• Course contre la montre

    Dacca.jpg

     

    Course contre la montre

    Patrick Ledent

     

     

    Pour remplacer les quelque 1.138 morts, on avait ratissé large, bien au-delà des limites de Dacca, la capitale. On n’avait pas hésité à prospecter jusque dans les villages les plus reculés. L’agriculture pouvait attendre, pas le textile ! On n’avait pas non plus lésiné sur les moyens, puisque ce sont cinq mille nouveaux travailleurs, dix mille mains, qui viendraient grossir les effectifs. Faut dire qu’on croulait sous les commandes et que le temps pressait. D’autant qu’on avait pris beaucoup de retard, avec la catastrophe.

    Une catastrophe dont on avait bien évidemment tiré les leçons. Désormais, les règles étaient beaucoup plus strictes. Les nouvelles usines, bien que construites dans l’urgence, répondaient aux normes de sécurité les plus drastiques. On avait soigné le décor au passage, n’hésitant pas à revêtir les murs de couleurs pastel. On avait doublé le salaire horaire, aussi. Si bien qu’un travailleur courageux, ne pleurant pas sur les heures supplémentaires, pouvait se faire jusqu’à deux dollars par jour. Les usines intégraient des réfectoires, des dortoirs et même des magasins alimentaires. C’est bien simple, un travailleur aurait pu subvenir à tous ses besoins sans quitter l’enceinte du bâtiment. Quitter sa hutte en paille tressée et terre battue pour un logement en dur avec électricité et eau courante, il n’y avait pas photo !

    Pas étonnant qu’avec des conditions pareilles, on n’ait eu aucun mal à recruter. Pas une famille n’avait refusé de lâcher ses enfants. Pas tous, évidemment. En-dessous de 12 ans, pas question, interdit. Maintenant… On n’avait pas été chiens. Sans carte d’identité, un certain flou artistique était permis. En cas de doute, la parole des parents suffisait. Et même si l’on savait que l’un ou l’autre mentait, on fermait les yeux. Ces gens vivaient dans la misère, beaucoup avaient faim : fallait pas l’oublier !

    Un mois la date butoir, on n’avait pas terminé la moitié des commandes. Une catastrophe, une de plus ! Les fabricants en firent part au gouvernement du pays qui autorisa en référé, vu les circonstances, un assouplissement des règles. On ajouta un incitant financier.

    Dès lors, plus personne ne sortit de l’usine. Les plus courageux ne s’autorisaient que quatre heures de sommeil par jour, à leur convenance. Ils étaient jeunes, ils pouvaient se le permettre. Et puis ça n’aurait qu’un temps, dimanche 13 juillet, montre en main, ça serait fini. A cette heure-là, tout le monde serait riche et profiterait d’un repos bien mérité.

    Sans ce foutu incendie, putain, cinq mille morts quand même, on s’en serait sorti. La scoumoune, rien à faire, ça vous colle aux crampons.

     

    Brève, 2juin 2014

    Les fabricants textiles du Bangladesh ont enregistré pour au moins 500 millions de dollars de commandes de maillots pour les supporters des équipes de la coupe du Monde au Brésil.


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  • Commentaires

    1
    M le
    Samedi 23 Août 2014 à 17:56

    Il n'y a que Patrick Ledent pour vous fabriquer ce genre de brûlot qu'il envoie du bout du terrain, qui traverse la cage en boulet de canon, et marque le but en renversant le gardien. Médaille !

    2
    danielle
    Samedi 23 Août 2014 à 17:56

    Il aurait même pu avoir la dent plus dure ! Quel scandale que cette coupe du monde!

    3
    Yvonne
    Samedi 23 Août 2014 à 17:56

    Heu... moi, je suis une footeuse... J'aime le foot depuis toujours, mes parents se sont connus au stade et cela a laissé des traces puisque j'ai même joué dans ma jeunesse, quand ce sport commençait à se conjuguer au féminin.

    Mais tout le battage médiatique, le ramdam commercial, l'argent au centre de toutes les préoccupations au Brésil, m'insupportent au plus haut point. La Coupe du Monde est devenue une opération commerciale juteuse. Pour quelques-uns. Et présente des relents nauséabonds comme ceux dénoncés par Patrick.

    4
    Lza
    Samedi 23 Août 2014 à 17:56

    ...On avait promis une prime de dix dollars à chacun si la commande était livrée à temps. Chacun donc se mobilisait pour que tout soit prêt: deux jours avant la date fatidique, il n'y avait presque plus de travail : on licencia la plus grande partis des travailleurs, sans prime puisque le travail n'était pas terminé.

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