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    A propos de "Tous crocs dehors" recueil de nouvelles de Lunatik, publié aux éditions Quadrature

    Le livre commence par une série de clichés littéraires en trompe l'œil. L'auteur use de cette formidable ouverture pour activer notre rapport au mal. C'est à une question, toujours sous-jacente aux vingt nouvelles du recueil, qu'il nous propose de prendre notre plaisir : comment ça nous fait mal ? Les possibilités sont infinies bien sûr, c'est pourquoi il nous offre quelque chose d'essentiel quand on fait acte d'écriture : l'ambiguïté. Ecrire sur le mal en pensant à bien est une intention tout à fait honorable mais risquée. Le mal nous est si coutumier que bon nombre d'auteurs et de lecteurs ne font que sombrer dans un ridicule puit d'excitation fantasmatique. Ici, les pulsions sont mises à mal sans artifices. On échappe à l'habituelle mortification comme ferment du plaisir et à l'amour impossible comme force d'expansion du mal. Le pseudonyme choisi par l'auteur, Lunatik, nous éclaire quelque peu sur le côté imprévisible de ses personnages, à la fois fantaisiste et inquiétant.

    On sent bien que cet homme-là a eu affaire à la cruauté et qu'il y a eu un temps péril en la demeure, celle qui constitue le moi. Seulement, le mal semble avoir été absorbé et il le recrache en toute intelligence sans chercher à séduire le lecteur avec des scènes macabres. Le récit n'est pas enflammé par la haine et si la plume se fait parfois vengeresse ce n'est que pour rappeler des choses anciennes, des événements funestes qui sont peut-être toujours à l'œuvre. On le sait, la place du mal ne saurait demeurer vide éternellement. On ne dompte pas si facilement l'animalité humaine. Aussi, comme les souffrances endurées ne sont jamais pleinement reconnues, la rancœur finit par défigurer et corrompre la raison. Pour faire taire la plainte, on attend d'un blessé qu'il s'en remette à la justice, à la psychologie ou à la religion. L'écrivain est celui qui ne répond pas à cette attente, ses mots suffisent à porter la peur qui est en lui, à éprouver son ressentiment et à soutenir sa demande d'amour. De la même manière, une histoire qui tient la route doit être un moment de vertige pour le lecteur, une occasion de se laisser prendre sans se faire happer par le comprendre et une opportunité de faire émerger d'autres lieux, de rendre lisibles quelques traces de sa propre mauvaise graine.

    Avec ce premier livre, Lunatik semble bien parti pour embrasser à pleines dents la littérature.


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    Jacques Flament et les éditions du même nom ont trouvé l'ambiance du café fort agréable au point de nous demander un petit coup de pouce pour leur appel à textes intitulé "Leitmotive, opus 2".

    Je ne connaissais pas cet éditeur avant de lire une de ses dernières publications "Au p'tits bonheurs malchance" le très bon recueil de nouvelles de Dominique Guérin. Il suffit de faire un tour sur le Forum du Cercle Maux d'Auteurs et de lire l'histoire de cette publication, les messages de félicitations et les chroniques enthousiastes des uns et des autres pour être assuré que l'éditeur sait faire de bons choix.

    Pour découvrir les caractéristiques de cet appel et les modalités de participation se rendre sur le site Leitmotive 
    A noter que les deux phrases figurant sur la photo ont un rapport direct avec la proposition…

    


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    La porte s'est refermée irrémédiablement.

    Le gardien est très attaché à son intérieur. Il sait d'où il vient et dans quoi il s'est rendu. Il se moque d'avoir une mauvaise image vis-à-vis de l'extérieur. Il a réussi à s'en sortir, à s'arracher à tout ce qui l'étouffait. Pris dans le périmètre abrupt de l'usine, il ne s'épuise pas à courir après les ombres. Au contraire, fixé au pied de la grille, il est celui qui entend les offenses et voit s'approcher les menaces.

    Les jours comme celui ci, quand la rue reste déserte des heures durant, il lui arrive de fermer subrepticement les yeux et de laisser aller ses pensées vers ceux qui sont restés. Immanquablement, dans son esprit, se présente une interrogation qui le fige dans une épuisante posture : comment obéir à la nécessité de rester vigilant et satisfaire une furieuse envie d'échapper à l'immobilisation ?


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    Comment bien foirer sa première journée dans une entreprise de consultants

    par Ysiad

     

    Tout en fredonnant le jingle selon lequel "foirer, c’est bien, mais bien foirer, c’est mieux", nous nous acheminons aujourd’hui d’un pas guilleret vers le monde de l’entreprise, sans pour autant faire partie de ces stakhanovistes qui triment quinze heures d’affilée dans le but de battre leur record, ou de ces drogués du boulot que les rosbifs surnomment : workaholics, et qui ne prennent jamais de vacances de peur de se faire piquer leur poste, et dorment dans leur bureau pour être certains d’être à l’heure le lendemain. Nous sommes semblables à tous ces gens qui doivent gagner leur vie, et qui espèrent cocher un jour les bons numéros sur la grille, pour pouvoir se barrer sous des cieux plus cléments.

     

    Vous rêvez d’un job, un vrai, qui vous occuperait du lundi au vendredi. Vous en avez votre claque de jouer les bouche-trous pour Manpower qui vous file tout plein de missions rigolotes, comme de quoi vous éclater durant deux mois au service des factures d’un fabricant de chiottes, et voilà que de fil en aiguille et de missions d’intérim en dépannage express (au rayon des vis et des pinces au sous-sol d’un grand magasin), vous rencontrez un beau jour un chasseur de têtes, qui a forcément un job pour vous. Tous les chasseurs de têtes vous diront la même chose, c’est précisément leur boulot, ils arrivent au grand galop sur leur char avec un casque d’or sur la tête, vous ramassent au passage et vous disent : j’ai exactement ce qu’il vous faut, et vous voilà embarquée dans toute une batterie de tests linguistiques, d’analyses graphologiques, de problèmes de logique qui vont durer des semaines, pour finalement déboucher sur une proposition mirobolante consistant à rejoindre l’équipe des assistantes multilingues de Roger Dublé. Attention. Roger Dublé n’est rien moins que le Président d’une multinationale renommée de consultants, située au cœur d’un très beau quartier de Paris, à un jet de pierre des Champs-Elysées. Boum. Vlan. Crac. Le cadeau. Attendez, c’est pas fini. Y en a encore. Vous êtes cadre. Très bien rémunérée. Sujette aux primes de fin d’année. Il y a sept semaines de congés annuels. Et des avantages à la pelle. Et des réduc’ pour aller au cinoche. Qu’est ce qu’on dit au chasseur de têtes ?

    Le pied, pensez-vous en découvrant dans le livret d’accueil que l’on vous a envoyé par la poste avec votre contrat d’embauche les innombrables avantages que proposent les consultants à leurs salariés, ce qui explique l’enthousiasme fougueux avec lequel vous poussez la porte du bel immeuble 19ème entièrement rénové, pour vous engouffrer dans l’ascenseur, en même temps qu’une foule d’hommes et de femmes qui vous regardent de biais, car enfin, votre binette, personne ne la connaît, vous êtes nouvelle. Votre cœur bat très fort, si fort qu’il vous semble que l’on n’entend que lui lorsque l’ascenseur repart vers les étages supérieurs. Vous êtes impatiente, oui. Très. Vous avez les jetons, aussi. Il y a de quoi. Une longue période d’essai s’ouvre devant vous, trois mois durant lesquels vous devrez faire vos preuves, trois mois où il faudra sérieusement se bouger les miches et torcher de belles lettres dans un Engliche impeccable, au bas desquelles le Président apposera négligemment sa griffe avec son Mont-Blanc plaqué or. Qu’importe. Ces trois mois là vous paraissent autrement plus riants que toutes ces semaines durant lesquelles vous avez vendu des vis et facturé des balais chiottes et qui défilent en habits sombres dans votre souvenir, alors que l’ascenseur vous hisse sans un bruit au sommet de l’immeuble, là où crèchent les consultants senior, qui gravitent comme des phalènes autour du bureau de Roger Dublé.

    Une jeune femme vient vous chercher à l’accueil. Elle est intérimaire, vous dit-elle. Elle vous dit aussi que le Président va vous recevoir ce matin. Très bien, répondez-vous, grisée à l’idée d’endosser un nouveau rôle.

    Et la première heure s’écoule. Lente, monotone, dans un petit bureau aux murs blancs au fond du couloir, en face de l’intérimaire dissimulée derrière son écran. Vous entendez des gens qui parlent, des portes qui s’ouvrent, qui claquent, des cavalcades. L’intérimaire tape sur son clavier sans plus vous parler, notant parfois quelque chose sur un bloc à mesure que les messages tombent dans la messagerie du téléphone, qu’elle consulte tous les quarts d’heure en coupant le haut-parleur. Une deuxième heure s’écoule en compagnie du martèlement des touches. Toujours rien. A midi, la fille lève les yeux comme si elle se réveillait d’un long sommeil. Le Président va vous recevoir cet après-midi, vous dit-elle. Bon. Autant aller s’attabler quelque part, pour tuer le temps.

    Et l’après-midi s’écoule de la même façon, sans que l’intérimaire vous accorde plus d’attention. Les aiguilles tournent au cadran de votre montre. A dix-huit heures, la fille se lève enfin. Le Président a demandé à Monsieur Turbin, le directeur du personnel, de vous recevoir. Les questions dansent mais vous la suivez, avec la nette impression d’avoir atterri dans une boîte de frappadingues. Ce qui vous sera confirmé par la suite, un peu de patience. Les foirades, ça arrive toujours assez vite.

    Monsieur Turbin est un long type maigre et nerveux dont le visage est le siège de toute une gamme de tics étonnants, alors qu’il range divers papiers et dossiers qui traînent sur sa table, " pour faire place nette ", vous dit-il en se grattant furieusement le nez, en guise d’entrée en matière. Vous souriez, pour masquer la gêne qui vous envahit. Vous avez attendu toute la journée, sur une mauvaise chaise, que Roger Dublé consente à vous recevoir, vous aimeriez bien qu’on vous explique pourquoi diable vous vous retrouvez à six heures du soir dans le bureau d’un type qui aurait besoin de quinze ans de vacances pour chasser le stress qui se manifeste maintenant par des clignements de paupière intempestifs et des claquements de dents tout aussi intempestifs. Votre contrat, on vous l’a envoyé par la poste, vous l’avez signé et renvoyé avec la mention " lu et approuvé ", tout est en règle, vous n’avez plus qu’à prendre le poste… Que signifie cette mascarade ? Et comme si Turbin lisait dans votre tête les questions qui affluent, le voici qui se penche vers vous d’un air sinistre, et vous dit sur un ton d’outre-tombe, en bavant un peu : Nous vous devons des explications.

    A ce stade, vous ne savez pas trop ce qu’il convient de faire. Vous gardez un sourire de circonstance mais franchement, vous aimeriez que le grand nerveux accouche au lieu de se perdre dans des circonlocutions inutiles, où il croit encore utile de faire l’éloge des résultats que vous avez obtenus aux tests. Au fait, mon vieux. Au fait ! Je ne comprends rien, dites-vous, pour le pousser dans ses retranchements. – Il y a eu une erreur d’aiguillage dans le recrutement, vous apprend-il. Nous sommes désolés, croyez-le, mais voilà, nous sommes obligés de mettre fin à votre mission ce soir, et sans plus d’explications, il pousse devant vous d’une main tremblante, comme s’il s’agissait d’un papier poisseux, une feuille A4, sur laquelle il est écrit noir sur blanc que votre période d’essai prend fin ce jour. Là. Tout de suite. Tout en la lisant, vous constatez qu’on vous dédommage pour ce que Turbin a appelé : une erreur d’aiguillage, et que vous venez de gagner sans rien foutre un mois de salaire, en un jour, rien qu’en restant assise sur votre chaise à compter les mouches.

    Bravo. Pan dans le logo. C’est foiré.

    Mais si par miracle, tout en vous raccompagnant jusqu’à l’ascenseur, Turbin crache le morceau et vous souffle que Miss Smith, la fille que vous étiez supposée remplacer auprès du Président, a finalement décidé de conserver son poste, votre petite excursion chez les consultants aura été… bien foirée.

     


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    Depuis que la compagnie ferroviaire avait investi la lagune, elle avait cessé de peindre en pleine nature. Chaque jour, de longs faisceaux de lumière noire brisaient la lagune, hachant le brouillard et déchirant l'ossature bruissante de la mer. Rongé par le charbon, le ciel avait chassé les couleurs et il était devenu illusoire de vouloir faire danser la lune et le soleil dans l'étendue marine. Les goélands eux-mêmes s'étaient dispersés et avec eux les reflux de l'amour. Les trains passaient à quelques pas de sa maison et elle s'était résolue à n'en sortir qu'en de rares occasions. Réfugiée dans son salon d'été, le cœur baignée d'iris et de tournesols, elle écrivait des poèmes. Le matin, à l'heure où le premier train couvrait le jardin d'une brume crasseuse, elle les parait d'un voile d'argent et les imprégnait d'essences de fleurs rouges. Les jours de grand vent, elle montait à l'étage, ouvrait les fenêtres et, face à la mer, livrait ses plus beaux sonnets à la tourmente. Le soir venu, elle ressentait une certaine ivresse à imaginer ses vers emportés au large, loin de la froidure et de la grisaille. Riant aux larmes, elle leur demandait de dissiper les ombres et d'allumer les étoiles. Et tandis que son regard se fondait dans la lumière, elle s'inquiétait de savoir ce que devenaient les mots une fois franchie la ligne d'horizon. Etaient-ils à jamais perdus pour elle ? Se pouvait-il qu'ils fassent le tour du monde et qu'elle les retrouvent un jour ou l'autre ? Elle en rêvait parfois. Assise à sa fenêtre, elle contemplait le ciel et des milliers de mots flottaient gaiement dans une lumière azurée avec l'envie folle de s'effleurer les uns les autres. Elle n'éprouvait aucune gêne à les regarder s'accoupler. Il lui semblait même que certains cherchaient à entrer en contact avec elle ou à se glisser subrepticement dans l'entrebâillement de sa mémoire. A son réveil tout se brouillait. Une multitude de papillons de nuit gonflaient le pourtour de ses yeux et elle s'empressait d'écrire tout ce qui lui passait par la tête, s'interrompant seulement au passage des trains. A ces moments-là, il lui revenait en mémoire des vers qu'elle avait écrits des années auparavant et, à sa grande surprise, des détails marquants de ses vies antérieures, les jours heureux comme les blessures. A croire que rien n'était définitif ou qu'il existait une sorte de monde parallèle où les événements se revisitaient à l'infini. A ce qu'elle avait entendu dire, la ligne de chemin de fer traversait le monde de part en part et, même si elle n'en croyait pas un mot, elle se disait que les trains comme les hommes revenaient toujours à l'endroit d'où ils étaient partis comme s'il n'existait pas d'autre voie possible pour échapper au néant.

     


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  •  8 avril, journée mondiale des Rroms

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    Note du barman : document écrit et distribué par des Rroms lors d'une journée de solidarité à Grenoble 

     

    Le 8 avril est une vieille fête des Rroms de Transylvanie - le "jour des chevaux" (sortie festive des abris d'hiver avec les chevaux ornés de guirlandes) mais elle a pris une nouvelle dimension plus récemment et beaucoup de Rroms de par le monde la célèbrent désormais comme la date du premier congrès mondial des Rroms en 1971. En ce jour important pour le peuple rrom, une pensée va tout naturelle-ment aux victimes du Samudaripen, déportés et tués parce qu'ils étaient nés Rroms. Pour que ce chapitre ignoble de l'Histoire ne se répète plus jamais, nous pensons qu'il est important que tous se rapprochent pour mieux se connaître. Si la mère du racisme est l'ignorance, son père est l'égoïsme, et c'est donc en faisant la connaissance de la culture rrom que la méfiance, l'hostilité, la haine et le mépris vis-à-vis des Rroms finiront par devenir un simple sujet d'étude pour les historiens...

    Rroms 04 Qui sont les Rroms ?

    Les Rroms sont un peuple d'origine indienne, dont les ancêtres sont venus de la moyenne vallée du Gange, en Inde du Nord, il y a environ 800 ans.

    Ils sont aujourd'hui dispersés dans le monde entier, surtout sur notre continent. Parvenus en Europe par l'Asie Mineure et le Bosphore, ils se sont installés d'abord dans les Balkans, puis dans les Carpates et petit à petit dans tous pays européens, de la Grèce à la Finlande et de la Russie à l'Europe occidentale (Espagne, Portugal, France, Allemagne et Royaume Uni). On compte environ 12 millions de Rroms en Europe, les deux pays qui en abritent le plus étant la Roumanie et la Bulgarie.
    Les Rroms au sens large se subdivisent principalement en Rroms dits "orientaux" (85% du total), en Sintés (souvent appelés Manouches en France ~ 4%) et en Kalés (ou Gitans ~10%), en Gypsies (ou Romanichals en Grande-Bretagne ~ 0,5%) - sans compter divers groupes de moindre importance numérique mais tout aussi Rroms que les autres Rroms. Au niveau européen, ils sont aujourd'hui sédentaires à 96%.

    Les Rroms sont un peuple sans territoire compact, qui n'a jamais eu de revendications territoriales, mais qui est lié par une conscience identitaire, une origine, une culture et une langue communes. Ils sont environ un demi-million en France.

    Etre Rrom est une valeur positive indiscutable, tout comme être Chinois, Argentin ou Français


    Et les Tsiganes alors ?

    Le mot 'Tsigane' vient du grec Atsinganos; c'était le nom d'une secte qui a disparu au XIème siècle: bien avant l'arrivée des Rroms dans l'Empire byzantin, il y vivait cette secte, pratiquant une variante de la religion persane manichéenne (préislamique). Or, ses fidèles refusaient le contact physique avec tous les autres, qu'ils considéraient impurs. Les paysans byzantins les avaient donc appelés Atsinganos ("non touchés", mais ceci dans un sens très différent de la notion d'intouchable en Inde). Quand les Rroms arrivèrent à leur tour, venant d'Asie et gardant une certaine distance, les prirent pour un nouveau contingent de cette secte.

    A partir de ce nom, Atsinganoi, les Rroms d'Europe furent diversement appelés en fonction des différentes langues des pays dans lesquels ils arrivèrent ensuite : Zingari en Italie, Tsigani dans les pays slavophones et en roumain, Zigeuner en allemand, Cigane en portugais, Tsigane en français (et Cigains en vieux-français)...

    A part son caractère péjoratif (dans de nombreuses langues il véhicule les idées de menteur, voleur, parasite, magouilleur, malpropre ~ la liste est sans fin), ce mot de Tsigane n'a pas de définition réelle.

    Plusieurs groupes en effet, qui n'ont aucun rapport entre eux de par leur origine, leur culture, leur langue et leur regard sur eux-mêmes sont à l'occasion appelés Tsiganes par les populations environnantes, ignorantes et souvent racistes à leur égard. Ont pu être appelés Tsiganes les Irish Travellers (celtes), les Yéniches (germaniques), les Egyptiens des Balkans, les Rudar (ou Beás - à l'origine Roumains du sud de la Serbie) et bien d'autres, jusqu'aux pillards de la guerre de Bosnie... Dans l'esprit de la pratique désormais universelle, le 1er Congrès International des Rroms (Londres, 1971) a revendiqué le droit légitime de ce peuple à être reconnu sous son véritable nom de " Rrom " pour le désigner. On utilise parfois en France le terme "Rroms, Gitans et Manouches" pour spécifier les trois grandes branches de ce peuple.


    Rroms et Gens du Voyage

    De leur arrivée en Moldavie et Valachie au XIV siècle et jusqu'en 1856 les Rroms furent réduits en esclavage - et donc largement sédentaires. A peine 4 % de la population globale des Rroms (environ 15 millions) sont nomades. Ils n'ont jamais été nomades par culture, mais par nécessité : Pendant des siècles, ils ont été chassés de pays en pays, presque partout en Europe, sous peine des pires sanctions, y compris la peine de mort, parce que nés Rroms.... Ils tentaient donc de fuir violences et discriminations avec l'espoir de trouver un pays plus accueillant... Les gouvernements et les Parlements s'empressaient de promulguer des lois à leur encontre. Les états allemands à eux seuls ont voté cent quarante huit lois et décrets les concernant entre 1416 et 1774 ! Dans l'Espagne du 16ème siècle, tout Rrom (Gitan, en ce pays) surpris en train de parler sa langue maternelle était puni de mutilation... ce qui explique que le rromani s'y transforma en ce qu'on appelle le " Kaló ", un idiome en fait plus espagnol que rromani...

    Repoussés systématiquement, les Rroms d'Europe occidentale ont dû développer des moyens de subsistance adaptés à ce genre de vie : travaux agricoles saisonniers, travaux de réparation notamment de chaudronnerie, vannerie, voyance, maquignonnage, petit commerce ambulant... compatible avec la mobilité, dont certains sont aujourd'hui très fiers et qui constitue un Droit de l'Homme reconnu et pour l'exercice duquel tous les Rroms se battent.

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    Le rromani - qu'est-ce que c'est au juste?

    C'est la langue des Rroms ! Elle est indiscutablement indienne et proche du hindi, langue de l'Inde. Son vocabulaire et sa grammaire de base sont indiens aux trois quarts. Le reste est constitué de vocabulaire emprunté principalement au persan, au grec et ensuite aux langues européennes de contact. Malgré sa prétendue diversité dialectale, le rromani est une seule et même langue et les Rroms de Russie, d'Albanie, de Grèce etc. peuvent très facilement communiquer entre eux en rromani - à la seule condition de ne pas l'avoir oublié...

    Ecrit depuis le début du 20ème siècle dans des alphabets différents selon les pays, le rromani dispose depuis 1990 d'une écriture commune laquelle permet notamment une meilleure diffusion de la littérature rrom. Dans certains pays, comme la Roumanie, il est enseigné à l'école et, en France, l'INALCO dispense une formation complète en langue et civilisation des Rroms.

    Rrom et Roumain, est-ce la même chose ?

    Les Rroms sont un peuple européen d'origine indienne, réparti dans l'ensemble de l'Europe et au-delà. Les Roumains sont un peuple de 30 millions d'âmes vivant en Roumanie, en République de Moldavie et dans quelques régions voisines. Leur langue, le roumain, est une langue néo-latine.
    Le mot " Rrom" vient du sanskrit " Ḍomba", qui signifiait "artiste, artisan, qui crée de son esprit, de ses mains", alors que " Roumain " vient du nom de la ville de Rome.

    Il s'agit donc de deux peuples distincts ayant des origines, langues et cultures différentes. Certes, la Roumanie compte le nombre le plus important de Rroms - près de deux millions, mais c'est un hasard : tous les Rroms ne sont pas Roumains et tous les Roumains ne sont pas Rroms


    Que signifie le terme Samudaripen ?

    En rromani, ce mot veut dire veut dire " meurtre collectif total ", et il désigne le Génocide du peuple des Rroms, Sintés et Kalés pendant la Seconde Guerre Mondiale.

    N'oublions jamais, alors même que les historiens et les medias passent encore trop souvent cette tragédie sous silence, que la population rrom en Europe a perdu plus de 500 000 des siens entre 1933 et 1945. Les Nazis et leurs alliés de tous les pays ont persécuté, stérilisé, emprisonné, torturé, fusillé, et finalement gazé les Rroms dans les camps de la mort ou dans les bois. Etaient considérés comme Rroms ceux qui avaient au moins un arrière grand parent rrom. Les Rroms en tant que peuple étaient condamnés à l'extermination (voir l'ordonnance d'Himmler de 1938) car quoique " aryens " ils étaient considérés par les nazis comme des parias, asociaux, " de sang métissé ", donc dangereux pour le "sang pur allemand". Il ne faut pas oublier, au-delà des morts, tous les Rroms restés orphelins, veufs et veuves, stérilisés, traumatisés à vie dans leur corps et leur esprit par la folie nazie.
    En 1997, le président des Etats-Unis Bill Clinton a choisi le professeur Ian Hancock, un intellectuel rrom, pour le nommer membre du U.S. Holocaust Memorial Council en tant que représentant du peuple rrom. Au cours des dix-sept ans d'existence de ce Conseil, c'était la deuxième fois seulement qu'un représentant rrom pouvait faire partie des 65 membres qui le composent. Lors du procès de Nuremberg qui jugea les criminels de guerre nazis, aucune déposition de Rrom ne fut entendue. Pourquoi ?

    On vient de commémorer le 60ème anniversaire de la libération des camps nazis,

    et cependant, la population rromani attend toujours que le monde reconnaisse son martyre sous le régime nazi.
    Jusqu'à nos jours, seules les victimes rroms de nationalité allemande ont reçu des " réparations " financières et sur le plan de l'histoire, presque rien n'est fait pour la reconnaissance du Samudaripen.

     Rroms 02


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     Le barman se fait la belle en bateau ou bien en train par ici

     


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