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    On le sait, certains y vont la bouche en cœur et d'autres armés jusqu'aux dents. D'aucuns en reviennent en se mordant les doigts ou claquent la porte en ne mâchant pas leurs mots. Ceux-là dévoraient la vie à pleine dents avant de se retrouver à n'avoir plus rien à se mettre dessous Ceux-ci ont eu beau se les brosser, la première visite leur est restée en travers de la gorge.

    Ils ont pignon sur rue et leur réputation se fait par le bouche à oreille, mais au final nous sommes nombreux à nous faire mener par le bout du nez quand vient le temps de crever l'abcès.

     

    Chez le dentiste

    par Danielle Akakpo

     

     

    Vendredi après-midi, je me trouve devant la porte de mon dentiste en même temps qu’un monsieur tout de noir vêtu. L’assistante en chef-secrétaire-hôtesse d’accueil nous ouvre, lève les yeux vers nous de toute la hauteur de son mètre-cinquante-cinq enrobé dans ses 75 kilos de bonne chair et nous désigne la salle d’attente d’un geste péremptoire. Une fois installé en face de moi, mon vis à vis s’agite sur son siège, remue les lèvres sans qu’il en sorte un son puis, n’y tenant plus, ose :

    - Eh bien, dites donc, l’accueil ici…

    Je fronce les sourcils, étonnée. Il explose.

    - Non mais, vous avez vu ? Pas un mot, pas même bonjour, pas une moitié de sourire !

    J’ai compris.

    - C’est la première fois que vous venez, sans doute ?

    - Non, mais c’est la première fois que c’est cette… cette personne qui m’ouvre la porte.

    J’éclate de rire.

    - Oh ! vous savez, j’habite l’immeuble, deux étages au-dessus, je viens me faire soigner ici depuis presque vingt ans, alors Marinette, je l’ai toujours connue ainsi, fermée, bougonne, je n’y fais même plus attention !

    - Oui, mais tout de même, l’accueil, ça compte, non ? Les autres sont plus avenantes.

    C’est vrai que Marinette, avec sa permanente frisée – vous savez, la permanente à l’ancienne faite pour durer cinq à six mois – ses yeux globuleux qui ont toujours l’air de vouloir sauter par-dessus ses grosses lunettes à monture noire, son tablier-robe à rayures bleues et blanches – les autres portent une coquette blouse bleu ciel – sa voix caverneuse quand elle consent à ouvrir le bec, elle n’a rien de la parfaite hôtesse d’accueil. C’est plutôt le genre bouledogue furieux à qui l’on vient de piquer son os !

    Je continue à renseigner le brave patient.

    - C’est l’employée la plus ancienne, sûrement la plus compétente aussi. Elle a toute la confiance des patrons. C’est elle qui a les clés, qui vient relever le courrier le samedi et pendant les vacances. Si vous la rencontrez dans le quartier, c’est la même chose (j’ai failli lâcher la même tronche !), grognon, face de carême…

    C’est plus fort que moi, il faut que je cause, ça m’évite de stresser avant d’aller m’installer sur le fauteuil de torture. D’ordinaire, les clients du cabinet dentaire font semblant de s’absorber dans un magazine ou regardent droit devant eux, arborant un faux air détaché : "Même pas peur ! " Pour une fois que j’ai un interlocuteur en veine de bavardage, j’en profite.

    - Ben dites donc, poursuit le monsieur, vraiment pas un cadeau, celle-là ! L’accueil, ça compte, pourtant ! (Il y tient à l’accueil !) Moi, une secrétaire aussi désagréable, je ne la garderais pas huit jours.

    Puisqu’il m’encourage…

    - Ah ça, si vous avez vraiment mal, si vous venez en urgence, sûr que si vous tombez sur Marinette, elle vous envoie balader vite fait bien fait ou vous donne un rendez-vous pour la semaine suivante ! Les urgences, elle ne connaît pas. Elle m’a fait le coup assez souvent. Maintenant je guette : quand je la vois partir de ma fenêtre, je redescends voir ses collègues et le tour est joué !

    Entre nous, Marinette faisait la joie de mes filles adolescentes qui l’avaient baptisée Sœur Sourire et lui attribuaient une aventure secrète avec son boss ! L’amour au milieu des prothèses, entre deux piqûres anesthésiantes, entre deux couronnes…

    Je réattaque avec un soupir :

    - Dommage que M.X prenne sa retraite en septembre.

    - Ah bon ! Je ne savais pas. Une chance qu’il ait un associé.

    Heureusement que M.X ouvre la porte et vient me chercher parce que j’étais toute prête à susurrer que l’associé, mon mari l’appelle le boucher ou le bourreau suivant son humeur et s’est juré de ne jamais remettre les pieds dans son cabinet.

    Dites-moi, j’ai un doute tout à coup, vous croyez que je suis mauvaise langue ?


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  • LoterieMise en garde

    Toute loterie n’est et ne peut être qu’un moyen cruellement abusif d’attirer l’argent du peuple en se jouant de sa crédulité…Une pensée unique travaille tous les esprits : de l’or, des monceaux d’or gagnés sans peine ; c’est à cette funeste pensée qu’on livre deux fois par mois tous les sujets de l’Etat, et principalement ceux à qui le travail et l’économie sont le plus nécessaires… Et comme si tous ces moyens de séduction ne suffisaient pas, il faut ajouter enfin, qu'on ne cesse d'entretenir l'ivresse générale, en répandant de toutes parts des livres, des almanachs, où chacun va chercher les combinaisons les plus superstitieuses ; que l'on corrompt la raison du peuple par les rêveries des pressentiments , par l'absurde interprétation des songes ; qu'on enflamme son imagination par mille récits mensongers , et que l'on achève de l'étourdir par des provocations bruyantes ; par des cris extravagants , par des ornements de fête, par le son des instruments, par le bruit des fanfares…

    Si vous êtes encore dans de bonnes dispositions, vous ne manquerez pas non plus de découvrir l'auteur de ces appréciations...


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    Il y a quelques mois de cela, Jean-Claude Touray nous avait conté la vie singulière de personnages mémorables tombés dans les oubliettes de l'histoire comme Ravaillac, Mandrin, Caïn. Le temps faisant également son œuvre, il était à son tour menacé de passer à la trappe. Fort heureusement, notre chroniqueur en a vu bien d'autres et il nous revient pour honorer un homme qui en a vu de toutes les couleurs

     

    John Dalton : je pense à lui quand en saison, les cerises sont rares.

    Je ne sais pas si chez vous c’est comme chez moi, mais la variété précoce (l’Early Rivers d’Olivet) a mûri cette année avec beaucoup d’avance, la production étant malheureusement faible. Peu de ces grappes de " pendants d’oreille " qui font les fortes récoltes et que le poète a chantées, il fallut se contenter de ramasser une par une les cerises, points rouges dispersés dans une masse de feuillage vert : un challenge pour les malheureux atteints de l’anomalie de la vision, décrite en son temps par John Dalton.

    "Quand j’entends ce nom, je sors mon Lucky Luke". Voila le genre de réponse en forme de bon mot que te font les gens quand tu leur demandes s’ils connaissent John Dalton. Uniquement histoire de jouer les branchés en montrant qu’ils en savent plus que tu ne crois. Mais c’est à Joe l’aîné des quatre frères, bandits de bédé qu’ils pensent : un homonyme.

    John Dalton (1766-1844) est né en Angleterre, dans une pieuse famille de pauvres tisserands. Il doit sa célébrité posthume à ses travaux en physique-chimie et en médecine.

    Il est d’abord connu comme homme de loi (la loi de Dalton ? Tu m’étonnes) et vrai père de la théorie atomique. Un vieux machin proposé sans arguments sérieux par Démocrite, au joli temps de la Grèce antique et que Dalton a revisité. A ce titre, il a fait un malheur chez les chimistes qui ont donné son nom à une unité officielle au chapitre des mesures physiques. Seules quelques dizaines de personnes, comme Ampère ou Pascal par exemple ont été ainsi honorées.

    La distinction accordée par la "vox populi" des intellos à de grands esprits sympa et à leurs découvertes peut-être un nom commun en…isme, complété par des adjectifs qualificatifs en …iste et/ou plus rarement en …ien. Ainsi, John Dalton n’était pas daltoniste mais daltonien, alors que Bouddha n’était pas bouddhien mais bouddhiste. Le général était tout à la fois gaulliste et gaullien. Mais ne nous égarons pas, tout ce qui nous intéresse est de rappeler que Dalton est le premier daltonien homologué. Un de ces confusionnistes du vert et du rouge qui prennent une menthe à l’eau pour de la grenadine et voient rouge dans de verdoyants pâturages. Je ne parle même pas de leurs opinions : une simple anomalie de la rétine explique leur ignorance de l’écologie politique.

    John Dalton racontait volontiers comment à l’âge de six ans il avait, en ramassant des cerises confondu les rouges et les pas mûres. Il en avait déduit l’existence d’une anomalie, inconnue du corps médical, dans la perception des couleurs, déficience dont il était victime. Sagement, il attendit pour publier ses données d’être assez âgé pour être pris au sérieux.

    John Dalton aurait son buste au Panthéon mondial des hommes de science, si ce monument existait. De plus, il fait partie de ces savants que la petite histoire a rendus familiers : Einstein tirant la langue avec malice ou Newton le distrait qui ne prévoit pas que s’il fait la sieste sous un pommier de plein vent chargé de fruits mûrs, il risque d’en recevoir un sur la tête… pronostic à la portée d’un enfant, mais il fallait être Newton pour en déduire la théorie de la gravitation universelle et ne pas en être plus fier pour ça. Quoi de plus touchant pour le public qu’un scientifique expérimentant sur lui-même, comme Dalton découvrant le daltonisme.

    Alors pourquoi n’est-il pas plus connu aujourd’hui ? Je n’ai pas de données statistiques à présenter mais j’ai l’intime conviction qu’il a été injustement trop oublié. Je vois trois raisons principales :

    D’abord le nombre des homonymes (cf Wikipedia)

    Ensuite la quantité des "réfractaires aux beautés des gaz parfaits" qui ont, dès que possible, oublié Boyle, Mariotte, Gay-Lussac, Avogadro et donc aussi Dalton…

    Enfin le fait que John D. était anglais, facteur défavorable pour être honoré en France. Mais la question reste ouverte…


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    Grenoble, Printemps des Libertés, mai 2011 


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    Un voile noir est tombé sur la ville. Tous les ponts ont été coupés. Plus aucune route ne la dessert. La seule lumière vient de la lune et quand elle est pleine il arrive que le cœur d'un homme s'emballe. Une nuit, un pauvre bougre est sorti tout nu et a crié des choses incompréhensibles. Tel quel, on l'a enchaîné au mur du cimetière et condamné à vivre dans le silence de la pierre. Il s'est débattu jusqu'à s'en briser les mains. Dans la peur agissante, le croc s'est contracté. Maintenant, son corps ploie et ne parvient plus à protester contre le châtiment. Ses jambes se sont nouées et n'ont plus la force de rien. Il voudrait aspirer quelques goulées d'air pour réchauffer ses membres éreintés mais sa poitrine n'est qu'une poche crayeuse qui ne retient que la poussière. Il ne sait pas où donner de la tête. Ses yeux ont cessé de départager les ombres et ont abandonné l'idée même de chercher un secours. Des larmes s'y sont cristallisées et à l'intérieur il fait de plus en plus froid. Sa langue s'est usée elle aussi et les mots qui lui étaient chers ont lâché prise l'un après l'autre. Il n'entend plus qu'un léger bruit de plume à la porte de ses lèvres. Viens.

     


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  • Au café, nous avons entendu un monsieur bien propre sur lui et bien nourri dire que les pauvres nés sous le signe du cancer se développeraient par prolifération de cellules. Pour s'en persuader un peu plus, nous l'invitons à venir faire quelques pas sur les berges de l'Isère. 

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    Le vrai secours aux misérables, c'est l'abolition de la misère (Victor Hugo)

    Ce monsieur et bien d'autres peuvent également lire l'article de Claude Bachelier "Salauds de pauvres"


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    Rosetta n'était pas seulement belle de jour, il fallait la voir au couchant se pencher à la fenêtre, celle qui donnait sur la cour, et de ses yeux clairs captiver quelques forbans de la nuit. Parfois, elle descendait jusqu'à la jetée et pour les hommes qui aimaient les femmes c'était alors jour de fête. Tous rêvaient de cueillir la fleur de son secret et entreprendre avec elle un voyage au bout de l'enfer. Mais seuls les anges ont des ailes et quand un soir elle croisa un dénommé Nosferatu, il lui fallu bien accepter d'épancher sa soif du mal. Ce n'était pas pour autant le genre de femme à rester sous influence et elle fit le nécessaire pour que la bête meure sous un soleil trompeur.
    De retour dans la ville blanche et malgré le mépris affiché par la femme d'à côté, une certaine Véronique qui comme elle menait une double vie et en pinçait pour ceux de la zone, elle poursuivait ses rêves de Dolce Vita.  Elle n'aimait rien tant que festoyer en compagnie de Babette, jouir avec elle d'une bonne soupe au canard et se gorger de fraises sauvages. Un soir, un train l'arracha aux lumières de la ville et beaucoup d'hommes se retrouvèrent au bord de la crise de nerfs. Fort heureusement, elle avait depuis longtemps conclu de petits arrangements avec les morts, on ne tarda pas à la retrouver en train de badiner avec les enfants du paradis.

     

    Note du barman : à votre tour, n'hésitez pas à faire votre cinéma en imaginant comme il vous plaira une suite ou un nouvel épisode…

    Note du barman bis : au fait, saurez-vous reconnaître les auteurs qui ont apporté leur contribution à cette histoire et qui est représenté sur l'illustration ?

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    50, 1200, 72000

    C'est le nombre de jours, d'heures ou de minutes restants pour vous mettre à table

    et écrire la nouvelle qui marquera les dix ans du concours Calipso.


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    Un certain Gus se présentant comme un contre-pitre en rupture de cirque a déposé cette brève sur le comptoir du café. Comme il y est question de littérature et de clown, nous n'hésitons pas à vous en faire profiter.

     

    Un supermarché de la culture proche du ministère du même nom a fait l’objet d’un cambriolage à son ouverture ce lundi matin. Seuls les employés étaient présents dans le grand magasin au moment des faits. Les malfaiteurs, armes au poing et cagoulés se sont faits ouvrir les coffres et, après une rapide inspection, se sont emparés d'une recette d'écriture inédite contenue dans l'un d'entre eux. Il n'y a pas eu de blessé. Aucun argent n’a été dérobé. Selon la police, le mode opératoire et un nez rouge abandonné sur le lieu du forfait laisse à penser à un retour du gang des clowns sur la scène littéraire. Devant un parterre de journalistes en ébullition, le ministre s'est voulu rassurant et a rappelé l'attachement de l'état et des entreprises au processus de création. Fidèle aux éléments de langage dispensés en haut lieu, il s'est attaché à minimiser l'importance du préjudice en évoquant la quasi impossibilité d'exploiter la palette lexicale et syntagmatique dérobée du fait de son extraordinaire complexité. Du côté des investisseurs, on ne se fait guère d'illusions et la tendance est au repli sur des valeurs moins exposées. Par le passé, le gang s'est montré capable des pires turpitudes et une recrudescence de publications usurpatoires pour le prochain salon du livre est à prévoir.

     


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    Aujourd’hui, nous nous aventurons sur le terrain de l’âge tendre en compagnie du slogan "foirer, c’est bien, mais bien foirer, c’est mieux", à l’occasion d’un petit baby-sitting.

    Comment bien foirer sa petite séance de baby-sitting

    par Ysiad

     

    Cela fait déjà un petit moment que vous rêvez de gagner votre argent de poche. Vos parents ont l’impression de perdre un bras chaque fois que vous leur demandez trois sous pour recharger le portable, il est grand temps que vous ayez un peu d’autonomie ; à quinze ans, vous en êtes tout à fait capable. D’ailleurs vous avez une patience d’ange et vous adorez les enfants, c’est ce qu’ils ont dit récemment à des gens qui cherchent une gentille baby-sitter dévouée qui puisse surveiller leurs petits amours de quatre et deux ans.

    Et comme la vie est bien faite, le téléphone sonne ! Ces gens-là vous demandent un coup de main vendredi soir après les cours, entre 18h 30 et 20h 30, pour distraire les petits, leur faire prendre leur bain, les faire dîner, jouer avec eux, leur lire des histoires et les coucher. C’est tout. Ce n’est pas sorcier. Ton prix sera le nôtre, a dit la mère au téléphone. Vous ne connaissez pas les tarifs, vu que c’est votre premier baby-sitting, mais bon, ça devrait s’arranger, au besoin, on arrondira.

    Les amis de vos parents habitant à l’autre bout de la ville, en quittant le lycée, vous prenez le métro, puis un bus, et un autre bus. Il est dix-huit heures trente quand vous arrivez au pied de l’immeuble, essoufflée et en nage tant vous avez couru pour être ponctuelle. Le père est là, qui a besoin de silence pour préparer son intervention. Il n’a pas que ça à faire, le père, il est conférencier à l’étranger, il vous briefe rapidement dans la cuisine, vous montre où sont les provisions et la chaise haute où il faut attacher Benjamin, lequel n’est pas toujours propre, vous glisse-t-il en confidence en vous conduisant jusqu’à la chambre des gamins qui vous regardent d’un œil malin en vous voyant entrer. Blandine, Benjamin, dit-il, voilà votre nouvelle baby-sitter. Soyez sages !

    Ben voilà. C’est à vous de jouer !

    Blandine a quatre ans et des nattes amusantes que son frère s’amuse à tirer toutes les vingt secondes, pendant que vous leur lisez l’histoire de la chèvre trop gourmande, qu’aucun des deux n’écoute. Pourtant vous mettez le ton, mimez, amplifiez les effets de la crise de foie de la chèvre qui à la page 4 a la bonne idée de gerber toute l’herbe qu’elle a broutée sur les sabots du fermier, en même temps que Benjamin se met à baver copieusement sur votre jean tout neuf, sans doute pour imiter la chèvre. Cette histoire est répugnante, vous changez de livre, démarrez celle du loup aux grandes dents qui boulotte tous les agneaux, mais ce n’est pas une bonne idée, voilà les mômes qui se mettent à trépigner. Allez, on va faire un plouf ! déclarez-vous avec entrain. Dans la salle de bain, vous déchantez en déshabillant le petit qui a bien lesté sa couche. Le thermomètre censé prendre la température ne marche pas, l’eau est glacée. Vous ajoutez de l’eau chaude pendant que Benjamin se roule par terre de rage, il ne veut pas se baigner. Après un quart d’heure d’âpres négociations, vous l’avez convaincu, et le voilà qui barbote à côté de sa sœur. Quinze secondes se passent avant que la guerre de l’eau éclate entre les deux camps ennemis. Benjamin claque la flotte des deux mains, Blandine riposte en lui vidant un gobelet de plastique sur le crâne, ça gicle, ça déborde, y en a partout, la salle de bains ressemble à une piscine. Tu t’en sors ? demande le père attiré par le boucan. Oui, mentez-vous avec le sourire, ils se sont juste un peu amusés. Il repart d’un air contrarié, non sans vous avoir indiqué où se trouvait la serpillière, et pendant que vous jouez à Cosette, les genoux dans le marécage, les gamins se dispersent en répétant comme des perroquets deux mots composés de deux syllabes identiques, le premier qui trouve reçoit un paquet de Pampers. Alerté par les cris, le père sort de son bureau, pour voir où vous en êtes. Il faudrait les faire dîner, vous suggère-t-il d’une voix plutôt impatiente. Bon, oui, bien sûr : direction la cuisine, et qu’ça saute !

    Plus qu’une heure pensez-vous, en tournant au fond de la casserole les épinards surgelés. Vous émincez du blanc de poulet que vous faites rissoler, dans un calme un peu trop parfait pour être honnête. C’est prêt !, annoncez-vous en cherchant les fruits que vous aviez posés à l’instant sur la table. Les enfants se sont réconciliés et les jettent à tour de rôle par-dessus le balcon. Va falloir vachement vous magner pour sauver une poire… Trop tard ! Elle s’est écrasée sur le trottoir ! Il ne vous reste plus qu’à séparer les complices, attacher Benjamin à sa chaise, nouer les bavoirs, remplir les gamelles, une bouchée pour Papa, une bouchée pour Maman, une bouchée pour faire plaisir à Julie, votre gentille baby-sitter, sans l’éclabousser, pas de blagues, les mioches, sinon ça va sévèrement barder ! Un quart d’heure plus tard, votre tee-shirt est maculé d’éclats d’épinards, le pyjama de Benjamin dégouline de confiture, quant à Blandine, elle a fait glisser ses morceaux de poulet derrière le radiateur. C’est la bérézina, le père vous surprend en train d’essayer de les récupérer avec une fourchette.

    Bravo. En plein dans la purée. C’est foiré.

    Il est bientôt vingt-et-une heures et la mère n’est toujours pas rentrée. Repli stratégique dans la chambre, en espérant qu’elle ne tarde plus. Vous êtes sur les rotules. L’histoire du matou doux, roux et mou est presque achevée quand enfin, la clé tourne dans la serrure. Il est pile la demie. Trois heures que vous suez pour les petits chéris, et c’est rien de le dire ! Heureusement, ils viennent de s’endormir.

    Bonsoir, dit-elle. Je suis très en retard. Tout s’est bien passé ?A merveille, répondez-vous avec un grand sourire de pro qui a vingt ans de métier. – Parfait. Nous avons un peu de mal à trouver quelqu’un de fidèle… Ça fait combien ?Ben… Euh… Cinq euros, répondez-vous, histoire de faire un peu d’humour.

    Mais si par miracle, trop contente de l’aubaine, la mère vous prend au mot et dégaine de son sac un petit billet gris tout chiffonné en vous suppliant de revenir dès vendredi prochain, alors seulement, la petite séance de baby-sitting aura été bien foirée.


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