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    La montre

    Joël Hamm

     

    Cette saloperie de Heavy Metal gueulait ses insanités par les fenêtres ouvertes. Ce genre de musique, ça me prend la tête. J’avais mon Glock dans la poche de mon blouson. La porte d'entrée était grande ouverte. Je suis entré. Zenacker était allongé sur un canapé, une bière à la main, les pieds nus sur un tabouret. Il n'a pas réagi quand je l'ai braqué, il s'est juste marré. Complètement pété. Ce mec était tellement stone qu’il restait là, à rigoler doucement. Il se foutait de moi. J'ai flingué son ampli. Ça l’a calmé. C’est là qu’une porte s'est ouverte dans un coin de son taudis et qu’un autre mec s’est pointé dans l'encadrement. Énorme, gonflé de partout, le bide débordant du jean, l’œil vitreux. Il a dit à Zénacker : C’est quoi ce nain de jardin, tu ouvres une garderie ? Et il s’est accoudé au buffet, tranquille, sa cannette à la main, shooté lui aussi ! Comme si je n’existais pas, comme si j’étais une hallucination. Ils auraient dû me faire pitié, mais j’ai vu le poignet du gros quand il s’est accoudé. Un cadran bleu, la montre de Zoubir. On en avait chouravée une cargaison dans un camion. La preuve que c’était ces zombis qui avaient liquidé Zoubir. Putain, piquer la montre d’un cadavre ! Leur victime. J’ai plié le gros en deux d’un coup de pied. Quand Zénacker a bondi sur moi, j’ai tiré, d’instinct. Mon bras a cogné le mur à cause du recul et un deuxième coup est parti tout seul. C’est le gros qui a morflé. Quelque chose a giclé, un œil, un bout de joue, un truc comme ça. Rouge. À gerber ! Zénacker était sur moi, j’ai encore pressé sur la détente.

     

    Brève, 22 juin 2014

    Nuit de la fête de la musique, un homme abattu par balles rue St Blaise dans le XXème arrondissement de Paris.


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    Si on me demande mon avis

    Sophie Etienbled

     

     

    Vivre

    Moi je veux vivre

    Mais pas comme ça

     

    Je ne veux pas de ces machines qui respirent à ma place

    Je ne veux pas ces tubes, ces tuyaux, ces alambics

    qui transforment mon sang en plomb

     

    Je ne veux plus être cloué à ce lit cette chambre cet univers

    neutre jusqu'à l'écœurement jusqu'à l'assoupissement

    Je ne veux plus entendre les chuchotements les pleurs

    les cris où l'on dispute de ce que ne sera pas mon avenir

     

    Vivre

    Moi je veux vivre

    Mais pas comme ça

     

    Je veux marcher dans les champs ignorant le cours du Temps

    Je veux me gaver d'odeurs de musiques de couleurs

     

    Je veux m'emplir les poumons du vent qui terrasse les herbes

    Je veux aspirer l'étouffante senteur des moissons

    Je veux l'âcre suint des moutons

    Je veux m'étouffer au vol des graminées

     

    Je veux tressaillir à l'appel du vautour,

    Devenir fou au violon des cigales

    Détester les clochettes de vaches à l'œil de velours vide

    Je veux pleurer avec le rossignol

     

    Je veux m'immerger dans le jaune des épis

    Je veux m'écorcher les yeux au cinabre des coquelicots

    Je veux me noyer au paradis des bleuets

    Ajouter ma nuance aux mille verts du décor

     

    Vivre

    Moi je veux vivre

    Mais pas comme ça

     

    Brève, 24 juin 2014

    Vincent Lambert: l'heure de la décision a sonné.

    La famille de ce tétraplégique en état végétatif se déchire depuis plus d'un an devant les tribunaux pour savoir s'il doit être maintenu en vie. Les 17 magistrats du Conseil d'Etat suivront-ils l'avis du rapporteur public d'arrêter les soins ? 


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    Question d’âge

    Jacqueline Dewerdt

     

     

    J’ai cent ans, dans le corps cent ans de neige, de gel, de pluie, dans les os cent ans de froid.

    J’avais un mois et de la gnole dans mon biberon.

    J’ai cent ans, dans les oreilles cent ans de cris, d’insultes, de silences, dans le cœur cent ans de peur.

    J’avais un an un bras et une jambe cassée.

    J’ai cent ans, sur la peau cent ans de bleus, de plaies, de bosses, dans le corps cent ans de coups.

    J’avais sept ans, mon frère me disait que nous allions nous enfuir.

    J’ai cent ans, dans mes veines mes parents ivres, dans les oreilles les hurlements de mon père, les gémissements de ma mère, dans le cœur cent ans d’horreurs.

    J’avais douze ans, nous avons traversé la moitié de la Russie.

    J’ai cent ans, dans les jambes cent ans de chemins, de boue, de soleil, de villes, de forêts, sur moi les traces des hommes, violeurs, voyous, policiers, soldats.

    J’avais quinze ans, je me terrais dans les trous de Moscou.

    J’ai cent ans de faim, de nuits sans sommeil, cent ans de pourriture, d’alcool, de terreur, dans le nez cent ans de vapeurs de colle.

    J’ai vingt ans, je suis libre, je suis seul. Je sors de deux mois de prison en pays inconnu.

    J’ai vingt ans, j’ai dans la tête le souvenir de mon frère, le souvenir des hommes et mon frère avec eux et j’ai cent ans d’être seul, cent ans de vide, de larmes rentrées, de dents serrées.

     

    Vous pouvez chercher dans mon sang, dans mes os, dans ma peau, j’ai un an, j’ai cent ans.

     

    Brève, 8 juin 2014

    Immigration. La cour d’appel de Lyon a relaxé un jeune Russe suspecté d’avoir menti sur son âge pour obtenir le statut de mineur étranger isolé. La cour a estimé que l’expertise scientifique n’était pas suffisante pour déterminer avec certitude l’âge du jeune homme.


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    Partie de chasse

    Nelly Bridenne

     

     

    Désiré se préparait pour la battue : affublé de sa tenue kaki-mercenaire, protégé par son gilet jaune fluo et sa casquette orange sanguine, chaussé de ses bottes imperméables et le fusil cassé sur l'épaule, (c'est plus prudent) il partait rejoindre ses collègues chasseurs : Riton, Fifi et les autres.

    Les « cochons » n'avaient qu'à bien se tenir ! Ce serait leur fête aujourd'hui !

    C'est vrai quoi, disait Riton, ils nous envahissent ! Ils vont être bientôt plus nombreux que nous !

    Néanmoins, Riton tenait le même discours à propos des sangliers et des étrangers...

    Premier arrêt obligatoire chez Marie-Line (rien à voir avec « Poupoupidou », ah non alors !) pour un p'tit caoua-Armagnac, la gnôle locale, pour réveiller son homme.

    La horde de viandards se rendit ensuite en lisière de forêt où Riton les plaça : une partie pour surveiller l'orée du bois sur toute sa longueur, et les autres pour s'enfoncer dans la pinède.

    On était fin octobre, l'été gascon était agréable, la brume s'était dissipée (sauf chez certains qui avaient abusé du café arrangé), le soleil était de la partie, la journée s'annonçait jouissive.

    Désiré était chasseur occasionnel : pas de chien, (son vieux Voyou était mort) il tirait maxi 10 cartouches par an et visait très mal.

    Il préférait de loin se promener dans la garenne, ramasser les cèpes en automne, les pignes parfumées qu'il jetait dans la cheminée et admirer les grues cendrées survolant la lande.

    Il avait répondu présent pour ne pas se fâcher avec Riton l'autoritaire.

    Bah, il n'était pas obligé de tirer. Il se positionna dans le bois en bout de file, assez loin de son voisin immédiat. Dans le sol sableux, il reconnut l'empreinte des sabots d'un chevreuil, suivit sa piste et l'aperçut, affolé par les aboiements des chiens et les détonations des fusils, détalant au plus vite.

    Ses sauts gracieux, sa tête élégante surplombée de bois, sa croupe blanche et sa robe fauve, lui suscita un sourire. Quel animal magnifique ! Quel don de la nature ! Jamais il ne lui ferait de mal...

    Soudain, Désiré ressentit une douleur vive à l'épaule gauche qui le paralysa. Il s'affala sans bruit dans la bruyère, sa tête reposant sur un oreiller de tourbe et de mousse.

    La mère Nature rendit un hommage à ses sens en adoucissant ses derniers instants : des fougères dentelées protégèrent son visage de la brûlure du soleil ; des aiguilles de pin et un tapis d'humus ouaté embaumèrent délicatement sa couche ; des demoiselles peu farouches lui chatouillèrent le nez ; plus haut, sur un pin perché, un pic vert accentua ses percussions, pendant que son voisin l'écureuil fronçait son museau en rythme ; enfin, en fond sonore, des corbeaux bavassèrent en total désaccord. 

    Désiré ferma les yeux pour profiter de ces ultimes présents...

    Il ne sut jamais ce qui l'avait terrassé : le plomb d'un chasseur maladroit ou une banale crise cardiaque.

     

                                                                                                             

    Brève, octobre 2013

    Un chasseur a été tué lors d'une battue, plusieurs chasseurs étaient alignés et venaient de faire feu sur un sanglier. L'animal a été blessé, mais l'un des hommes s'est également écroulé, touché sous un bras.


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    Ça tonne là-haut !

    Danielle Akakpo

     

     

    – Dis-moi, Pierre, je ne peux pas avoir l’œil et l’oreille à tout, mais cette rumeur qui court depuis ce matin chez nos bienheureux, les agite et les indigne, commence vraiment à me les chauffer, les oreilles ! Je veux en avoir le cœur net. Alors, info ou intox ?

    – Ma foi, chef, info ! Le père Michel est bien convoqué au tribunal de S. le 11 juin.

    – Et tu attendais quoi pour me mettre au parfum ? Qu’a-t-il donc fait de si grave ? A-t-il rompu son vœu de chasteté et épousé une de ses paroissiennes ? Il faudrait d’ailleurs que je réfléchisse au problème et envoie mes instructions à Rome ; nous devons progresser dans ce domaine.

    – Non, chef. Rien de cela.

    – Alors, a-t-il eu des relations homosexuelles consenties ? Ce serait bien d’en finir aussi avec cette discrimination, je vais me pencher sur la question, et tant pis si Titine Boutin nous lâche.

    – Rien de cela non plus, chef !

    – Enfin, on ne traîne pas un prêtre en justice pour une paille en croix !  Ah ! Ne me dis pas que c’est encore un de ces voyous de pédophiles qui assouvissent leurs vilaines pulsions avec les gamins ou les gamines de la catéchèse ! Si c’est le cas, tu m’envoies vite fait bien fait un SMS à Lucifer. Qu’il descende le chercher manu militari et lui chauffe les pieds... et tout le reste sans pitié aucune.

    – Non, chef. Le curé Michel recueille régulièrement dans son église des demandeurs d’asile qu’il nourrit et soigne si besoin est. Et c’est de ce crime qu’il va devoir répondre.

    – Par tous mes Saints, depuis quand le devoir d’assistance à son prochain est-il devenu délit, et aux yeux de qui ?

    – Aux yeux de la loi et de la mairie de S. qui a porté plainte.

    – Jésus, Marie, Joseph... Les bras m’en tombent.

    – D’autant que le motif principal de la plainte paraît douteux : conditions de sécurité non remplies.

    – Est-ce le cas ?

    – Des clous, chef ! Mauvais prétexte. Ladite église serait dangereuse pour l’accueil de ces pauvres gens sans papiers, mais il se trouve qu’elle ne l’est pas pour la foule des fidèles qui s’y pressent aux offices.

    – Alors, il faut agir, mon Pierre. Tout faire pour que ce brave curé plein de bonté et de charité chrétienne ressorte du tribunal la tête haute ornée d’une auréole de futur canonisé. Tu files dare-dare chez François.

    – Lequel ?

    – Pas celui de Paris qui fait tout à l’envers, voyons !  Celui de Rome, grand bêta ! J’exige qu’il soit présent le 11 juin au tribunal de S. avec toute sa clique de cardinaux et qu’il fasse un ramdam de tous les diables, enfin, je me comprends...

    – Le pape François, le pape François... il en a de bonnes, le père Dieu, je vais faire comment, moi, pour le convaincre le pape François ?

     

    Brève, 30 mai 2014

    Il héberge des demandeurs d’asile : un curé au tribunal.


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    Tasmania Airlines

    Dominique Chappey

     

     

    C’est pas mal ici. Meublé avec goût. Ça change.

    Parce que j’en vois des apparts tape à l’œil, des pavillons m'as-tu-vu. Des terriers qui se cachent derrière le petit doigt des drogués de la déco. Des cases où se rangent bien sagement les accrocs du ripoliné gris taupe tranché fuchsia avec cadre rococo bombé poudre d’or.

    Avec les horreurs qu’on balance à la télé, faut pas s’étonner qu’ensuite la notion du beau rétrécisse au lavage scandinave. Entre ersatz de rêve et principe de réalité, il y a confusion des genres. Bilan, on masque des goûts de chiotte derrière des décors de cinéma qu’on achète dans les hangars à gogo de la grande distribution.

    Il existe des associations de couleurs qui devraient être encouragées par les compagnies d’assurance, plus dissuasives qu’une alarme anti-intrusion. Des fois, je prends des coups au cœur quand le faisceau de ma lampe torche théâtralise leurs dernières créations. En ce moment, les trucs à la mode qui vous posent tout de suite un intérieur, ce sont les grands pans de murs unis avec des stickers géants. La version décoration d’intérieur du copié collé.

    Les stickers animaliers, ça, c’est une belle invention. Deux minutes de marouflage et paf ! Un tigre dans le salon ! Faut avoir le palpitant bien accroché. Ou pire, les silhouettes noir et blanc en ombres chinoises taille réelle sur la porte des toilettes : nez à nez avec Hitchcock et son ventre de profil au beau milieu de la nuit ou bien plus branchouille, ramené de la dernière biennale d’art contemporain : la petite fille aux ballons qui s’envole vers le plafond. La première fois, j’ai fait un bond de trois mètres, et toute la nuit, je sursautais quand je croisais mon ombre.

    Le métier devient éprouvant, j’ai plus vingt ans.

    Mais ici rien à dire. Depuis mon petit tour du propriétaire, pas de mauvaises surprises. Du massif, quelques meubles de prix, mais pas seulement, un mélange harmonieux, confortable sans être pantouflard, des valeurs sûres sans tomber dans le rustique artificiel. De l’élégant.

    Et le bar, mes enfants, le bar ! Un bijou ! Un happening artistique à lui tout seul ! Variété, richesse, audace !

    Je me croyais connaisseur de whisky. Le hasard de mes déplacements professionnels, quelques années d’expériences et de dégustation in situ m’encourageaient à le penser. Passées les portes de cette propriété, j’ai découvert le territoire d’un grand maître. Du bout des gants, j’ai caressé des étiquettes que je n’avais vues qu’en photo. D’autres que je redécouvrais avec émotion. Comme un gosse devant un étalage de bonbon, je ne savais plus où donner du palais. 21 ans d’âge pour ce pur malt des Highlands, solide et subtil à la fois. Agressivité saline typique de cette petite distillerie insulaire que je croyais perdue. Velours délicat et tourbé reconnaissable entre mille de cette cuvée exceptionnelle.

    Et puis, pourtant presque sectaire en matière d’appellation, j’ai pris une sacrée leçon d’humanité. Fi des restrictions territoriales ! Au diable les vieilles frontières de la river Tweed jusqu’aux Shetlands. De l’espace, du rêve ! De l’ouverture d’esprit ! Une invitation au voyage. L’Internationale revisitée. Des whiskies venus de tous les horizons, tous les continents. Vous saviez qu’ils fabriquent des petits trésors en Tasmanie ? En Tasmanie ! Je l’ignorais.

    Les moments rares, on les étire pour faire durer, jamais certain d’emprunter à nouveau de tels itinéraires. Alors forcément quand on atterrit chez un homme de goût, un esthète. On s’attarde.

     

    Brève, 31 mai 2014 

    Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (Rhône). Un cambrioleur ivre s’endort sur le canapé du salon.


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  • Ah non

     

    Ah non, hein !

    Yvonne Oter

     

    Comme tous les soirs, Henri est rentré mort-bourré à la maison. Léonie, en habituée résignée, évalue son degré d’ébriété, d’un seul regard, puis retourne à son tricot.

    - T’es là, toi ?

    - Ben oui, à cette heure-ci, où veux-tu que je sois ?

    - Sais pas, mais j’en ai marre !

    - Marre de quoi ?

    - Sais pas… De toi sûrement et de la vie que tu me fais mener.

    - Ah bon ?!!!

    - Marre de la vie tout court, même. Tiens, je vais me suicider ! Ainsi, tu me prendras peut-être au sérieux pour une fois !

    D’un pas chancelant, renversant une table basse ainsi que le vase de tulipes posé dessus, Henri se précipite vers le mur du salon et décroche un vieux fusil de collection pendu au-dessus du divan. Puis enfourne le canon de l’arme dans sa bouche.

    - Mais qu’est-ce que tu fais, pauvre abruti ?

    - Arouwaragne…

    - Et retire le fusil de ta bouche quand tu parles : je ne comprends rien.

    - Je vais me tirer une balle dans la tête !

    - Ah non, hein ! Pas ici ! On vient de repeindre le séjour, ce n’est pas pour que tu le salopes directement ! Si tu veux te flinguer, va faire ça dans les toilettes ! L’ouvrier vient s’en occuper la semaine prochaine.

    Dégoûté, Henri jette le fusil à terre et titube vers l’escalier.

    - Tu vois comment t’es ! Même me suicider dignement, tu m’en empêches. Sale race de femmes ! Toutes pareilles ! Pourritures ! Enquiquineuses ! Contrarieuses ! Emmerdeuses !

    Et s’endort effondré sur la troisième marche.

     

    Brève, 5 juin 2014

    Un Fort Chabrol se termine par un suicide à Baudour


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  • vendredi 13

     

    Vendredi 13 : ne comptez pas sur la chance ni sur votre bonne étoile, pas plus que sur l’eau bénite et les élixirs enchanteurs, oubliez mascottes et amulettes, ignorez les sollicitations du Grand Voyant Médium de votre quartier, n’érigez pas de totems, ne vous rendez pas à Lourdes et ne convoquez pas le diable pour obtenir un coup de pouce…

    Votre succès à la treizième édition du concours Calipso ne tiendra qu’à votre seul talent !

     

    Attention, le concours sera clos le 30 juin !

    Toutes les informations pour participer ici http://calipso.over-blog.net/article-13-122446397.html



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  • Dacca.jpg

     

    Course contre la montre

    Patrick Ledent

     

     

    Pour remplacer les quelque 1.138 morts, on avait ratissé large, bien au-delà des limites de Dacca, la capitale. On n’avait pas hésité à prospecter jusque dans les villages les plus reculés. L’agriculture pouvait attendre, pas le textile ! On n’avait pas non plus lésiné sur les moyens, puisque ce sont cinq mille nouveaux travailleurs, dix mille mains, qui viendraient grossir les effectifs. Faut dire qu’on croulait sous les commandes et que le temps pressait. D’autant qu’on avait pris beaucoup de retard, avec la catastrophe.

    Une catastrophe dont on avait bien évidemment tiré les leçons. Désormais, les règles étaient beaucoup plus strictes. Les nouvelles usines, bien que construites dans l’urgence, répondaient aux normes de sécurité les plus drastiques. On avait soigné le décor au passage, n’hésitant pas à revêtir les murs de couleurs pastel. On avait doublé le salaire horaire, aussi. Si bien qu’un travailleur courageux, ne pleurant pas sur les heures supplémentaires, pouvait se faire jusqu’à deux dollars par jour. Les usines intégraient des réfectoires, des dortoirs et même des magasins alimentaires. C’est bien simple, un travailleur aurait pu subvenir à tous ses besoins sans quitter l’enceinte du bâtiment. Quitter sa hutte en paille tressée et terre battue pour un logement en dur avec électricité et eau courante, il n’y avait pas photo !

    Pas étonnant qu’avec des conditions pareilles, on n’ait eu aucun mal à recruter. Pas une famille n’avait refusé de lâcher ses enfants. Pas tous, évidemment. En-dessous de 12 ans, pas question, interdit. Maintenant… On n’avait pas été chiens. Sans carte d’identité, un certain flou artistique était permis. En cas de doute, la parole des parents suffisait. Et même si l’on savait que l’un ou l’autre mentait, on fermait les yeux. Ces gens vivaient dans la misère, beaucoup avaient faim : fallait pas l’oublier !

    Un mois la date butoir, on n’avait pas terminé la moitié des commandes. Une catastrophe, une de plus ! Les fabricants en firent part au gouvernement du pays qui autorisa en référé, vu les circonstances, un assouplissement des règles. On ajouta un incitant financier.

    Dès lors, plus personne ne sortit de l’usine. Les plus courageux ne s’autorisaient que quatre heures de sommeil par jour, à leur convenance. Ils étaient jeunes, ils pouvaient se le permettre. Et puis ça n’aurait qu’un temps, dimanche 13 juillet, montre en main, ça serait fini. A cette heure-là, tout le monde serait riche et profiterait d’un repos bien mérité.

    Sans ce foutu incendie, putain, cinq mille morts quand même, on s’en serait sorti. La scoumoune, rien à faire, ça vous colle aux crampons.

     

    Brève, 2juin 2014

    Les fabricants textiles du Bangladesh ont enregistré pour au moins 500 millions de dollars de commandes de maillots pour les supporters des équipes de la coupe du Monde au Brésil.


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    La Rouquine

    Jacqueline Dewerdt

     

     

    - Elle est passée où, la Rouquine ?

    - Aux toilettes, c’est son heure.

    - C’est son heure plus souvent qu’à son tour aujourd’hui.

    - T’as vu sa coiffure ce matin ?

    - Moi, la Rouquine, je ne la regarde plus, sa tronche de déterrée me fout le bourdon.

    Il est vrai qu’elle n’a pas bonne mine La Rouquine, comme rongée de l’intérieur. Faut dire qu’elle n’a jamais eu de chance, tout lui tombe sur le dos depuis trop longtemps. C’est ce qui se dit. Elle, elle ne raconte plus rien. Moi, je préfère ne  pas poser trop lui de questions. Bonjour, bonsoir, ça va. J’ai de la peine quand je la regarde. Il y a longtemps qu’elle ne se maquille plus. Et maintenant, voilà qu’elle ne prend même plus la peine de se coiffer. Je lui avais tendu la perche avec une coloration à faire soi-même, efficace et pas chère. J’en avais apporté pour qu’elle l’essaie. Un haussement d’épaules, c’est tout ce que j’ai récolté, alors depuis… Ce matin, on aurait dit qu’elle avait dormi sous les ponts.

    - Il paraît qu’elle est harcelée par son ex.

    - Un sale type. Il y a longtemps qu’elle aurait dû se barrer. Le genre de mec, tu le vois à cent pas qu’il va t’apporter que des emmerdes toute ta vie.

    Elle ne raconte plus rien au bureau, La Rouquine, mais on ne peut pas empêcher les rumeurs de courir. Elle me fait pitié, elle qui était si coquette. J’en étais même un peu jalouse. Toujours à la mode avec le petit détail original qui te fait enrager parce que tu n’y as pas pensé. Elle n’a jamais été bien bavarde, mais on causait entre collègues, la vie quotidienne, banal, normal quoi. On rigolait. Je n’ai pas remarqué tout de suite qu’elle changeait. Elle se renfermait. J’ai vu la dégringolade quand elle a été en arrêt maladie plusieurs fois d’affilée. On disait qu’elle était soupçonnée d’avoir détourné de l’argent. Je n’y ai jamais cru et, depuis, on a découvert le vrai coupable. Après ça, elle a été de plus en plus mal. Et sa famille a éclaté.

    - Tu sais si son fils a trouvé du travail ?

    - Risque pas d’en trouver. Un bon à rien comme son père.

    - T’es sévère. Mais dis donc, ça fait combien de temps qu’elle est partie ? Elle exagère un peu, là, quand même.

    - T’occupe ! Pendant ce temps-là, je ne l’entends pas soupirer ni renifler, ça me repose.

     

    Brève, 31 mai 2014

    Hier matin, une employée de La Poste a tenté de mettre fin à ses jours sur son lieu de travail. Ne la voyant pas revenir des toilettes, ses collègues se sont inquiétés en fin de matinée.


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