• Accroche-coeur

     

    Va t’en ", c’est l'un des titres signé par Jacqueline Coulomb pour le recueil " De Temps en Temps " du groupe Folitudes.

     

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    Debout devant la vieille maison abandonnée, il se demandait quel instinct l’avait poussé à cette retraite absurde : vouloir la solitude dans le village de son enfance, avoir insisté pour louer cette ferme que nul héritier ne revendiquait, promise à la démolition !

     

    " En êtes-vous sûr ? " avait dit le maire. " Vous aurez froid, vous n’aurez aucun confort ". Il n’en avait cure. Brutalement, sa femme avait bouclé ses valises et dit qu’elle partait pour une nouvelle vie. Cela seul l’obsédait. Il avait besoin de digérer le choc, de se retirer quelque part, là où il ne verrait personne. Accompagné d’un maigre bagage et de son ordinateur, il était arrivé dans cette maison sinistre.

    Et maintenant, ses certitudes l’abandonnaient. La nuit tombait, des nuages noirs s’effilochaient au-dessus de sa tête. Quelle sombre soirée en perspective !

    Allez, courage, tourner la clé dans la serrure, faire un brin de ménage, un feu, dîner sommairement, après, on y verrait plus clair. Un froid mortel régnait dans la cuisine. Une épaisse couche de poussière recouvrait les meubles vermoulus. Les araignées avaient tissé leurs toiles dans tous les angles.

    Dans quel coin de cette pièce allait-il installer son lit de camp ? Quelle vieille table consacrerait-il à son ordinateur ?

    Il faut tout de même faire entrer le monde dans cette thébaïde ! Il allume la radio, se connecte sur Internet. Dans son souvenir, l’escalier du fond conduisait à l’étage dans les chambres. Là-haut, des relents mortifères agressent les narines. Depuis quand n’a-t-on pas aéré ? Qui a vécu là en dernier ? " Je ne remettrai plus les pieds à cet étage. Toutes ces portes resteront fermées. Les fantômes ne descendront pas me rendre visite ", se surprend-il à dire à haute voix.

    Une vague d’effroi l’habitait, contre laquelle il mobilisait ses défenses. Sans doute une fois restauré, réchauffé par le feu, oublierait-il ses appréhensions : il dormirait… Demain serait un autre jour.

    Avant de se coucher, il inspecta les alentours. Des lumières brillaient aux fenêtres de la ferme voisine dont il était séparé par un bosquet. Le vent hurlait dans les branches. La lune descendante ne donnait qu’une faible clarté.  La nuit de Walpurgis,  essaya-t-il d’ironiser !

    Pas une âme dehors. Quelques aboiements dans le lointain. Une atmosphère de fin de saison. Il frissonna.

    Le froid du petit jour le réveilla et son premier café ne parvint pas à dissiper son angoisse. Son ordinateur était allumé. Il croyait l’avoir éteint la veille. Son esprit serait-il absent à ce point ?

    Des signes incohérents, des lignes enchevêtrées s’affichaient. Quelle en était la signification ? Refusant de se poser d’autres questions, il éteignit. Il était urgent de faire de l’exercice. Il partit donc à pieds reconnaître le village, pensant que personne ne devinerait dans l’homme qu’il était, l’adolescent d’autrefois.

    Dans le jardin public, il vit une femme assise sur un banc : la quarantaine, blonde, un visage qui lui parut familier. Avec un grand sourire, elle fondit sur lui : " Jérôme, toi ici ? Que fais-tu chez nous ? Je t’ai reconnu tout de suite ".

    Il hésita : " Isabelle, la sœur de ton ami Jeannot, tu ne te souviens pas ? "

    Ils échangèrent souvenirs d’enfance et récit de leurs vies. Elle avait épousé l’ami dont les grands-parents avaient quelque temps habité la ferme en ruine.

    Veuve, son mari ayant eu un accident de voiture, elle avait quitté la région, puis était revenue avec son second mari dont elle était séparée.

    Il ne fit pas d’autre rencontre et rentra chez lui. L’impression d’angoisse se manifesta à nouveau. Des corbeaux croassaient. Les pommiers victimes de la sécheresse étendaient leurs branches pâles comme des spectres végétaux.

    Dans la cuisine régnait un silence pesant et une odeur indéfinissable. L’ordinateur clignotait. Une fois de plus, il avait cru l’avoir éteint en partant. Il s’approcha. L’inquiétude l’envahit. Deux mots s’affichaient sur l’écran : " va-t-en ". J’hallucine ! se dit-il. Il se frotta les yeux. Le texte était le même. Un doute lui vint quant à sa santé mentale. Il se pinça : " Oui, je sens la douleur, donc je suis ". Retrouver ses esprits, faire appel à la logique : " Quelqu’un est entré, me fait une mauvaise plaisanterie. Les revenants n’existent pas " !

    A demi rassuré, il éteignit le MAC, alluma la radio, le feu, se força à prendre l’escalier des chambres. Rien n’avait changé là-haut : Ni l’odeur, ni la poussière, ni le silence sépulcral. Il fallait préparer le repas, essayer de vivre comme si de rien n’était, verrouiller la porte, ensuite trouver le sommeil.

    Huit heures s’égrenèrent au clocher de l’église. Il s’assit, un peu accablé, plongé dans ses pensées, troublé jusqu’aux tréfonds de l’âme. Dans le lointain un aboiement…

    On frappa à la porte. Le bruit le fit sursauter.

    - Qui est là ?

    - C’est Isabelle, fit une voix. J’ai pensé que tu étais seul. On peut dîner ensemble ? J’ai tout apporté.

    Partagé entre l’envie de rester seul et le besoin de compagnie, il finit par ouvrir.

    Chaleureuse, Isabelle installa ses provisions et ouvrit une bonne bouteille. Assis auprès d’elle devant la cheminée, il sentait s’effacer l’angoisse.

    Petit à petit ils se rapprochèrent dans une étreinte d’abord timide, puis plus précise. Quoi de mieux que l’amour, entre deux êtres solitaires, pour s’évader…

    Elle exigea d’aller à l’étage, ne voulant rien entendre des protestations de son partenaire. Un vent violent les saisit dès qu’ils eurent ouvert la porte. La fenêtre battait… Elle était pourtant fermée quelques instants avant…

    Malgré sa répugnance à se trouver dans ce lieu, il enlaça sa partenaire et essaya d’oublier. La nuit leur appartint, mais lui laissa un sentiment d’incomplétude, d’irréalité.

    Il se réveilla, frigorifié, seul. Pas de trace de sa compagne. Aucune voiture dans la cour. N’avait-elle pas parlé de sa voiture ?

    Il avait besoin d’air.

    Dans le jardin voisin, la fermière était au travail. Il éprouva le besoin de lui parler d’Isabelle.

    " Isabelle ? dit-elle, en ouvrant de grands yeux, vous devez vous tromper. Elle a été assassinée il y a deux ans par son mari. Il est en prison où il purge une peine à perpétuité ".

    Livide, il s’affala sur le banc. Dans la salle commune de sa ferme, l’ordinateur affichait : " On ne trouble pas le repos des disparus. Laisse ces lieux où tu as pactisé avec les forces de l’enfer. Va t’en. "

    Jacqueline Coulomb


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