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    Les auteurs ont parfois de ces idées ! Par exemple, Georges Flipo, tout le monde ici connait ce nouvelliste chevronné et romancier de haut vol, eh bien figurez-vous qu'il s'est mis à l'éthologie et qu'il vient de consacrer tout un livre sur la vie des animaux. Sur la vie des pingouins, plus exactement. On savait bien peu de choses sur ces créatures, et c'est extraordinaire de voir avec quelle acuité Georges Flipo rend compte de leurs moeurs.

    Il y a deux choses essentielles à connaître sur les pingouins : la première est leur propension à vouloir vivre ensemble et au minimum en couple, la seconde est leur fâcheuse tendance à se chamailler dès qu'ils se rassemblent et encore plus quand ils se mettent en couple. Dans un style toujours aussi limpide, Georges Flipo nous rapporte des observations particulièrement pointues sur leurs turpitudes et quantité d’anecdotes hautes en couleurs qui nous rappellent certaines légendes humaines.

    Avec un dos noir et un ventre blanc, le pingouin est endimanché pour la vie. Son allure solennelle lui permet de dissimuler sa gêne et d’échapper aux sarcasmes des étrangers de passage. Si les pingouins sont vite en froid avec ceux de leurs congénères qui passent la journée à clabauder, ils n’ont aucune pitié pour  les intrus, vous savez, les vieux, les pauvres, les moches qui font irruption dans un groupe au nom de la mixité sociale et qui à peine installés veulent changer ses habitudes. Le pingouin passe beaucoup de temps à ruminer ses frustrations. Il peine à comprendre combien la convoitise, la rivalité, le mensonge organisent son monde et jusqu’à quel point la détresse, l’angoisse peuvent l’ébranler. Il se méfie de l’autre, de sa dangerosité, jamais de ses propres pulsions agressives. Il n’est pas rare de voir un pingouin battre de l’aile et il est très intéressant de constater que les autres en profitent pour lui faire porter le poids de ce qui ne va pas. Comme tous les boucs émissaires, le pingouin déclassé se débrouille avec les moyens du bord, se dandine et se trémousse tant qu’il peut et quand ça craint trop, il prend la tangente quitte à se retrouver à côté de la plaque, hors jeu, sans autres perspectives que de se ronger les ailes et finir manchot. Ceci étant, Dame Nature ne manque pas de ressources et elle a eu la fabuleuse idée de doter le pingouin d’un clapet plutôt ravageur en forme de lame de couteau. À ce qu’on dit, ce serait d’une redoutable efficacité pour trancher les différends en cas de prise de bec.

    L’auteur retient plutôt le côté pratique de la chose, et il observe avec une joie non feinte l’habileté avec laquelle le jeune pingouin brise la glace à la saison des amours. Seulement, souligne-t-il, ce bel appendice présente moult inconvénients quand les tourtereaux veulent se rouler un patin. C’est peut-être une des raisons pour laquelle on voit tant de pingouins faire chambre à part sur la banquise une fois le coït consommé.

    Dans les livres de Georges Flipo, il y a toujours un moment ou un autre où l’on se demande si ce qu’il raconte n’est pas tout simplement métaphorique. Connaissant le haut degré d’instruction de l’homme, son sens de l’observation, son audace et son humour, la question ne semble pas superflue.

     

    Tous ensemble, mais sans plus de Georges Flipo aux éditions Anne Carrière, 282 pages, 18€


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    Le ministère des Droits des femmes rappelle qu'en 2010-2011, 200 000 femmes entre 18 et 75 ans ont été victimes de violences sexuelles hors ménage et près de 600 000 ont été victimes de violences au sein même de leur ménage.


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    Vol au-dessus d'un nid de colères

     

    Un peu de musique à bord ?

    http://www.laparisienneliberee.com/le-fol-aeroport-de-notre-dame-des-landes/


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    R.E.V.E.N.I.R. C'est avec ces sept lettres piochées au Scrabble que Françoise Guérin, virtuose du mot compte double, mettait fin à la cécité de son héros Eric Lanester, criminologue parisien des plus en vue. Cinq longues années ont été nécessaires pour que le succès soit digéré et la promesse tenue. 

    C'est entre deux séances de cure analytique et dans le moment où il s'interroge sur la pertinence de son engagement dans la police que notre homme est rappelé aux affaires. Une série de disparition de jeunes filles présentées comme anorexiques met les autorités en émoi. Pour un expert en chair suppliciée, pas de quoi se lécher les babines ni saliver à l'idée de renifler une belle scène de crime, car de restes, il n'y a point. On sait combien les profilers sont attachés au détail qui tue mais Eric Lanester a été élevé à la sauce analytique et, à la lecture de rapports de gendarmerie comme aux prélèvements de larmes, de sang ou de bile, il préfère élaborer une anamnèse fondée sur les événements réels ou imaginaires rapportés par les témoins.

    L'ennui est qu'une multitude de problèmes viennent parasiter ses investigations. On y trouve pêle-mêle les pesanteurs de l'administration, les lourdeurs de la hiérarchie, les caprices des collaborateurs, les dérives comportementalistes, les secrets de famille, les amours contrariés avec une belle, les démêlés avec un animal de compagnie, les relations d'attirance-répulsion avec un commandant de gendarmerie tout feu tout flamme et, cerise sur le gâteau, le manque à parler avec son analyste.

    Comme la plupart des protagonistes de cette histoire, Lanester a la tentation du renoncement. Le coeur n'y est pas et une angoisse s'est fixée au creux de son ventre. Il se sent vaciller, évite de mettre les mains à la pâte, laisse ses subordonnés cuisiner les témoins et la gendarmerie avaler des couleuvres. Sa mission part dans tous les sens, un rien lui donne la nausée et tout bien pesé, il se laisserait volontiers fondre dans l'anonymat, voire se liquéfier comme ces jeunes filles anorexiques, avec la tête en pagaille et plus de corps.

    On l'aura compris, il ne s'agit pas d'un "polar psychologique", mais tout à la fois d'une lecture policière d'un drame humain, d'une chronique sur les institutions psychiatriques et d'un abrégé de l'expérience analytique. L'appétit perdu de Lanester nous rappelle qu'un corps, ça parle et qu'il est vain de vouloir le soustraire au regard de l'autre. Reste à savoir, et c'est la question qu'implicitement Françoise Guérin nous pose,  jusqu'à quel point nous sommes disposés à nous laisser croquer sans mot dire et jusqu'à quel état de dénuement nous pouvons aller dans notre quête d'amour sans risquer de disparaître à jamais ?

     

    Cherche jeunes filles à croquer de Françoise Guérin aux éditions Le Masque, 395 pages, 19 €


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    Dimanche dernier, nous annoncions la fin de l'édition 2012 du concours Calipso avec la publication au café de la nouvelle Nous n'irons plus au bois d'Emmanuelle Cart-Tanneur ; sauf que, on le sait bien, rien ne se termine jamais tout à fait et il y a chaque année une petite voix qui vient rappeler nos échanges épistolaires et nous prier de remettre le couvert. C'est bien volontiers et avec nos excuses que nous ouvrons à nouveau la porte 2012 pour accueillir :  

    Michaël Parent, l'étoile du jour

     

     

    L'échange

     

     

    L'équilibre était ajusté par les transferts d'énergies. Cela avait toujours marché, parce que les sièges étaient permutables. Il n'y avait qu'à transvaser pour que tout se déroule avec justesse et cela, ils le devaient à l'échange. Grâce à lui, ils étaient automatiquement habillés de la peau de l'autre, tel un animal écorché dont ils se seraient vêtus. Mais il n’y avait aucun mal, la pratique de ce genre de scalp s’apparentait à une imagerie mentale, une sorte de découpe et de pénétration du cerveau. Ils s’échangeaient leurs vêtements, louaient leur pathos et tous disaient de tous « lui je l’ai dans la peau ». Ils permutaient, ils s'échangeaient pour raccorder tous les fils. Pour raccorder tous les fils dans les fils. Le « je » n'existait pas, ni aucune forme d'égocentrisme, parce qu’ils coupaient et rebattaient continuellement les cartes. Ils redistribuaient le jeu. Ils disaient « on » et ils savaient les liens de dépendances réciproques. Ils savaient que les choses ne tenaient qu'à un fil, ce que les Erectus n'avaient su protégé naturellement. Les Bonobos n'avaient pas besoin de police ou de loi pour canaliser les instincts. Ils permutaient et cela suffisait. C'était comme si la horde était faite de vrais jumeaux dupliqués indéfiniment, si l'un riait, les autres étaient pris d'un fou rire, si l'un pleurait les autres se lamentaient avec lui, si l'un jouissait, ils jouissaient aussi. Les choses étaient si bien réglées que lorsqu'un Bonobo éjaculait, tous perdaient de leur semence. Le sexe était une chose sacrée, le point optimum de leur don d'empathie, à tel point qu'ils ignoraient la masturbation. Le sexe échangiste avait toujours été de soi et ils ignoraient la jalousie. Ils ignoraient la jalousie comme l'envie qui étaient à l'origine de bien des conflits chez les Erectus. Cette espèce était conquérante, elle respirait pour posséder et exhiber ce qu'elle détenait sous le nez de l'autre, pour le narguer derrière une clôture électrifiée. La séparation et l'interdiction de pénétrer sur une propriété privée animaient les instincts guerriers. Il y avait deux mondes, celui du bois et celui des clairières bétonnées. Les Bonobos n'avaient aucun chef, ils ne s'inscrivaient dans aucun modèle patriarcal ni dans aucun modèle de servitude. La hiérarchie et le capitalisme n'existaient pas parce que les objets rares étaient le symptôme du monde des clairières bétonnées. Les objets rares étaient une invention des Erectus, ces peines à jouir. Ils s'étaient redressés, mais à force de porter des ceintures ils étaient restés en berne. Maintenant l’excitation était mécanique. Ils étaient automatisés, le matin ils avaient une érection. Les Bonobos savaient la chance qu'ils avaient de n'avoir pu observer l'horizon. Du moins ils le présentaient, même s'ils n'en avaient clairement conscience. Ils n'étaient jamais redescendus définitivement des arbres et ils marchaient à quatre pattes dans les hautes herbes pour se cacher des prédateurs. Les Erectus avaient cru développer leur cerveau en se redressant. Ils avaient cru découvrir l'ère du calcul en découvrant l'horizon lointain et en fixant leur place dans l'univers, d'un doigt astrologique porté au ciel. Ils avaient cru possible de prévoir les saisons, de tenir un calendrier, de faire des prévisions en cultivant la terre. Ils avaient cultivé la terre et ils s’étaient également imaginés, pouvoir semer dans leur esprit. Les Erectus se parlaient, mais en vérité ils entraient en collision et dès qu'ils pensaient trouver des points de concours, ils rencontraient des conflits d'intérêts et ils s'illusionnaient. En fait, il n'y avait jamais possibilité de consensus parce qu'ils avaient inventé la singularité. Tous proclamaient leur identité, ils s'étaient donné des noms et il faut dire que l'apport de la parole n'arrangea pas leur affaire. Les Bonobos observaient avec curiosité leurs cousins tenter de reproduire leur pensée avec des sons articulés. Ils les regarder montrer du doigt les choses, puis les nommer et cela avait fini par leur donner trop de certitude. Cela avait fini par leur donner une assurance, une assise sémantique qui les trompait sans qu'ils aient le souvenir originel d'une telle duperie. La parole était un tour de passe-passe et certains d'entre eux avaient même fini par chanter. Le larynx poussé à son paroxysme les amena à devenir maîtres-chanteurs. On dit souvent d'un animal intelligent qu'il ne lui manque que la parole, mais chez les Erectus, il est manifeste que cela a apporté l'incompréhension. La situation devint absurde. La mutation du larynx aboutit à des dialogues de sourds, parce que chacun voulait imposer son point de vue. Ils appelaient cela de la philosophie, d’ailleurs ils disaient vivre avec une certaine philosophie, mais il n’y avait qu’un lapin tiré du chapeau. Ils avaient l’art de la poudre aux yeux. Les Erectus capturèrent des Bonobos, allant jusqu’à regrouper des familles entières qu’ils enfermèrent dans des cages de verre. Ils purent ainsi étudier leurs comportements sociaux et ils observèrent leurs cousins derrière du verre securit, en tentant de capturer la familiarité de leur regard. C’était comme s’ils découvraient les yeux qui leur offraient l’éclairage qu’ils cherchaient. La familiarité était saisissante et les Erectus voyaient dans la pupille des Bonobos, la manière du comportement. Ils s’y voyaient à un âge plus ancien où l’ère primitive montrait du doigt l’illusion du progrès. Les Erectus disaient vouloir apprendre des grands singes, parce qu’ils cherchaient le mécanisme qui les mit en porte à faux. À travers leur regard ils tentèrent de comprendre à la source ce qui avec le temps, put les mettre en opposition. Ils observent un gorille et sa famille dans un environnement reconstitué. L’objet d’étude était en quelque sorte inversé parce qu’il y avait une geôle dans l’esprit des Erectus, des barreaux qu’ils ne parvenaient pas à limer. Ils étaient spirituellement prisonniers de leur perception et de leur conscience. Ils ne savaient plus verser la moindre larme, parce qu'en découvrant la parole, ils oublièrent que tout était ineffable. Ils oublièrent que le sentiment allait par-delà la raison, qu'il était incompressible. Quand les Erectus pleuraient, c'est que le temps de la parole était terminé et généralement ils s'abstenaient de tout commentaire. Tout était dit, mais rien n'était exprimé. Ils pleuraient parce qu'ils ressentaient certaines forces psychiques les accabler, mais elles ne concernaient jamais les autres. C'était toujours d'eux- mêmes dont il était question. Ils s'apitoyaient et se causaient du tort les uns les autres, parce que l'important était que l'autre souffre encore plus. Ils ne savaient en sortir grandis que de cette manière. Les Bonobos n'avaient pas rencontré la parole comme on rencontre une créature mythologique, peut-être parce qu'ils étaient toujours retournés dans les arbres. Les Erectus se dispersèrent et mirent de la distance entre eux. Du moins, ils avaient instauré une ligne invisible d'inviolabilité que tous se devaient de respecter. Mais la parole avait permis certaines insultes plus blessantes que n'importe quel coup de poignard et la volonté d'extermination avait pris le dessus. Au lieu de quoi, les Bonobos avaient découvert l'échange. Ils avaient remarqué que l'infiniment grand était enfermé dans l'infiniment petit, alors ils n'avaient pas cherché à aller au-delà. Les Erectus s'acharnaient à défraîchir, déforester mais les Bonobos savaient qu'il y avait toujours un arbre pour cacher la forêt. Les Erectus avaient voulu conquérir le monde, les Bonobos s'étaient bornés à leur territoire. Ils avaient sanglé tout ça parce qu'ils savaient la conquête illusoire, ce qui permis la télépathie, la communication immédiate, quelle que soit d'ailleurs, la distance qui pouvait les séparer. La pensée était instantanée et une et tous n'étaient que des manifestations formelles du modèle unique. Il n'y avait pas de distance chez les Bonobos, ils communiquaient avec des hordes dans tous les endroits de la Terre et avec tous les êtres vivants. Cela passait par les ondes et les mondes restaient connectés. Les mondes étaient reliés, le vivant l'était. Il n'y avait pas d'impossibilité dans le voyage, le voyage était ubiquité. Il était mental la plupart du temps et tout à coup la matière devenait incertaine. Le lubrifiant télépathique avait permis l'échange et le pathos s'était dilaté comme le cosmos à son origine. Il avait fini par tout englober. Les Erectus observaient les étoiles avec un télescope, les Bonobos le regardaient avec un kaléidoscope. Les uns d’un observatoire, les autres depuis la cime d’un arbre. Les Bonobos inventaient ce qu'ils voyaient et grâce à l'empathie le jeu de cartes était constamment rebattu. Il n'y avait plus aucun siège. Il n'y avait plus aucun trône, plus aucun trophée et les egos perdirent tout à coup de leur consistance. Ils devinrent creux comme un animal empaillé. Les consciences n'avaient aucun siège proprement dit, seulement le temps éphémère d'un trajet, si bien qu'il ne resta que les multiples facettes d'un ordre cosmique qu'il était vain de vouloir comprendre. Les Bonobos étaient les numéros des branches d'un même arbre, parce qu'ils savaient être reliés et ne cherchaient jamais à s'excommunier. Ils appartenaient à la combinaison d'un code. Chacun d'eux était un organe et leur énergie était si fantastique, du fait de leur association. Le milieu associatif dans lequel ils baignaient avait gardé en mémoire son origine intriquée, si bien que la distance qui les séparait n'était pas significative. Ils avaient transféré leur âme en changeant d’enveloppe, ce qui leur avait permis de se voir avec les yeux de l’autre et c’était ce qui importait. L’essentiel était qu’ils permutent parce que le tourniquet ne s’arrêtait pas de tourner. Ils avaient ainsi délocalisé leur conscience, réalisant que leur nombril n’était que le leurre d’une séparation prétendue définitive. En vérité, le cordon ombilical était un fragment de cordon généalogique et le cordon généalogique était un lien qui remontait aux organismes unicellulaires, lequel remontait une chaîne dont le brouillard devenait toujours plus épais. Ils convinrent ainsi qu’ils pouvaient caresser les émotions et vivre pleinement dès lors qu’ils ne cherchaient pas à se situer, dès lors qu’ils ne cherchaient pas à établir de rapports, aussi bien que d’agencer des mots ensemble. Accrocher les wagons de l’arbitraire à la queue leu leu pour former un train de marchandises qui donnerait du sens leur apparut insensé. Lorsqu’ils s’étaient observés, séparés par du ver securit, les Bonobos avaient trouvé les Erectus trop cérébraux et aujourd’hui ils étaient prisonniers des mots. Aujourd’hui ils ne savaient plus penser sans eux. Il y avait un train de marchandises sémantique interminable qui passait dans leur esprit et ils ne savaient plus sentir. Leur odorat s’était terni. Ils ne pistaient plus rien, plus rien ne les flattait. Les Erectus se croyaient fantaisistes avec l’apparition de la culture et ils ne voyaient pas qu’ils étaient de grossiers copistes. Ils avaient seulement trouvé le moyen de passer le monde sous le photocopieur et en vérité ils ne trouvaient jamais les originaux. Mais eux se croyaient originaux. Ils pensaient produire, mais ils reproduisaient et ils répétaient tels des perroquets depuis qu’ils avaient pris la parole. Ils répétaient et mimaient grâce à leur larynx, l’environnement qui les précédait avant qu’ils nomment ses composantes. Ce qui était déjà là avant qu’ils aient eu le malheur de montrer du doigt les pierres, les arbres, les animaux, le soleil, le ciel, la mer, les montagnes. La parole était falsification et la duperie leur avait échappé. La duperie de l’Erectus analyste. Les Bonobos se concertèrent et ils décidèrent du recours. Le recours à la permutation. Jusqu’à présent, ils n’avaient pas tenté de se connecter sur les sièges Erectus, parce qu’ils avaient estimé que c’était leur choix. Mais il y avait un déséquilibre du vivant, les isoloirs plaçaient les Erectus dans une posture de résistance et cela les rendaient amers. Ils étaient désabusés. Il n’y avait qu’une méthode qui pouvait les éclairer, la télépathie et les Bonobos allaient devoir se brancher sur leur cerveau. Ce cerveau reptilien qui faisait du monde, un terrain où il y avait des zones d’attaque et de défense. Ils voulaient cesser ce match mortel, où les perdants étaient décapités. L’échange serait une expérience nouvelle pour eux, du moins elle réveillerait ce souvenir originel qui précédait la prise de parole. L’aventure télépathique éveillerait leur pathos et ils découvriraient en eux, un entendement complètement réhabilité, reconfiguré. Depuis qu’ils avaient pris la parole, ils pensaient grâce à un dialogue muet intrinsèque entre eux et eux même, mais maintenant les choses seraient différentes. Les Bonobos allaient injecter à leurs cousins Erectus,  de la pensée pure, du pathos purgé de toute parole, pour qu’enfin ils sachent l’irréductibilité du pur contact. Ils découvriraient la véritable palpation du sentiment, de la sensation et la corruption linguistique serait endiguée. Les Bonobos prendraient la tête des Erectus entre leurs mains, ils les fixeraient dans les yeux et l’étau pathologique se chargerait du transfert. Ils ne pourraient se dérober. Ils sauraient qu’il ne faut pas expliquer, justifier, commander, contrôler, mais laisser faire. Ils ne se raconteront plus d’histoires et ils remarqueront qu’il n’existe que de l’ineffable. Ils remarqueront l’arbre qui cache la forêt et ils inscriront l’infiniment grand dans l’infiniment petit. Les Bonobos sortirent du bois et allèrent à la rencontre des Erectus qui occupaient les clairières bétonnées. La conversion était inéluctable.


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