• A la belle étoile (6)

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    Agathe Costes, l'étoile du jour

    j'ai 31 ans, je travaille comme écrivain public et je suis basée à Montpellier. J'ai commencé le métier de mes rêves il y a peu et je me consacre désormais pleinement à l'écriture. Si vous souhaitez en savoir plus sur mon parcours, je vous propose d'aller directement sur mon site à la page Identité cabinet : http://www.cabinetagathecostes.com/. Et si vous aimez les jeux de mots sans prétentions, vous pouvez toujours aller jeter un oeil à mon blog...

     

    Une réussite inattendue

     

     

    On a toujours dit à Sébastien qu’il était trop petit pour le tennis. Mais Sébastien s’en fichait. Il savait, lui, qu’il était prêt à taper dans une balle tous les jours de sa vie, à toutes les heures, dans toutes les conditions. Sébastien possédait la folie nécessaire à ceux qui accomplissent les plus grands exploits. Il semblait bien être le seul à en avoir conscience. Ses parents ne le poussaient pas plus que ça. Ses entraîneurs tentaient, en vain, de calmer son enthousiasme. Et ses camarades de l’école ne le jalousaient pas…

    - Pfff… tous des imbéciles, enrageait-il lors de ses séances quotidiennes contre le mur.

    Les années passèrent et Sébastien continua à taper avec déraison dans une balle jaune. Il avait su développer des caractéristiques en accord avec sa morphologie. Il était petit certes, mais beaucoup plus véloce que tous les « grandasses fadasses » qui servaient à 180 km / h. Sébastien maniait à merveille toute la panoplie des effets que l’on pouvait infliger à la balle. Cette aisance dans l’action et son sens du placement rendaient ses coups moins percutants que ceux des autres joueurs,mais tout aussi efficaces. Et surtout moins risqués. Moins forts, donc moins fatigants, doncplus réguliers, donc moins risqués. CQFD. Un spécialiste du quadrillage des lignes le petit Séb.

    A l’âge de 15 ans, il commença à régulièrement gagner de l’argent dans les tournois. Ses parents s’enthousiasmèrent : ils n’auraient pas à financer ses études !

    - Des études, quelles études ? questionna Sébastien décontenancé.

    - Eh bien des études universitaires mon chéri, répondit sa mère avec une lueur d’inquiétude dans les yeux.

    - Mais maman je n’aurai pas le temps avec tous les tournois à l’étranger ! s’emporta-t-il.

    Son père et sa mère s’étaient regardés et n’avaient rien ajouté.Cependant, leur ado avait bien compris qu’ils attendaient qu’il se rende à l’évidence. Ce qui décupla sa motivation.

    A tel point qu’à 18 ans, la machine s’est emballée.

    « Sébastien a explosé ! »,était le leitmotiv del’entourage fraîchement constitué du jeune homme. La fédération et toute sa panoplie d’entraîneurs aux teints hâlés et aux mèches blondies par le soleil lui faisaient désormais une cour acharnée. Un sponsor notable s’était proposé. Les filles commençaient à pulluler autour de Séb, sa petite taille n’étant visiblement plus problématique pour quoi que ce soit…

    Son nouveau staff évoquait le passage chez les « pros ».Sébastien gagna quelques semaines plus tard son premier tournoi international. Une confirmation pour lui, une révélation pour d’autres. Il décida de passer professionnel et de faire l’impasse sur les études supérieures. Ses parents le laissèrent faire même s’ils n’en pensaient pas moins.

    - Après tout il a 18 ans, avait testé sa mère en observant la réaction du père du coin de l’œil.

    Son époux lui répondit alors ceci :

    - On va laisser du temps au temps.

    Séb fit vite des étincelles. Son profil atypique rendait la plupart des autres joueurs complètement fous à force de variations et d’excellence tactique. Il ridiculisait avec espièglerie tous les Goliath qui se trouvaient sur son chemin. Ces derniers lui proposaient toujours la même réponse : d’abord des grands coups droits surpuissants sur le terrain, ensuite des grands coups droits surpuissants hors du terrain et enfin un grand jet de raquette surpuissant sur le terrain. Le travail de sape du marathonien des courts faisait toujours son petit effet.

    De plus, Sébastien fréquentait désormais la nouvelle égérie du Top ten féminin, ApollinaMoulakova, une grande et belle blonde tchèque de 20 centimètres son aîné.

    Nous voilà donc le petit Séb, 20 ans, toutes ses dents, avec une grande tige blonde et la meilleure progression de l’année au classement ATP.

    Sébastien se mit à bouder ses parents qui, à son goût,n’avaient pas particulièrement manifesté leur joie face à sa réussite.

    Roland Garros arrivait à grands pas. Sébastien était en train de faire tomber toutes les têtes de série sur la terre battue de Monte-Carlo. Champagne, champagne…

    Il s’était brillamment hissé jusqu’en finale. Et là, il avait même bénéficié d’une première balle de match contre le numéro 1 mondial !

    Mais patatras.Alors que s’offrait à lui un coup extrêmement facile,Sébastien avaitcarrément « satellisé » la balle. Les spectateurs étaient tellement choqués qu’ils étaient restés immobiles, sans un bruit. Comme le numéro 1 mondial qui, d’ailleurs, n’en attendait pas tant.  

    Sébastien, en néo-champion qu’il était, se reconcentra tout aussi vite et réalisa à la vitesse de l’éclair le deuil de cette occasion immanquable manquée.

    Il s’apprêta à servir et au moment de frapper la balle, il cria. Un autre cri lui succéda, comme un écho. Une pauvre spectatrice venait de se prendre la balle de service de Sébastien. Les 160 km / h à laquelle la petite boule jaune avait été directement projetée sur ses nasaux la faisait saigner abondamment. Fracture du nez, balle de break : la totale.

    En dépit du néo-champion qu’il était, Sébastien commença à tergiverser quelque peu…Il décida alors de prendre son temps, d’évacuer ces soucis et d’attendre l’évacuation de la spectatrice…

    Après quelques minutes, il servitde nouveau et, cette fois, il choisit d’assurer son coup :

    - Mieux vaut une balle facile sur le court qu’une balle difficile en dehors, se dit-il avec la sagesse du vieux routard qu’il n’était pas.

    Sébastien tapa la balle doucement. Tellement doucement que son trajet se terminadans son propre carré de service.

    Nous ne vous conterons pas la fin de ce match, ni de tous les autres, ni de tous ses entraînements après ce drame. Sébastien avait attrapé une maladie inconnue.Même les plus grands spécialistes ne parvenaient à l’identifier. Au golf, certains avaient remarqué une anomalie chez plusieurs grands champions. Ils nommaient cela le « yip » : au moment de taper la balle avec le club, un infime mouvement parasitemodifiait complètement le geste des meilleurs golfeurs. Sébastien constituait un cas encore plus complexe car ces événements n’étaient non pas rares mais systématiques. Il décida d’arrêter sa carrière lorsque plusieurs directeurs de tournois s’apprêtaient à voter une demande destinée à l’interdire de venue sur leurs courts. Un phénomène issu des nombreux risques que Sébastien faisait courir au public. Après six mois de résultats navrants, il avait dans l’ordre :

    1) cassé le nez d’une spectatrice,

    2) fait éclater le dentier d’un supporter allemand,

    3) déboîté l’épaule d’un arbitre de chaise.

    Sans compter les sponsors qui commençaient à rechigner à offrir des balles aux organisateurs de tournois quand Sébastien y participait.

    Parallèlement à cette terrible déchéance, on n’a jamais su si ApollinaMoulakovaavaitpris ses distances pour sa propre sécurité ou parce qu’elle avaitvite senti le vent tourner. En tout cas fini Apollina, fini les tournois, fini les voyages, fini les sponsors, fini les entraînements, fini le tennis.

    Le désert, la nuit, l’obscurité, le « Dark-shadow-des-ténèbres » était devenu le monde de Sébastien qui ne comprenait désormais plus pour quelle raison il était encore vivant. Il avait sué sang et eau pour le tennis. Il avait bu, lu, mangé, respiré, dormi tennis. Aujourd’hui c’était terminé. Clap de fin.

    21 ans et toutes ses dents, il rentrait chez ses parents.

     

    Dépression et questionnement perpétuel. Sébastien réalise alorsque quand on a passé toute sa vie à atteindre un objectif, il nous transforme à tel point qu’on en oublie sa propre identité. Mais une fois que la route est barrée, quel est le chemin à suivre ?

    Maman veillait et couvait tendrement tandis que papa répétait régulièrement :

    - Il faut laisser du temps au temps.

    Sébastien ne comprenait non seulement pas ce que son père voulait dire avec cette expression qu’il qualifiait d’absurde, mais la répétition fréquente de la maxime l’agaçait considérablement.

    Le temps finit par laisser du temps au temps et Sébastien fêta ses 28 ans. Le tennis ne faisait plus partie de sa vie. L’effacement de ses soi-disant amis du circuit avait été aussi rapide que sa chute, il avait bien retenu la leçon. On lui avait proposé de devenir commentateur à la télévision,mais il avait préféré s’investir dans ses études d’architecture et dire définitivement adieu à ce milieu.

    Il sentait que ses parents étaient - enfin - fiers de lui mais il ne saisissait pas vraiment pourquoi. Depuis quelques mois déjà il ne parvenait pas à trouver du travail, ce qui le chagrinait. Heureusement, ses études l’avaient amené à rencontrer des amis fidèles et il se ressourçait souvent en leur compagnie. Il considérait ces amitiés comme un grand luxe car, à dire vrai,ses copains se fichaient éperdument de son passé de champion.Ils appréciaient surtout sa vivacité d’esprit et son humour.

    Sébastien avait, en outre, rencontré Morgane durant sa dernière année d’études. Morgane était une ravissante et pimpante petite brune. Sébastien avait souvent l’impression que son rire cristallin illuminait toutes les pièces dans lesquelles elle entrait.

    Un après-midi, en rentrant d’un entretien d’embauche, il croisa une vieille connaissance qui ne le ravit pas : Sonia Bosc. Elleétait chargée des espoirs à la fédération française de tennis. En dehors de ses compétences de coach, elle était surtout connue pour être une langue de vipère notable. Sébastien tenta de s’éclipser au plus vite mais la « fouine » n’allait pas le laisser partir sans emmagasiner quelques infos juteuses, comme le fait qu’à 28 ans il n’ait pas de travail ou qu’il vive toujours chez ses parents... Chez certains, les défaites des autres sont leurs propres victoires. Allez comprendre.

    Séb était rentré déconfit. Du coup,à son arrivée à la maison,sa mère et Morgane ne posèrent aucune question sur l’entretien d’embauche. Son père, nettement moins intuitif, lança les débats :

    - Alors Séb, comment ça s’est passé ?

    - Plutôt bien, je pense qu’ils vont me rappeler cette fois.

    Incompréhension chez les éléments féminins de l’assemblée. Morgane sut conserver sa curiosité pour elle. Sa mère non.

    - Mais qu’est-ce qui ne va pas alors ?!

    Sébastien parut étonné.

    - Comment ça, qu’est-ce qui ne va pas maman ?

    - Eh bien à toi de me le dire, tu as la tête des mauvais jours…

    Le papa, poing serré sur la bouche, faisait mine de comprendre ce qui se tramait. Ce n’était pourtant pas le cas.

    Soupir de Sébastien.

    - Je...j’ai…

    Morgane sentit le malaise de son amoureux. Elle s’approcha de lui et posa doucement sa main sur son dos.

    Sébastien prit sa respiration.

    - J’ai croisé Sonia Bosc.

    - Ah quelle peste celle-là !laissa échapper son père, enfin soulagé de comprendre des sous-entendus qui n’en étaient plus.

    Sébastien sentit la colère monter en lui…

    - Ca fait presque dix ans que j’ai quitté le tennis et je croise cette garce qui me toise et enregistre que je vis encore chez mes parents et mendie pour avoir du travail ! cria-t-il, frustré.

     

    Il y eut un silence. Ses parents et Morgane avaient été surpris par l’intensité de sa colère. Ils savaient bien que leur petit Séb serrait les dents depuis un moment mais ils n’avaient peut-être pas imaginé à quel point.

    Il enchaîna :

    - Je ne suis pluscapable de faire un coup droit ! Je ne suis pas capable de trouver un boulot et d’avoir un salaire, pas capable de prétendre à un appartement ! Pas capable de subvenir aux besoins de Morgane !

    - Mais je n’ai surtout pas envie que tu subviennes à mes besoins mon chéri, coupa Morgane d’un ton sûr mais doux.

    Deuxième silence.

    - Tu n’en es pas capable, non, reprit son père. T’as pas de boulot, pas d’appartement, tu vis chez tes parents. Tu es un loser.

    Sébastien, sa mère et Morgane étaient figés, définitivement surpris de la réaction du père.

    Ce dernier enchaîna :

    - Ca, c’est que dit et pense ton ancien monde. Mais réfléchis bien et souviens-toi. Etais-tu heureux quand tes amitiés se comptaient au nombre de tournois que tu gagnais ? Aujourd’hui, tu es en train de devenir un homme.Tu t’es lancé tard dans des études extrêmement longues et difficiles et tu as réussi. Tu t’investis dans ta recherche d’emploi, ça va marcher, il faut juste être patient. Tu prends soin de ta bien-aimée et tu es toujours le premier à aider tes amis et même, nous, tes parents. Tu es en train de poser ta vie sur les bons rails mon fils.

    Son père avait réussi à l’apaiser en quelques secondes. Il ajouta :

    - Il suffit juste de laisser encore un peu de temps au temps.

    Sébastien sourit. Laisser du temps au temps. Il avait enfin compris.

    Les grands réalisateurs le savent. Un film n’a pas le même sens selon où l’on positionne sa caméra.

     


  • Commentaires

    1
    dominique guérin
    Samedi 23 Août 2014 à 18:15

    Ou comment tirer leçon des aléas de la vie y compris quand on est en quelque sorte responsable de l'engrenage.... Une leçon de tennis aussi, pour moi qui ne pratique ce sport ni de loin, ni de près.^^ Le héros aurait pu être "imbuvable", il se retrouve pourtant en fin de texte avec un gros capital sympathie...

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