• Carrefour d'étoiles 13

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    Nous terminons aujourd’hui la publication des nouvelles étoilées de la douzième édition du concours Calipso avec un autre ami belge que l’on a pu apprécier à maintes reprises dans le collectif des « Cent derniers jours » et celui de « Rendez-vous après la fin du monde ».

    Profitez-en bien car à l’heure actuelle, compte tenu des ressources de l’association, il n’est pas certain qu’une treizième édition puisse voir le jour. Nous en saurons un peu plus courant février 2014. Le café reste bien sûr ouvert aux auteurs et à toutes formes d’écritures… Merci à vous tous.

     

    Patrick Ledent, l’étoile du jour

    J’ai rejoint le café Calipso voici deux ans seulement. J’étais à la bourre et j’avais force pintes en retard. Heureusement, le barman, un homonyme, disposait d’une équipe de buveurs du tonnerre, des accrocs de la chopine qui n’avaient pas leur pareil pour faire d’un sobre liégeois timide un pochetron isérois déjanté. Au plus fort de l’ivresse, je fus invité à croiser le verre avec des consœurs et des confrères nouvellistes. Nous participâmes à l’éviction d’un Président et à l’avènement d’un autre, une inespérée implication pour le Belge que je suis ! Depuis le temps que je me rêvais républicain !

    Puis, la fin du monde n’eut pas lieu, ce qui nous parut un motif suffisant pour remettre le couvert. Et cent jours durant, nous vidâmes godet sur godet, alimentant entre les coups une publication post apocalyptique dont les échos sont sur le point d’inonder le marché et d’opérer un juste rééquilibrage dans la hiérarchie littéraire mondiale.

    Bref, Calipso m’a sorti du bois et, aujourd’hui encore, je frémis de cette tellurique déflagration dont les ondes sismographiques zèbrent les pages du blog d’un Écolier devenu maître en dénicheur de génies, non mais tiens, je vais me gêner !

     

     

    Elle en moi

     

     

    Je suis heureux. Moi, si commun, si banal, je dors toutes les nuits avec une femme amoureuse, à la peau douce et parfumée.

    La première fois que nous avons couché ensemble, je n’en suis pas revenu. Sa chaleur, quand j’étais si froid : inoubliable. J’aurais voulu l’absorber tout entière, devenir perméable, qu’elle m’imbibe et me gonfle comme une éponge. Mais je devinais qu’elle me voulait ferme : dur au dehors, tendre au-dedans. Ce que je fus, en recevant son corps. Que j’ai épousé, moulé, m’efforçant de n’exister que par lui, de n’en être que le prolongement. Illusion sans doute car j’étais glacé, je sentais bien que j’étais glacé, sinon comment l’aurais-je perçue, elle, si chaude ?

    Mais elle a paru apprécier ma fraîcheur, puisqu’elle s’est lovée sur le côté, a étendu les jambes, les a croisées et décroisées plusieurs fois, frottant l’intérieur de ses cuisses l’une contre l’autre, et m’offrant l’extérieur de l’une, puis de l’autre, roulant contre moi et me caressant, paumes ouvertes.

    Je n’osais pas bouger, m’attachant juste à lui renvoyer passivement ses caresses. Un parfum est monté d’entre ses jambes, de plus en plus prégnant. Parfum que j’ai contenu : pas le laisser s’échapper, pas en perdre un effluve ! J’ai dilaté toutes mes fibres. Ah ! Recevoir cette exhalaison-là, la garder jalousement et la distiller, juste pour moi, longtemps après qu’elle serait partie, me livrant, c’était inévitable – j’en frissonnais par avance – au froid de la chambre.

    Elle a gémi. Le rythme de ses jambes s’est accru jusqu’à devenir irrégulier, tantôt à peine perceptible – quand il se bornait à un massage interne, tantôt spasmodique – quand muscles et nerfs se relâchaient, expédiant une jambe entre nos draps, avant de la reprendre aussitôt, comme un ressort distendu revient à sa position première.

    Elle a sué et j’ai su sa sueur salée, me donnant plus que jamais le sentiment de n’être qu’une émanation d’elle, si forte et si dense qu’elle aurait pris corps. Elle me donnait plus que sa vie, elle me donnait la vie ! 

    Il y eut encore quelques spasmes irrépressibles, va-et-vient nerveux, avant l’ultime contraction qui a ramené ses cuisses l’une à l’autre, a replié ses jambes et courbé son dos, ramassant son corps en position fœtale. J’ai retenu mon souffle. Plus rien n’existait que cette absolue résorption.

    Pour prolonger cet instant jusqu’à l’insoutenable et contraindre ses muscles, elle a emprisonné ses jambes entre ses bras, collant à sa poitrine ses genoux – qu’elle a mordus. Elle a retenu un cri, avant de se détendre. Et son parfum s’est fait eau. Une eau grasse et riche qui m’a pénétré.

    Ainsi enfanté, je l’ai bercée, la nuit durant, sans jamais m’assoupir.

    Au matin, elle s’est étirée une seule fois, voluptueusement, avant de se lever, sans m’accorder plus d’importance que s’il ne s’était rien passé la veille. Elle a quitté la chambre et m’a laissé seul à respirer ses fragrances,  prisonnières entre nos draps. Hélas, quelques minutes plus tard elle revenait et me dévêtait d’un geste ample, délitant nos parfums et m’exposant au froid.

     

    Le lendemain, elle s’est couchée très tard, bien après que la nuit fût tombée. J’étais gelé et anéanti. Elle portait une chemise de nuit en soie qui la couvrait du cou aux chevilles, me privant presque entièrement de sa peau. Elle tremblait.

    Je me suis efforcé de la réchauffer, mais ce n’était plus pareil, il y avait de la méfiance en suspens. Elle se gardait du moindre mouvement, tandis que j’échouais à lui rendre confiance, à l’inciter à tendre le bras ou la jambe pour nous unir au-delà de sa seule empreinte. Je sentais bien que je restais froid, à peine capable de lui renvoyer sa propre chaleur.

    Endormie, elle s’est relâchée un peu, dépliant les jambes et changeant parfois de côté. Sans volupté. Sans amour. Moins pour rechercher le plaisir que pour fuir l’inconfort.

    Sa chemise de nuit surtout me gênait, qui formait écran entre elle et moi, quand j’avais tellement besoin de sa peau pour relancer mon cœur glacé.

    J’étais condamné à attendre son bon plaisir. Et si elle ne voulait plus jamais de moi ? M’étais-je montré maladroit ? Se repentait-elle d’une impudeur que je n’avais pas su respecter, sortant du rôle où j’étais cantonné ?

    J’aurais dû ne rien tenter cette nuit-là, mais j’en fus incapable. J’ai profité du moindre mouvement de ses jambes pour réduire et chiffonner la soie de sa chemise, jusqu’à dénuder ses cuisses.  Au-delà, je me suis heurté à une résistance nouvelle, un autre tissu, plus difficile à combattre, qu’un élastique ramenait sans cesse à sa position première. Je n’ai rien pu contre lui.

     

    Au fil des nuits, je me suis résigné. De quoi me plaignais-je ? Moi qui n’étais rien – ou si peu – tellement moins qu’elle, tellement moins vivant, moins libre, pour tout dire d’une autre nature, je dormais avec une femme magnifique ! Combien d’entre les miens n’avaient pas cette chance, combien croupissaient dans des chambres insalubres avec des filles de passage, parfois négligées ?

    Alors, petit à petit, j’ai appris à me contenter de son abandon placide. À respecter sa réserve. Le temps jouait en ma faveur : elle finirait bien par me céder à nouveau. Avec le temps, je me suis même nourri de cette attente : dès lors que j’avais acquis la certitude de revivre notre première nuit, cette procrastination qu’elle m’imposait, pour douloureuse qu’elle fût, ne me pesait plus.

     

    Un soir, elle a déboulé dans notre chambre beaucoup plus tôt qu’à l’accoutumée. Elle riait. Un brin enivrée, peut-être ? Elle s’est dévêtue à mes pieds, maîtrisant mal son excitation. J’étais prêt bien sûr, je n’attendais que cela. Ah ! Que ne pouvais-je le lui hurler !

    Elle s’est jetée sur moi. Je me suis raffermi pour mieux la recevoir. Je ne voulais pas qu’elle se blesse.

    C’est alors qu’autre corps m’a écrasé. Plus brutal, plus lourd. Un corps à l’odeur rance et à la peau rêche. Je me suis rétracté. Je ne voulais pas de corps-là, de cette moiteur qui déjà polluait mes fibres.

    Elle riait toujours. Elle s’est mise sur le côté, a joué un peu avec l’homme qui l’a très vite repoussée, avant de l’enjamber presque méchamment, meurtrissant mes entrailles de ses genoux et de ses mains fermées en poing. S’esbignant en elle, il dégouttait de sueur. Comment pouvait-elle supporter cela ? Comment pouvait-elle nous infliger cela ? J’aurais voulu crier. Tout juste ai-je pu gémir. À chaque assaut, j’ai gémi plus fort.

    Et là, miracle ! Il m’a entendu. Moi qui ne pouvais ni crier ni même parler, il m’a entendu. Il a cessé brusquement de la pistonner, ne se risquant plus, interloqué, qu’à quelques coups timides que je ponctuais à chaque fois d’un geignement sonore. Il s’est démené encore un peu, sans conviction, avec de moins en moins de force. Finalement, il s’est redressé :

    Ça suffit, Christine, c’est quoi ce lit ? Je ne peux pas continuer ainsi, ça me déconcentre.

    Elle a cherché à le calmer, lui caressant le dos :

    Allons, c’est ridicule, continue ! Qu’est-ce que ça peut bien faire ?

    Il a repris mollement. Mais je tenais ma chance et dès la première poussée, j’ai grincé plus fort que jamais. Il s’est une nouvelle fois retiré :

    — Zut Christine, vraiment je ne peux pas ! Marre de ce lit pourri. Allons ailleurs !

    C’est l’instant que j’ai choisi, moi, pour perdre mes deux pieds droits, envoyant valser l’amant sur le vinyle.

    Elle a ri à tue-tête et je l’ai accompagnée, du mieux que j’ai pu, en achevant de rebondir contre le plancher.

    Furieux, il s’est rhabillé à la sauvette, avant de lâcher : « Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle. Petite garce, va ! »

    Il a claqué la porte.

    Après qu’il fut parti, Christine a redressé et revissé mes pieds. Elle a changé nos draps et les a lissés du plat de la main. Autant de caresses qui m’auraient fait pleurer si j’en avais été capable.

    Après un passage par la salle de bain, elle est revenue, nue entre nos draps.

    Je l’ai bordée jusqu’au sommeil.

    Plus tard, j’en ai conduit le rêve. J’étais la mer. Marée, sac et ressac, vagues de plus en plus rapides, je pétrissais ma fée au creux de mes rouleaux.

    Et de son corps ainsi brassé, j’enregistrais les moindres rondeurs, creusant dans ma mémoire de cellulose le galbe de ses fesses, de ses seins et de ses jambes. Je l’ai si bien portée qu’au cœur de la nuit, en manque de moi, elle a commencé à bouger, puis gémir.

    Sous son sexe, j’ai formé une légère dépression, prêt à la recevoir à nouveau – et pleurant déjà.

    Notre joie revenue.

     

     


  • Commentaires

    1
    Lundi 11 Novembre 2013 à 14:49

    On peut rajouter un peu de Brassens dans ton texte d'un bel érotisme, Patrick :

    Et l'horrible mégère, ayant des tas d'amants,

    Il vieillit prématurément...

    Comme du bois de caisse, amère destinée,

    Il périt dans la cheminée.

    Une paille !

    2
    Yvonne Oter
    Samedi 23 Août 2014 à 17:58

    On sent que Patrick, tout bébé, a biberonné au Pékèt d'Outremeuse, fait ses dents de lait sur des gauf' au suc', connu ses premiers émois amoureux autour d'un boulet-frites. Cela laisse des traces, surtout au niveau des connections neuronales. Je sais de quoi je parle : les liégeois sont branchés différemment que les autres peuples, c'est ainsi.

    Bravo pour ce lit coquin et jaloux !

    3
    Joël H
    Samedi 23 Août 2014 à 17:58

    Bien, bien, bien..!

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    4
    Patrick LEDENT
    Samedi 23 Août 2014 à 17:58

    Yvette semble connaître tout de ma vie, Jean me renvoie pertinemment Brassens auquel je n'avais pas songé, quant à Joël, il semble méditer et troispetitpointe, comme s'il imaginait une suite à ma couche facétieuse. Chiche, Joël? Ici même?

    5
    Patrick LEDENT
    Samedi 23 Août 2014 à 17:58

    Pardon, Yvonne!

    6
    gene
    Samedi 23 Août 2014 à 17:58

    Encore !!!

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