue,
    Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue
    D'envelopper ainsi mon coeur et mon cerveau
    D'un linceul vaporeux et d'un vague tombeau.

    Dans cette grande plaine où l'autan froid se joue,
    Où par les longues nuits la girouette s'enroue,
    Mon âme mieux qu'au temps du tiède renouveau
    Ouvrira largement ses ailes de corbeau.

    Rien n'est plus doux au coeur plein de choses funèbres,
    Et sur qui dès longtemps descendent les frimas,
    Ô blafardes saisons, reines de nos climats,

    Que l'aspect permanent de vos pâles ténèbres,
    - Si ce n'est, par un soir sans lune, deux à deux,
    D'endormir la douleur sur un lit hasardeux.


    Charles Baudelaire

    23
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Vous avez raison Lastrega, sans les sauts de ligne, le poème perd de sa puissance d'évocation. Je n'y aurais pas pensé toute seule mais heureusement que vous êtes là pour me le rappeler.
    24
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Francky, j'ai deux mots à te dire :
    1) Surtout ne dis jamais de mal de Charles ;
    2) "Les histoires d'eau" sont des récits véridiques de A à Z, ce qui veut dire que pour ces aventures (plutôt mésaventures) même (et surtout) les chutes sont réelles... Quoique maintenant que tu le dis... Ah ! bon, tu penses vraiment que ces deux-là, Dédé et Helena, se sont filé un rancard au moment de se serrer la main. C'est vrai, ça, je n'y avais pas pensé. Dédé est veuf, Helena est encore très bien conservée et surtout, elle n'a jamais pu avoir d'enfant : Arthur... elle pourrait s'occuper d'Arthur et lui donner tout l'amour maternelle dont il a été privé depuis la disparition de sa mère...

    Et puis, et puis, contente que tu sois venu nous rendre visite sur Calipso. Mais faudrait voir à y revenir plus souvent.. hein ? Parce que les 807 c'est bien beau, mais il n'y a pas que ça dans la vie...

    Aussi, pour te remercier de ta visite, et parce que je sais que tu tiens toujours tes promesses (tu vas revenir pour nous présenter des textes et commenter ceux des autres... tu viens de me l'écrire par e-mail), voici, spécialement pour toi, en souvenir de la Guadeloupe. Je demande aux consommateurs de Calipso d'en profiter pour admirer le paysage, et à Patrick, le délicieux barman, de pardonner mon manque de sérieux -ainsi que celui des deux Francky, celui des 807 et le Vincent (entre nous, c'est pas sérieux d'être sérieux). La vie est déjà assez triste comme ça, et puis, la Guadeloupe, c'est sérieusement ça :

    http://www.dailymotion.com/video/xlnxs_francky-vincent-fruit-de-la-passion_music

    PS. Bonne nouvelle : A Nice, ce jour, grand soleil, et la neige, l'horrible neige a disparu.
    25
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Je vais mener mon enquête alors, et je te dirai ça en catimini.... Sacré Dédé, va !
    Et puis non ! Tout bien réfléchi, on le racontera à tout le monde.... qu'on en profite ! On l'a racontera au moins cent fois, pas vrai ?
    26
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Aïe ! Aïe ! Yvonne va encore me sonner les cloches : "tout l'amour maternelle".
    Moi, je m'insurge ! ce mot ne devrait s'écrire qu'au féminin.
    27
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Et toujours à propos de VOYAGE, voici pour ceux qui aiment la poésie d'Emile, et pour bien commencer la journée, ce magnifique douzain :

    AU BORD DU QUAI

    Et qu'importe d'où sont venus ceux qui s'en vont,
    S'ils entendent toujours un cri profond
    Au carrefour des doutes !
    Mon corps est lourd, mon corps est las,
    Je veux rester, je ne peux pas ;
    L'âpre univers est un tissu de routes
    Tramé de vent et de lumière ;
    Mieux vaut partir, sans aboutir,
    Que de s'asseoir, même vainqueur, le soir,
    Devant son oeuvre coutumière,
    Avec, en son coeur morne, une vie
    Qui cesse de bondir au-delà de la vie.

    Émile VERHAEREN

    28
    Jean-Pierre
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Ce poème de Verhaeren est magnifique. Difficile à notre époque d'appliquer sa façon de voir les choses. les contingences de la vie sont là pour nous le rappeler. Mais c'est un poète, il peut tout dire pour nous faire rêver
    29
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25

    Oui, Jean-Pierre, les poètes sont là pour nous faire rêver. Quelle belle musique dans ces vers libres d'Emile Verhaeren. Ce poète Flamand, né à Saint-Amand en Belgique en 1855 et mort à Rouen en 1916, appartient au mouvement du "symbolisme", d'expression française.

    Et toujours pour ceux qui aiment les VOYAGES et la POESIE, voici une petite merveille d'Arthur (qui n'est pas le fils à Dédé, je vous le précise) :


    SENSATION

    Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers,
    Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
    Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
    Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

    Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
    Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
    Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
    Par la Nature, - heureux comme avec une femme.


    Arthur RIMBAUD

    30
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Scusi ! Je viens de me rendre compte que je viens de commettre une énorme bourde, puisqu'une villanelle est composée, en principe de tercets, en nombre impair et parfois, se termine par un quatrain. Ainsi, le poème de Charles se présente, en réalité, comme ceci et... j'attends toujours quant aux questions posées... ohé ! :

    Le cœur content, je suis monté sur la montagne
    D'où l'on peut contempler la ville en son ampleur,
    Hôpital, lupanars, purgatoire, enfer, bagne,

    Où toute énormité fleurit comme une fleur.
    Tu sais bien, ô Satan, patron de ma détresse,

    Que je n'allais pas là pour répandre un vain pleur;

     

    Mais comme un vieux paillard d'une vieille maîtresse,

    Je voulais m'enivrer de l'énorme catin
    Dont le charme infernal me rajeunit sans cesse.

     

    Que tu dormes encor dans les draps du matin,
    Lourde, obscure, enrhumée, ou que tu te pavanes
    Dans les voiles du soir passementés d'or fin,

    Je t'aime, ô capitale infâme! Courtisanes

    Et bandits, tels souvent vous offrez des plaisirs
    Que ne comprennent pas les vulgaires profanes.

    31
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Ah ! Merci Francky (et un Normand, un de plus. Ca doit y aller le calva) d'avoir éclairé ma pauvre lanterne. Je me serais donc complètement fourvoyée. Mais je note que tu as oublié de mentionner Victor Hugo, à qui Honfleur était si chère -et on sait pourquoi-. Il y a la rue Victor Hugo près de la gare et aussi un musée en son nom. Mais tu sais ça.
    Je file sur MCD retrouver ton texte.
    Encore Merci Francky... merci...
    32
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Vous devriez aller faire un tour sur MCD, "histoire de guano" est drôlement sympa. C'est l'histoire d'un goéland qui... mais vous n'avez qu'à lire, en plus, c'est super bien écrit. Ca vous changera un peu de l'ami Baudelaire.
    Au fait, merci Franck pour la référence http://baudelaire etc, que tu as signalée plus haut. Drôlement instructif. J'ai encore appris plein de trucs sur le "poète maudit".
    33
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25

    Quelqu'un me demandait récemment où pouvait bien être né Franck, la ville décrite par Baudelaire "comme son meilleur souvenir". Eh bien, je répondrais à cette personne qu'il s'agit, à n'en pas douter de PARIS.
    Mais oui, Charles Baudelaire, surnommé "le Poète maudit" est né à Paris le 9 avril 1821. Il ne vivra pas plus que l'ami Maupassant, puisqu'il mourut le 31 août 1867... à Paris. Et voici donc, pour illustrer cette ville qu'il aimait plus que tout, un poème, extrait du livre "Le spleen de Paris". Et si je ne me trompe, on appelle ce genre de poème : une villanelle, de l'italien villanella, chant de paysan. C'est comme une ballade.
    J'ai une question à poser à Franck : "Franck, es-tu bien né à Paris" ?
    Et une autre aux poètes de ce forum : "Epilogue" est-ce bien une "villanelle" ?

    J'attends !


    Epilogue-

    Le cœur content je suis monté sur la montagne
    D'où l'on peut contempler la ville en son ampleur,
    Hôpital, lupanar, purgatoire, enfer, bagne,

    Où son énormité fleurit comme une fleur.
    Tu sais bien, ô Satan, patron de ma détresse,
    Que je n'allais pas là pour répandre un vain pleur;

    Mais comme un vieux paillard d'une vieille maîtresse,
    Je voulais m'enivrer de l'énorme catin
    Dont le charme éternel me rajeunit sans cesse.

    Que tu dormes encor dans les draps du matin,
    Lourde, obscure, enrhumée, ou que tu te pavanes
    Dans les voiles du soir passementés d'or fin,

    Je t'aime, ô capitale infâme! Courtisanes
    Et bandits, tels souvent vous offrez des plaisirs
    Que ne comprennent pas les vulgaires profanes.

    -Baudelaire-


    34
    Guénolé
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25

    Bravo ! Monsieur Garot pour ce beau texte : Le Banc du Goéland et le guano, où l'on continue à parler de Charles Baudelaire.

    35
    Jean-Pierre
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Cette histoire de guano, originale, permet de remettre Baudelaire au goût du jour
    et cela est bon pour la poésie, qui en a bien besoin.
    Bravo Franck
    36
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25

    Comme quoi : une claque peut mener à Baudelaire. Bravo Dédé ! (c'est pas que j'apprécie ton geste, ce serait même plutôt le contraire), mais là, tu as suscité des vocations poétiques... qui ont dû faire couler beaucoup d'ancres....

    37
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Aïe ! Aïe ! Va falloir mettre "le carré blanc" Francky parce que les âmes sensibles... Je crains le pire.
    38
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Franck qui commence à douter fortement de mes pouvoirs en sorcellerie me dit ceci en aparté : "Hum ! il n'y a plus de rue V.hugo à Honfleur depuis les années 80, pareil pour la gare" (ouais, mais ça sous-entend que la rue et la gare avaient bien existé, non ? est-ce ma faute à moi si on a tout chamboulé pendant que j'avais le dos tourné ?) "Quant au musée V.Hugo, jamais entendu parler !" insiste-t-il pour enfoncer le clou davantage. Puis de rajouter : "Tu as dû boire tes propres potions !" Moi je dis," A voir, à voir, je vais mener mon enquête".
    Nonobstant et pour "travailler" avec du matériel frais, je file à la FNAC acheter une cornue, un alambic, un chaudron, un lot de crapauds, de serpents et d'araignées, un hibou, (le chat noir, je l'ai déjà), et je crois que j'ai à peu près tout. Ah ! oui, j'allais oublier : le balai, le chapeau pointu... turlututu, et une nouvelle robe longue noire...
    PS. Il y a vraiment des moments où je te hais, Francky !
    39
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Allez Francky, je ne peux résister -pour célébrer ton guano- et aussi les poètes, au plaisir de déposer ici ce merveilleux poème de Charles. Donc, pour toi et pour les poètes, voici :

    L'albatros

    Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
    Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
    Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
    Le navire glissant sur les gouffres amers.

    A peine les ont-ils déposés sur les planches,
    Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
    Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
    Comme des avirons traîner à côté d'eux.

    Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
    Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
    L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
    L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

    Le Poète est semblable au prince des nuées
    Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
    Exilé sur le sol au milieu des huées,
    Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

    Charles BAUDELAIRE

    PS. Que c'est beau ! Si comme moi, vous l'avez appris dans votre jeunesse tendre, j'espère que les larmes vous sont venues... tout comme à moi. Mais oui, ça sert aussi à ça la poésie, à donner de l'émotion.
    40
    Lastrega
    Samedi 23 Août 2014 à 18:25
    Ah ! Te revoilà Coline Dé ! Enfin sortie de ta tanière Si c'est pas malheureux ! Faut t'aérer de temps en temps ma belle, sinon tu vas finir par sentir le renfermé. Et tiens, rien que pour célébrer ta Revenue et pour laisser reposer (un peu) en paix l'ami Charles qui a dû se sentir tout ressuscité d'un coup, voici, pour rester dans le thème du VOYAGE :

    Conseil

    Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
    Escalade la roche aux nobles altitudes.
    Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
    Fuis les regrets amers que ton coeur savourait.

    Dès l'heure éblouissante où le matin paraît,
    Marche au hasard ; gravis les sentiers les plus rudes.
    Va devant toi, baisé par l'air des solitudes,
    Comme une biche en pleurs qu'on effaroucherait.

    Cueille la fleur agreste au bord du précipice.
    Regarde l'antre affreux que le lierre tapisse
    Et le vol des oiseaux dans les chênes touffus.

    Marche et prête l'oreille en tes sauvages courses ;
    Car tout le bois frémit, plein de rhythmes confus,
    Et la Muse aux beaux yeux chante dans l'eau des sources.

    Théodore de BANVILLE

    PS. Cètipa (comme dirait Vovonne de mon coeur) ça Madame !








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