• A propos... des regards Vénitiens

                                                               Photo Monique Marquès

    Gilbert Marquès nous emmène ce soir en voyage du côté de Venise, sur la scène du carnaval bien sûr mais aussi dans les coulisses d’un imaginaire qui a su résister autant à l’obscurantisme qu’à sa mise en spectacle…

     

     

     

    La morosité ambiante nécessite, pour y faire face, de l'oublier parfois en se laissant entraîner par la magie et le rêve. La période des carnavals offre cette parenthèse bienfaitrice d'évasion indispensable. Ainsi me suis-je laissé envoûter par le dépaysement procuré par l'un des plus célèbres, le Carnaval de Venise.

     "Voir Venise et mourir" affirme une expression populaire détournée et aux origines controversées. Charles AZNAVOUR prétend pour sa part que "Venise est triste au temps des amours mortes".

    Venise, la ville des amours au superlatif…

     Qui ne connaît pas des noms de lieux ou de monuments qui l'ont immortalisée ? Le Palais des Doges, la place et la basilique San Marco, les ponts du Rialto ou des Soupirs… Venise et sa riche histoire illustré par de somptueux palais ! Venise à l'image d'Epinal des gondoles légendaires ! Venise et sa lagune ! Venise…

     

    Venise certes mais y séjourner ne m'enchantait guère. Architecture trop surchargée inspirée de l'école byzantine et symbole majeur de l'époque baroque que je n'apprécie pas spécialement. Venise où la religion, omniprésente avec ses quatre vingt églises, semble trop pesante au mécréant que je suis. Venise et sa magnificence héritée d'un passé chargé dont elle ne semble toujours pas sortie. Venise sentimentale et nostalgique ! Venise, cité bateau au brouillard nauséeux et aux odeurs fétides ! Venise, colosse aux pieds rongés la maintenant dans un équilibre instable !

     

    Venise, pour être franc, ne m'attirait donc pas vraiment mais… Il a fallu le rêve entêté et la passion obstinée pour la peinture d'une femme, pour me convaincre de tenter l'aventure du Carnaval de Venise en ce mois de février 2009. La Dame avait deux objectifs majeurs à ce voyage qu'elle projetait depuis longtemps. D'abord, visiter églises, palais et musées et, en particulier, la prestigieuse Galerie dell'Academia qui abrite les œuvres des grands maîtres vénitiens classiques parmi lesquels BELLINI, LE TINTORET ou encore VERONESE, dont elle voulait découvrir les tableaux physiquement. Si les thèmes religieux couvrant la période du Moyen Age à la Renaissance dont se sont inspirés ces peintres ne m'émurent pas beaucoup, je dus sacrifier au pèlerinage pour servir d'interprète et j'eus droit, en prime, à une leçon de technique sur la peinture de cette époque. Je pus ainsi mieux comprendre de nombreux détails qui m'avaient échappé jusqu'ici.

     

    Et toutes ces ballades ad pedibus, évidemment, puisque aucun véhicule ne circule dans les étroites venelles sauf, bien sûr, des bateaux sur les canaux, se déroulèrent dans l'étrange atmosphère du carnaval, seconde raison de notre venue. Elle trouvait sa justification majeure dans la nécessité de tirer des centaines de clichés des personnages plus apprêtés que déguisés, ces photos devant servir au retour, à la création d'une nouvelle série de tableaux.

     

    Moins professionnel que Madame, j'étais seulement spectateur mais peu à peu, l'événement qui me parut presque banal sinon empreint d'un certain snobisme au début, transforma ma vision de Venise. Non pas que j'aie changé d'avis sur la ville elle-même, carte postale au décor trop clinquant cachant mal une certaine décrépitude, mais elle prenait néanmoins à mes yeux un autre aspect, à la fois plus mystérieux et étrange, dépaysant, au cœur duquel je dus pénétrer presque malgré moi.

     

    Madame m'y contraint. Ignorant la langue de DANTE, elle m'utilisait comme intermédiaire pour demander aux personnes costumées de poser. J'eus ainsi la surprise de constater que la plupart des participants n'étaient pas Vénitiens ni même Italiens mais Allemands ou Français en majorité. Approchant donc les… comédiens de tout près, je pus admirer à loisir la beauté des costumes aux raffinements extrêmes tant au niveau des tissus souvent précieux que des broderies fines faisant immanquablement penser au patient travail des brodeuses de l'île de Burano toute proche. Sous un soleil complice malgré la froidure, les couleurs chatoyaient au point effectivement de pouvoir inspirer un peintre, même profane, par la palette des nuances variant selon la lumière. Il y avait matière à aiguillonner l'imagination pour transposer l'illusion sur une toile.

     

    Plus encore que cette débauche de luxe suranné évoquant un glorieux passé d'or et de lumière, je suis resté totalement fasciné par les regards sous les masques, ceux des femmes plus particulièrement. Nombre de ces personnes, vêtues comme au Grand Siècle, restaient muettes lorsque je m'adressais à elles, acquiesçant à mes exigences de metteur en scène d'un geste gracieux ou d'un hochement de tête poli. Nous échangions cependant, dialoguions presque uniquement au moyen d'attitudes et plus encore, par nos yeux. Je découvris ainsi, sous les traits figés des masques dissimulant les visages, le seul moyen d'expression vivant : les yeux et ce qu'ils exprimaient. Je pus y lire, je crois, toutes les expressions possibles allant de la lassitude au rire, de la morgue hautaine à la complicité amusée. Je vis des yeux de toutes les couleurs imaginables et tous possédaient, magnifiés sous le fard à la teinte assortie au costume, ce petit détail qui change tout : ils étaient empreints… d'humanité. Certes, ces personnages déambulaient pour être vus, admirés, photographiés, immortalisés pour une gloire aussi éphémère qu'anonyme et peut-être entrait-il une part d'hypocrisie dans leur représentation mais dans aucun je n'ai constaté l'indifférence.

     

    Je comprends mieux maintenant pourquoi Venise, au-delà de tous les clichés qui lui sont attachés, a acquis cette célébrité voulant que tout visiteur succombe à son charme. Par les mystères historiques d'une volonté acharnée à créer une ville sur l'eau, par une géographie complexe compliquant l'existence dans les gestes ordinaires, l'être humain atteint sa vraie dimension. Il a su s'adapter à cette configuration lacustre qui l'oblige à prendre le temps de vivre, le plaçant ainsi hors du temps. Cette tradition millénaire rend Venise unique en son genre dans le monde occidental, plus humaine peut-être pour les populations qui y vivent quotidiennement et qui n'ont pas d'autre choix sinon celui d'en partir. Pour ma part, j'ai seulement l'envie d'y retourner parce que comme beaucoup d'autres, j'en suis bêtement tombé… amoureux.

    Aussonne, le 13 Mars 2009

     

    Notons au passage que le dernier ouvrage de Gilbert Marquès, " La trilogie du pouvoir " recueil d'essais et de nouvelles de S-F traitant des sujets d'actualités que sont la mondialisation, la pensée unique et le sauvetage de la planète, paru en novembre 2008 aux éditions Du Masque d'Or vient d'être couronné d'un premier prix attribué conjointement par l'association culturelle L'Île des Poètes et la revue "Rencontres".


  • Commentaires

    1
    yvonne lmr
    Samedi 23 Août 2014 à 18:30
    Magnifiques,  les regards empreints d'humanité de ces visages dissimulés derrière les masques...  Evocation fascinante de Venise  dans ce texte.
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