• Aisance royale

    Julius

    On ne le dira jamais assez : si les cabinets d'aisance sont des lieux protégés par la loi sur la propriété individuelle, ce sont également des lieux de résistance à l'opression ; les occupations clandestines n'y sont pas rares et des activités ambiguës, souvent liées à des querelles intestitnes, s'y développent outrageusement.

    C'est pourquoi, nous avons décidé de rendre public ce témoignage recueilli auprès d'une personnalité de premier plan afin que tout un chacun sache comment sont réglées en notre beau pays les atteintes à l'ordre établi.

     

    Julius

    par Jean Calbrix

     

    Julius ne se plains pas, non. Il est dans cette prison dorée qu'est le château de Versailles. Il porte un bel habit de laquais comme nombre de ses semblables et il est astreint à résidence dans les communs sous les combles ou dans un couloir. Il ne connaît rien de la splendeur des lustres de cristal et des lambris décorés d'or sous lesquels la noblesse se pavane. Il est confiné dans un périmètre à ne pas dépasser. Il besogne, obtempère aux ordres sèchement aboyés par les maîtres d'hôtels et se tient en faction des heures durant pour qu'enfin le carrosse de Madame la comtesse apparaisse et qu'il ouvre la portière en tendant son bras en guise d'accoudoir. Il ne connaît plus la faim, il y a assez de miettes sur les tables desservies. Et même si le cuisinier veille à ce que ces miettes lui reviennent, il grappille derrière son dos. Et là aujourd'hui, il s'est emparé d'une belle grappe de raisin bien mûre, trop mûre, et s'en gave sous l'escalier à se péter la panse.

    Bien sûr, il lui arrive de regretter sa vie de berger dans sa Provence du côté de Manosque, vie faite de brimades de la part du maître, de quignons de pain rassi et de morceaux de lard rance, mais vie pleine d'étoiles et de grand air. Madame la comtesse, en visitant ses gens, l'avait repéré, gamin en guenilles au visage gris de poussière avec deux yeux immenses qui avaient absorbé le ciel. Alors, Madame la comtesse était repartie à Versailles avec armes et bagages et le petit berger.

    Son festin achevé, Julius va se remettre en faction le long du mur dans le couloir. Deux heures plus tard, on lui tend une missive à porter d'urgence à la marquise de Pontamousson. Il a l'habitude, c'est à la limite du périmètre autorisé. Mais cette fois-ci, une porte est hermétiquement close sur son chemin. Il réfléchit un petit moment, puis décide de contourner l'obstacle en empruntant un couloir parallèle. Il s'inquiète, il commence à ressentir des douleurs intestinales, mais il va de l'avant. Plus il avance, plus les salles sont grandes et richement décorées. Il rencontre un majordome auquel il demande sa route. Celui-ci le toise et lui fait un geste signifiant qu'il doit s'écarter de son chemin. Julius se méprend et croit que le majordome lui indique une direction. Son mal de ventre s'amplifie, mais il continue à aller de l'avant. Chaque fois qu'il voit des perruques poudrées à l'horizon, il se cache derrière un meuble ou une tenture.

    Cette fois, la douleur intestinale le tarabuste. Il y a urgence de déféquer. Il ouvre une porte et là, miracle, il aperçoit au milieu de la pièce une superbe chaise d'aisance. Il a juste le temps d'enlever ses hauts-de-chausses ; il se vide brutalement du contenu de son colon soumis aux insupportables contactions du sympathique.

    C'est alors que la grande porte s'ouvre devant lui, et que, le roi poursuivi par une cohorte de courtisans, pénètre dans la pièce. La surprise de part et d'autre est totale. Il y a un grand silence, puis des exclamations indignées et des rires. Le roi frappe sur le sol avec sa longue canne à pommeau d'or. Le silence se réinstalle instantanément et le roi déclare : "Garde, qu'on emmène ce drôle à la Conciergerie et qu'on le juge sur-le-champ".

    Julius fut décapité en place de Grève pour crime de lèse-majesté. Nul ne peut impunément violer le trône royal et mêler les divins excréments de sa Majesté à de la basse merde roturière.

     


  • Commentaires

    1
    Jeudi 9 Décembre 2010 à 18:42

    Très pertinente ta remarque, Magali, mais Julius a été vraiment décollationné et comme , j'ai voulu faire court - non pas parce que la décollation est plus courte que la pendaison, encore que l'on peut pendre haut et court - j'ai omis de dire que la missive envoyée à la Pontamousson révélait que Julius était un fils adultérin de monsieur le comte. Alors, les juges, informés de ce fait, ont accordé à Julius l'immense privilège d'être raccourci.

    Très bien ta remarque, Ysiad. L'immense mégalomanie de notre président-roi va peut-être le conduire à exiger que sa cour de ministres l'admire sur son trone 

    2
    Vendredi 10 Décembre 2010 à 13:07

    Quelle merveilleux commentaire, chère duchesse Nicole. Je comprends, chère Grandeur, que lorsqu'un plouc vous met votre petit nez raffiné dans votre caca, cela vous indispose. 

    3
    Vendredi 10 Décembre 2010 à 17:17

    Merci, Florent, d'avoir déposé un message sans complaisance. J'approuve aussi Nicole car un commentaire, même archipourri, c'est mieux que pas de commentaire du tout. Bon, elle me sert du "mon cher Jean". Outre que ça vous rapetisse un bonhomme, ça, et que c'est du vrai langage de diplomate, je lui ferais remarquer qu'on n'a pas gardé les brebis ensemble. J'en veux pour preuve qu'elle doit savoir de naissance que tout ce qu'il peut y avoir au fin fond de la campagne, "c'est sale, ça a peu de besoin et ça pue la misère" (Un automne en août p.138)

    4
    Vendredi 10 Décembre 2010 à 18:51

    Ah quand même, là, Florent, tu pousses loin le bouchon à me dire que je manque de diplomatie. J'avais retenu que la duchesse Nicole m'avait dit "Cher Jean" (la page où on écrit le commentaire cache les autres commentaires), ce qui aurait été une manière "élégante" de m'infliger sa condecendance. Mais elle a dit "Mon pauvre Jean". Alors, pour toi Florent, être diplomate, c'est tendre la fesse gauche quand on vous a botté la droite ? 

    5
    Samedi 11 Décembre 2010 à 00:11

    1.      Les charlatans sont là, voilà que l’on délaisse
    Le chemin des aïeux devant nous grand ouvert.
    Désormais il faudra marcher à découvert,
    Les bourreaux frapperont sans aucune mollesse.

    Ce nouvel esclavage sera payé très cher
    Par les faibles et les fous dans une marche lente
    Vers des gouffres sans fond, sur la lave brûlante
    Qu’ils en imploreront de périr dans la mer.

    Car nul ne saura plus ce qu’est une aube fraîche,
    Ce qu’est un coin de ciel, ce qu’est une couleur,
    Ce qu’est un rire clair, encor moins une fleur.
    Rien ne poussera plus sur cette terre sèche.

    Et c’est un cauchemar sur ton front qui se plisse,
    Un rictus sur ta lèvre au rouge de carmin.
    La raison a quitté tout ce qui fait l’humain,
    Tu ne connaîtras plus ni bonheur, ni délice !

    Allons, révolte-toi ! Fuis cet embrassement
    Des Judas se vautrant sur ta liberté d’homme.
    Avant que tu ne sois enchaîné, pauvre pomme,
    Qu’ils te fassent crever, doucement, doucement !

    6
    M le
    Samedi 23 Août 2014 à 18:20

    Pendu, cher Jean.

    Car c'est un privilège de la noblesse que la décollation.

    7
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:20

    Pauvre Julius. Dommage qu'il se soit laissé berner par l'autre. J'imagine bien notre petit tyran actuel sur le trône avec sa cour de ministres en train de l'encourager. Ca me requinque. Bon. Il est bien mené, ce pamphlet sous le règne du roi qui aimait faire la guerre. Vivant, on prend tout de suite Julius en sympathie. Bravo, Jean !

    8
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:20

    C'est bien, ce jaune d'or. C'est plus gai qu'avant.

    9
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:20

    Oups. Julius s'est pas fait berner, c'est n'importe quoi.

    10
    ysiad
    Samedi 23 Août 2014 à 18:20

    "Madame la comtesse, en visitant ses gens, l'avait repéré, gamin en guenilles au visage gris de poussière avec deux yeux immenses qui avaient absorbé le ciel".

    Extra, avec les allitérations et l'équilibre d'ensemble.


    11
    Nicole
    Samedi 23 Août 2014 à 18:20

    Vous devez être en manque d'inspiration, mon pauvre ami. Heureusement que l'on peut trouver ailleurs des textes plus relevés.Vous avez sans doute été élevé au fin fond de la campagne, mais ce n'est pas une raison pour nous en faire profiter.Je ne vous félicite pas! 

    12
    Florent
    Samedi 23 Août 2014 à 18:20

    J'approuve totalement Nicole, aussi ne ferai-je pas dans le commentaire de complaisance. Chacun sait, jean, que notre corps se compose,  entre autres, de glandes, organes, chair et de circuits d'évacuation. Etait-il nécessaire de votre part d'en rappeler le fonctionnement? De surcroît, cette façon de répondre à cette dame laisse à penser que vous n'êtes pas très diplomate. Si vous aviez été roi à Versaille, votre blason n'aurait pas été orné de fleurs de lys, mais de fleurs de "lotus"...

    13
    Blaise
    Samedi 23 Août 2014 à 18:20

    Quel poète ce Jean,on en redemande.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :