• Babyclone (3)

     

    Journal imaginaire (3/3) par Patrick Essel

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    30 septembre - J'en ai assez des révélations fracassantes. Les bruits les plus fous circulent de l'autre côté. C'est épouvantable ! Un fracas incessant de cloches, de sonnettes, de sirènes auxquelles se mêlent autant de cris, d’injures, de suppliques et d'imprécations dont je ne saisis que quelques bribes.

    - C'est un siège ! Putain, c'est encore un siège ! Bon sang, vite ! Mettez en sommeil ! Mettez-moi ça en sommeil, nom d'une pipe !

    4 octobre - Quelque chose de détestable se trame. Où que j'aille désormais, il n'est question que de peine, de lésion et de déchirure. D'affreux éclairs de fièvre s'allument un peu partout. L'esprit ne me dit rien et il subit sans mot dire les pires humiliations. De l'air glacial et nauséabond jaillit à intervalles réguliers par la chicane et se répand jusqu'au fond du gouffre sans qu'il réagisse. Les petits mots que je lui adresse se perdent dans d’étranges culs-de-sac. Je ne sens presque plus rien de sa présence, comme s'il était en train de se détacher.

    5 octobre - J'ai opté pour une prudente position de repli, le temps de me faire une idée sur cette galerie si mal tournée qui est apparue brusquement au beau milieu de la cavité. Elle est pleine d'un liquide bouillonnant, gluant et amer. On dirait du sang mélangé à du goudron mais je me demande s'il ne s'agit pas d'un venin d'une nouvelle espèce. En plus, j'ai aperçu au fond de l'embrasure, une espèce de créature tout à fait hors du commun, constituée principalement de griffes et d'écailles. J'en ai encore les jambes en compote. L'esprit s'est manifesté un bref instant pour me dire de ne pas m'inquiéter. Il est drôle celui-là ! On voit bien qu'il n'est pas à ma place.

    30 octobre - Je n'ai plus le temps de tergiverser. J'ai été contraint, je ne sais comment à une furieuse rotation et maintenant j'ai le souffle coupé. Je suis suspendu entre le désir et la crainte. Non, c'est pire que de la crainte, c'est de la frayeur, de l’horreur, de l'épouvante. La détresse me gagne. Quelque chose m'emmène de force. Je tombe dans un trou et je crie. C’est tout ce que je trouve à faire, crier. Je suis pris dans quelque chose entre la vie et la mort et je crie. Il me faut absolument contrôler ma peur. A trop la révéler, l'esprit aura peur à son tour et il me lâchera cette fois pour de bon. Je glisserai seul, irrémédiablement.

    31 octobre - J'ai la nausée. Je ne sais pas comment venir à bout de cette chose au fond de ma gorge, il faudrait que je la crache mais je n'ai plus la force de rien, pas même de supplier.

    1er novembre - Cette fois, c'est fini. Je ne peux rien faire d'autre que me rendre. Une lame particulièrement bien effilée m'a déchiré le haut du thorax et ma bouche s'est immédiatement remplie d'encres amères. J'ai bien essayé de rester tranquille tout au fond sans respirer, comme s'il ne s'était rien passé mais une seconde lame plus acérée encore, s'est mise à tournoyer de tous côtés manquant à chaque instant me traverser la gorge ou le cœur. De rage, j'ai frappé des pieds et des mains un peu partout à l'aveuglette. D'autres lames ont alors envahi la béance, suivies d'une armée de pinces, de piques et de harpons. De l'autre côté, les invectives ont redoublé d'ampleur :

    - Etat de choc ! Détresse respiratoire ! Attention, il panique ! Putain, mais il va tout faire péter…

    2 novembre - Je suis un être de rien. Je ne peux que croupir dans les tréfonds. Je croyais avoir pris le temps de penser, de me faire une idée sur l'existence et voilà le résultat. Je n'ai aucune emprise sur le monde. Je ne sais même pas si j’ai envie de quelque chose.

    2 novembre - Qu'est-ce qui m'a foutu un clone pareil ? Mais bon dieu, qu'est-ce qui m'a foutu un clone pareil ? hurle un être gigantesque, tout près.

    Quelque chose m'empoigne. Quelque chose d'énorme qui me fracasse. Quelque chose d'ignoble qui vocifère et qui ne veut pas d'histoires. L'esprit m'a abandonné, livré à l'indicible. Rien ne m'est épargné. J'ai du baisser le regard. Ce que j'ai vu ne devrait pas être. Ce monde n’est fait que de flacons translucides à l'intérieur desquels s'agitent des milliers de créatures à mon image. Parfaitement contrefaites.

    3 novembre - Putain d'ADN !


  • Commentaires

    1
    Jean-claude
    Samedi 23 Août 2014 à 18:42
    Plus qu’une anticipation de science-fiction, je verrais surtout dans ce « Journal imaginaire » une trace brillante de l’intérêt que Patrick Essel porte au vivant à tous les stades
    2
    Magali
    Samedi 23 Août 2014 à 18:42
    C'est l'écueil de la prématurité, ça...
    3
    desiree
    Samedi 23 Août 2014 à 18:42
    ce texte me fait penser à un film de science fiction dont le titre m'échappe. Il s'agissait de clones.
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