• Contre-jours 08

    Lettre à mon petit-fils

     Danielle Akakpo 

    Mon grand !

    Il faut bien que je t’appelle mon grand puisqu’à huit ans et demi, tu revendiques le qualificatif et refuses qu’on te materne. Puisque tu te mêles parfois très justement aux conversations des adultes. Ces jours derniers, pourtant, je me suis fait du souci pour toi, parce que tu habites la région parisienne et que tu as vécu, si je puis dire, les évènements de ce début janvier à travers leur retentissement médiatique. Comment aurais-tu pu y échapper ? Entre la radio, la télévision, les conversations à gauche et à droite, c’eût été un miracle. Et je pressentais que tu demanderais des explications, que tu en aurais grand besoin, avant de faire la minute de silence à l’école notamment tout comme tu aurais grand besoin d’être rassuré.

    L’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo, ça t’a trotté par la tête. Il t’a été difficile de comprendre que des gens aient été tués par d’autres qui n’avaient pas aimé leurs dessins. Le journal, tu le connais un peu parce que ton papa y est abonné. Tu n’as pas le droit de lire, mais les couvertures, tu les regardes. Les caricatures des prophètes barbus, elles t’amusent, autant que les dessins de tes BD. Et puis, les médias ont fait le lien avec l’agression d’un joggeur à Fontenay aux Roses et avec l’attentat de Montrouge. 

    Tu y habites à Fontenay-aux-Roses et la coulée verte, le lieu de l’agression, tu vas souvent t’y promener le dimanche en famille. Alors, quand tu as appris qu’un méchant terroriste y avait fait des siennes, tu as eu mal. Grâce à tes parents qui répondent toujours à tes questions, le choc est passé. Je sais que tu es retourné récemment prendre l’air dans ces espaces de verdure. Tu y es allé sans appréhension et c’est bien.

    Tu as entendu aussi qu’il y avait eu un attentat à Montrouge, près de la station de métro Châtillon. Tu as habité quelques années tout près, à Malakoff ; les deux communes se touchent. Et la station Châtillon, c’est par là que tu arrives lorsque tu viens passer une journée chez tatie N., ta tante préférée, qui vit à Montrouge. C’est par-là que vous vous mettez en route pour des visites de musées ou autres réjouissances. De quoi te donner le frisson.

    Lorsqu’on t’a succinctement expliqué que des gens nommés Kouachi ou Coulibaly tuaient parce qu’ils n’acceptaient pas qu’on se moque de leur religion, je sais qu’un éclair d’incompréhension est passé dans ton regard et que tu as demandé : « Alors, les parents de mes copains Djamel, Ahmed, de mes copines Louna et Fatiha et ma baby-sitter Zohra, eux aussi ils peuvent avoir envie de tuer pour défendre leur religion ? » – Déjà que tu as du mal à accepter l’idée de la mort, toi qui t’attristes dès que quelqu’un de ton entourage est malade. – C’est là que papa et maman ont rectifié le tir : ceux qui sont prêts à tuer ne défendent pas leur religion, ce sont des fous qui transforment ce que dit leur religion et cherchent toutes les occasions d’empêcher de parler, d’écrire, de dessiner, ceux qui ne pensent pas comme eux. Tu as fini par conclure que c’était débile de se faire du mal à cause de dessins, au nom d’une croyance. Que finalement tu étais bien content de ne pas avoir de religion – tes parents ne t’en ont imposé aucune à ta naissance, te laissant libre de choisir, si tu en ressens le besoin quand tu seras adulte –, que tu n’avais envie d’en choisir aucune, que ça t’éviterait de faire des sottises ! C’est un point de vue qui se défend. Tu as compris ce que voulait dire liberté de pensée, liberté d’expression et ces évènements ont renforcé ton sens de la tolérance. En classe, au centre de loisirs, tu continues à embrasser en arrivant Louna et Fatiha tout comme Jeanne et Marie, à frapper sur l’épaule de Rapha et Ahmed tout comme sur celle de Pierre et Nicolas. Tu l’adores ta bande de potes multicolores. D’ailleurs, remarques-tu seulement que certains sont plus bronzés que toi ? Ce qui compte, c’est qu’ils soient tes amis, que vous partagiez ensemble des jeux, de bons moments, des parties de rigolade, que vous vous confiiez vos petits secrets. Tu as vu ce clip sur fond noir qui passe régulièrement sur France 2. Tu n’as pas tout compris, mais tu as retenu l’essentiel : « Je suis Ahmed, je suis Bernard... Bien différents, bien ensemble ». Il paraît que tu aimes répéter : « Bien différents, bien ensemble », que tu trouves ça vraiment chouette comme formule ! Je suis fière de toi, mon grand. Tu es Charlie !

     

    Mamie D.


  • Commentaires

    1
    Yvonne
    Dimanche 25 Janvier 2015 à 18:47

    Je suis bien d'accord avec Danielle : si toutes les "mamies" d'un peu partout s'unissaient pour enseigner l'amour, la tolérance et le respect de l'autre à leurs petits-enfants, nous vivrions dans un monde bien meilleur que celui que nous connaissons.

    Et si nous fondions un club ?

    2
    Lza
    Mardi 27 Janvier 2015 à 09:37

    Mes petits-enfants, c'est la taille au-dessus: la plus jeune va avoir 14 ans! Mais les enfants que je connais, autour de moi, vivent  ces événements comme quelque chose de très lointain.

    3
    Laurence M
    Dimanche 1er Février 2015 à 15:15

    Un texte très émouvant. Au-delà de la lettre de la grand-mère Danielle à son petit-fils, je vois dans cet écrit une portée plus universelle : une lettre qui pourrait s'adresser  à tous les enfants.

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