• Alain Emery nouvelliste de talent, est en train de s'affirmer comme auteur de polars bien implanté dans le terroir (en l'occurrence les Côtes d'Armor). Jean-Claude Touray qui navigue à ses heures dans le 22, nous présente son dernier opus.


     Emery : Polar breton n°3, moteur…Non, pas encore, j’anticipe un peu, le film n’est pas pour tout de suite…L’actualité, c’est la publication du troisième polar " costarmoricain " d’Alain Emery : " Le clan des ogres " aux éditions " Astoure ". " Erquy sous les cendres ", le tout premier, était un " isolé ", les deux suivants sont les premiers éléments d’une série : " Les secrets d’Erquy " qui révèle d’abominables assassinats perpétrés peu après la fin de la seconde guerre mondiale dans la tranquille capitale de la noix de Saint-Jacques et les enquêtes menées, à l’époque, par la gendarmerie

    Ces deux romans, rapportent des évènements qui se sont déroulés fin 1950 et début 1951. Ils font référence au même contexte socio-politique, aux mêmes paysages, et aux mêmes gendarmes, dirigés par le capitaine Henri Fabre (à propos, pourquoi ce nom d’entomologiste ?) mais sont totalement indépendants : dans " Le bourreau des landes ", c’est Monnier, l’ordonnance du pitaine, qui joue le " je ", tandis que dans " Le clan des ogres ", c’est le brigadier Craspin, un Cévenol à la souplesse de sauvagine, l’homme à la moto, (une Magnat-Debon s’il vous plait) qui est à la fois le " Sancho Pança " du chevaleresque héros et son " Froissart " ou son " Joinville ".

    L’histoire racontée dans " Le Clan… " est à multiples rebonds, sous le triple effet du hasard, de la nécessité et de l’intuition de Fabre qui ne s’en laisse pas conter, même par un juge d’instruction. On arrive cependant, de cadavre en révélation, à suivre sans trop de peine le scénario jusqu’à un final très enlevé où des politicards locaux en prennent pour leur grade.

    Le héros, gendarme et cavalier, très " cadre noir ", tout en restant l’inflexible référence morale du roman, a un comportement nuancé : il fréquente, pour les besoins de l’histoire une franche canaille, interdit de séjour à Paris et replié sur Saint-Malo, mais c’est un ancien camarade de la Résistance.

    La description des personnages est toujours une réussite. Exemple : " Il avait cet air sournois qu’ont les chiens maigres " puis une phrase pour les cheveux, trois lignes pour les yeux et le taulier d’un hôtel borgne est campé, avec sa tête d’assassin, derrière son comptoir. Quant à " La Grive ", avec son teint d’aubergine et son haleine de roussette, il avait de quoi en écœurer plus d’une. Le capitaine Bataille, lui, " avec son museau en pointe, ses dents en avant et ses petits yeux noirs, avait tout du ragondin "

    Roman d’aventures plus que polar psychologique, " Le clan des ogres ", 192 pages, 8€, est un livre plaisant, aussi agréable à lire que les précédents " policiers bretons " d’Alain Emery.

    Pour commander l’ouvrage, s’adresser à l’éditeur : http://www.astoure.fr/Emery.html

    Ou à l’auteur si l’on souhaite une dédicace : alain.emery@tele2.fr 


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  • Sa valise était toujours prête depuis qu’un fonctionnaire lui avait rappelé qui elle était et d’où elle venait. Son père avait disparu lors du dernier recensement et elle s’était retrouvée seule à s’occuper des enfants. On disait que le monde était devenu plus assuré maintenant que chaque communauté était astreinte à porter un insigne. Comme son père elle n’en avait pas voulu, convaincue qu’un jour ou l’autre des hommes en costume noir viendraient de toute façon frapper à leur porte.

    Ils avaient fait irruption pendant la célébration de l’expiation. Interpellés et conduits à la hâte au pôle de regroupement par des routes vides de toute présence humaine. Quelques minutes avant que le train entre en gare, on l’avait séparée des siens. Une main gantée avait saisi sa main et un bras galonné enserré sa taille. Des jambes s’étaient pressées contre les siennes. Des bottes l’avaient foulée et entraînée vers une voiture réservée. Sa langue était restée muette mais ses yeux avaient réussi à accrocher d’autres yeux, à interroger les lèvres des plus vieilles. Les vitres des wagons miroitaient sous le gel et derrière la réverbération on devinait les ailes déployées d’un aigle impérial et son énorme gorge, béante de cris humains.

    Au milieu de la nuit le train s’était arrêté dans une gare périphérique, peu éclairée. Les contrôleurs faisaient cracher leurs sifflets et claquer les crocs de leurs chiens. Hommes, femmes, enfants étaient triés et classés dès leur descente. Avec une effarante absence de peur chaque groupe s’engouffrait dans d’obscurs passages souterrain. Avant qu’ils ne disparaissent à leur tour, elle avait eu le temps d’entrevoir les petits et de se laisser traverser par la lueur immortelle de leurs regards. Le pire n’est jamais sûr disaient les anciens, aussi n’avait-elle pas cherché à infléchir la course vers ce pire…


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  •                                                            Photo Monique Marquès

    Gilbert Marquès nous emmène ce soir en voyage du côté de Venise, sur la scène du carnaval bien sûr mais aussi dans les coulisses d’un imaginaire qui a su résister autant à l’obscurantisme qu’à sa mise en spectacle…

     

     

     

    La morosité ambiante nécessite, pour y faire face, de l'oublier parfois en se laissant entraîner par la magie et le rêve. La période des carnavals offre cette parenthèse bienfaitrice d'évasion indispensable. Ainsi me suis-je laissé envoûter par le dépaysement procuré par l'un des plus célèbres, le Carnaval de Venise.

     "Voir Venise et mourir" affirme une expression populaire détournée et aux origines controversées. Charles AZNAVOUR prétend pour sa part que "Venise est triste au temps des amours mortes".

    Venise, la ville des amours au superlatif…

     Qui ne connaît pas des noms de lieux ou de monuments qui l'ont immortalisée ? Le Palais des Doges, la place et la basilique San Marco, les ponts du Rialto ou des Soupirs… Venise et sa riche histoire illustré par de somptueux palais ! Venise à l'image d'Epinal des gondoles légendaires ! Venise et sa lagune ! Venise…

     

    Venise certes mais y séjourner ne m'enchantait guère. Architecture trop surchargée inspirée de l'école byzantine et symbole majeur de l'époque baroque que je n'apprécie pas spécialement. Venise où la religion, omniprésente avec ses quatre vingt églises, semble trop pesante au mécréant que je suis. Venise et sa magnificence héritée d'un passé chargé dont elle ne semble toujours pas sortie. Venise sentimentale et nostalgique ! Venise, cité bateau au brouillard nauséeux et aux odeurs fétides ! Venise, colosse aux pieds rongés la maintenant dans un équilibre instable !

     

    Venise, pour être franc, ne m'attirait donc pas vraiment mais… Il a fallu le rêve entêté et la passion obstinée pour la peinture d'une femme, pour me convaincre de tenter l'aventure du Carnaval de Venise en ce mois de février 2009. La Dame avait deux objectifs majeurs à ce voyage qu'elle projetait depuis longtemps. D'abord, visiter églises, palais et musées et, en particulier, la prestigieuse Galerie dell'Academia qui abrite les œuvres des grands maîtres vénitiens classiques parmi lesquels BELLINI, LE TINTORET ou encore VERONESE, dont elle voulait découvrir les tableaux physiquement. Si les thèmes religieux couvrant la période du Moyen Age à la Renaissance dont se sont inspirés ces peintres ne m'émurent pas beaucoup, je dus sacrifier au pèlerinage pour servir d'interprète et j'eus droit, en prime, à une leçon de technique sur la peinture de cette époque. Je pus ainsi mieux comprendre de nombreux détails qui m'avaient échappé jusqu'ici.

     

    Et toutes ces ballades ad pedibus, évidemment, puisque aucun véhicule ne circule dans les étroites venelles sauf, bien sûr, des bateaux sur les canaux, se déroulèrent dans l'étrange atmosphère du carnaval, seconde raison de notre venue. Elle trouvait sa justification majeure dans la nécessité de tirer des centaines de clichés des personnages plus apprêtés que déguisés, ces photos devant servir au retour, à la création d'une nouvelle série de tableaux.

     

    Moins professionnel que Madame, j'étais seulement spectateur mais peu à peu, l'événement qui me parut presque banal sinon empreint d'un certain snobisme au début, transforma ma vision de Venise. Non pas que j'aie changé d'avis sur la ville elle-même, carte postale au décor trop clinquant cachant mal une certaine décrépitude, mais elle prenait néanmoins à mes yeux un autre aspect, à la fois plus mystérieux et étrange, dépaysant, au cœur duquel je dus pénétrer presque malgré moi.

     

    Madame m'y contraint. Ignorant la langue de DANTE, elle m'utilisait comme intermédiaire pour demander aux personnes costumées de poser. J'eus ainsi la surprise de constater que la plupart des participants n'étaient pas Vénitiens ni même Italiens mais Allemands ou Français en majorité. Approchant donc les… comédiens de tout près, je pus admirer à loisir la beauté des costumes aux raffinements extrêmes tant au niveau des tissus souvent précieux que des broderies fines faisant immanquablement penser au patient travail des brodeuses de l'île de Burano toute proche. Sous un soleil complice malgré la froidure, les couleurs chatoyaient au point effectivement de pouvoir inspirer un peintre, même profane, par la palette des nuances variant selon la lumière. Il y avait matière à aiguillonner l'imagination pour transposer l'illusion sur une toile.

     

    Plus encore que cette débauche de luxe suranné évoquant un glorieux passé d'or et de lumière, je suis resté totalement fasciné par les regards sous les masques, ceux des femmes plus particulièrement. Nombre de ces personnes, vêtues comme au Grand Siècle, restaient muettes lorsque je m'adressais à elles, acquiesçant à mes exigences de metteur en scène d'un geste gracieux ou d'un hochement de tête poli. Nous échangions cependant, dialoguions presque uniquement au moyen d'attitudes et plus encore, par nos yeux. Je découvris ainsi, sous les traits figés des masques dissimulant les visages, le seul moyen d'expression vivant : les yeux et ce qu'ils exprimaient. Je pus y lire, je crois, toutes les expressions possibles allant de la lassitude au rire, de la morgue hautaine à la complicité amusée. Je vis des yeux de toutes les couleurs imaginables et tous possédaient, magnifiés sous le fard à la teinte assortie au costume, ce petit détail qui change tout : ils étaient empreints… d'humanité. Certes, ces personnages déambulaient pour être vus, admirés, photographiés, immortalisés pour une gloire aussi éphémère qu'anonyme et peut-être entrait-il une part d'hypocrisie dans leur représentation mais dans aucun je n'ai constaté l'indifférence.

     

    Je comprends mieux maintenant pourquoi Venise, au-delà de tous les clichés qui lui sont attachés, a acquis cette célébrité voulant que tout visiteur succombe à son charme. Par les mystères historiques d'une volonté acharnée à créer une ville sur l'eau, par une géographie complexe compliquant l'existence dans les gestes ordinaires, l'être humain atteint sa vraie dimension. Il a su s'adapter à cette configuration lacustre qui l'oblige à prendre le temps de vivre, le plaçant ainsi hors du temps. Cette tradition millénaire rend Venise unique en son genre dans le monde occidental, plus humaine peut-être pour les populations qui y vivent quotidiennement et qui n'ont pas d'autre choix sinon celui d'en partir. Pour ma part, j'ai seulement l'envie d'y retourner parce que comme beaucoup d'autres, j'en suis bêtement tombé… amoureux.

    Aussonne, le 13 Mars 2009

     

    Notons au passage que le dernier ouvrage de Gilbert Marquès, " La trilogie du pouvoir " recueil d'essais et de nouvelles de S-F traitant des sujets d'actualités que sont la mondialisation, la pensée unique et le sauvetage de la planète, paru en novembre 2008 aux éditions Du Masque d'Or vient d'être couronné d'un premier prix attribué conjointement par l'association culturelle L'Île des Poètes et la revue "Rencontres".


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  • Dernier épisode des Inattendus 2008 (sur Calipso, Mot Compte Double et chez Magali Duru) avec sur le podium Jean-Pierre Michel, poète émérite…

    Encore merci aux auteurs et lecteurs qui ont participé à l’aventure. Rendez-vous en 2010 pour une nouvelle célébration…

     

     

    Le train

     

    Dans les matins mouillés par l’haleine de brume

    A l’heure d’aborder le pénible parcours

    Les ombres ont surgi des gigantesques tours

    Pour longer d’un pas vif les chemins de bitume.

     

    Sur le quai de la gare, à l’approche du train

    Se prépare l’assaut, qui vous prend, vous soulève

    Et vous porte aux instants d’un voyage sans rêve

    Où l’élan du sourire a perdu son entrain.

     

    Hissé dans le wagon sous la poussée brutale

    Au son d’accordéon qui engendre l’ennui

    Chacun, sur le trajet, vient poursuivre sa nuit

    Quand se ferment les yeux jusqu’à l’ultime escale.


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  •  
    Et si on ajoutait un peu de musique pour accompagner cette journée ?


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  • Consacrée aux Inattendus 2008 pour sa série " Histoires d’eau " Suzanne Alvarez qui fait escale du côté de Madère, nous envoie quelques baisers de remerciements…

                                                 Madère, ou la perle de l'Atlantique

     

    Dans la Marina de Funchal à Madère.
    Amira était brune, frêle, pas très belle, mais charmante avec son air d’étourneau dépeigné tombé d’un nid des beaux quartiers marocains et qui, entre trois whiskys et quatre bières, se cramponnait à la plume de Balzac et Flaubert jusqu’à l’ivresse, mais n’hésitait pas à adopter, quand l’envie la prenait, un langage de charcutière. La veille au soir, Riyad son mari, avait convié tout le mouillage à une monstrueuse bamboula pour fêter, sur leur superbe yacht, les 35 ans de sa femme.  


    8 heures du matin, le lendemain.
      Elle avait mis ses mains en porte-voix et hurlait du quai, m’exhortant à venir boire un café avec elle. Puis, comme je ne répondais pas à son invitation, elle avait lancé comme on lance un caillou avec une fronde :

    - Mais réponds, espèce de garce… Je sais bien que tu m’entends… C’est parce que je suis Arabe… Hein ?... que je te fais honte ! Allez ! Dis-le !

    - N’importe quoi ! Vas-y maman, sans ça, elle va ameuter tout le mouillage. Je terminerai la lessive sans toi. Surtout, ne t’en fais pas !

    - Dis-donc ! Elle a l’air drôlement remontée ta copine. Vas-y mais traîne pas trop ! avait fait Marc qui, alerté par tout ce raffut, avait raccroché sa CB et avait fait irruption dans le cockpit où la moussaillonne et moi nous nous activions autour de nos baquets de linge.

    - Ne vous inquiétez pas, je ne risque pas de m’éterniser. Je serai de retour dans moins d’un quart d’heure… C’est moi qui vous le dis !

    - J’arrive ! avais-je fait d’une voix autoritaire en agitant la main en direction d’Amira et comme si je n’avais pas entendu sa grossière apostrophe.

    Elle m’avait prise par le bras, sans l’ombre d’un scrupule et heureuse d’avoir gagné la partie, et elle m’avait entraînée dans un des bars de la marina où Riyad, déjà attablé devant trois tasses de café vides m’avait accueillie avec un large sourire. Ce type était vraiment sympa...

    10 heures.
    Ils avaient vidé cannettes sur cannettes comme d’autres prennent des somnifères, tandis que j’en étais à mon cinquième café. Je savais pourtant que ce breuvage était un poison pour moi et avait des effets dévastateurs. Me connaissant, je m’attendais donc au pire. Et c’est là qu’elle m’avait demandé à brûle-pourpoint :

    - Tu me trouves jolie ?

    - Bon… Non !

    Je me souviens qu’elle avait ouvert la bouche puis l’avait refermée comme un poisson manquant d’air et que cela m’avait arraché un sourire. Puis elle m’avait fixée d’un air désespéré avec des yeux qui semblaient m’accuser. Après un petit rire silencieux elle avait fini par exploser sur un ton de rage froide :

    - Alors comme ça, tu ne me trouves pas jolie ! Elle avait pris un couteau qui traînait sur la table d’à côté et l’avait piqué au milieu de la carte des menus qui s’y trouvait, comme si elle eût voulu me poignarder. Enfin elle avait fait un signe au garçon pour " remettre ça " et il lui avait apporté prestement une autre bière qu’elle avait sifflée d’un trait.

    - Ah ! Bon… tu ne me trouves pas jolie. Ces mots semblaient tourner en boucle dans sa tête et la tarabuster. Et elle s’était mise à pleurer. L’alcool avait fait son effet. Je me souviens aussi qu’après, le manque d’égard que j’avais eu envers elle, m’avait pesé sur le cœur. Je ne sais plus pourquoi je lui avais répondu ça. Je crois bien qu’elle m’avait juste un peu énervée parce qu’elle m’avait taxée de racisme et aussi parce que je ne supportais pas de la voir dans cet état d’ébriété continuel. Malgré tout, j’appréciais sa compagnie car même si on sentait bien qu’elle avait parfois la légèreté des enfants de riches, elle n’enrobait jamais, même dans l’ivresse, ses phrases de formules creuses, de fioritures courtoises, de commentaires névrotiques. Elle était elle, tout simplement.

    La nuit dernière, pourtant, pendant la fête sur son bateau, elle avait été lamentable. Son mari, dont chacun s’accordait à dire qu’il était d’une intelligence remarquable, buvait lui aussi comme un trou, mais lui au moins savait se tenir. Le vrai alcoolique, sans doute ! Quand je lui posais des questions à propos de tout cela, Amira me répondait que c’était impossible pour elle d’accepter la vie telle qu’elle était et qu’un besoin de se détruire la prenait parfois. Mais malgré la conscience qu’elle avait de sa déchéance, et culpabilisant sans cesse, elle ne faisait rien pour en changer.

    Midi.
    L’arrivée de ma fille allait me délivrer. Je n’avais pas vu filer l’heure et j’avais hâte de retourner sur mon voilier. Mais c’était sans compter sur la promptitude de Riyad qui, avec sa gentillesse habituelle, l’avait invitée à s’asseoir et à consulter la carte des menus.


    13heures
    . Marc, inquiet de la disparition de ses deux femmes s’était pointé dans l’encadrement de la porte du bar :

    - Bon, je vois que vous vous êtes fait piéger ! Alors, on fait quoi, maintenant ? avait-il déclaré à notre adresse en se forçant à sourire. Puis, après avoir décliné une invitation à déjeuner avec nous quatre, il avait fini par accepter de s’attabler, lui aussi.

    Entre-temps, dans l’après-midi, tout le mouillage avait fait son apparition petit à petit, par curiosité. Et Riyad avait offert de bon cœur une tournée générale.

    Le soleil baissait sur la mer et commençait à fouiller de ses rayons obliques, d’un or plus doux et plus fané, la végétation du Parc de Santa Catarina, situé tout près, quand la calculette avait crépité et craché son verdict sur la bande enregistreuse. Le garçon stylé, en poste depuis le matin, n’avait pas bronché. Il s’était seulement contenté de sourire à la vue du déroulement du rouleau de papier. Et Amira qui ne se rappelait que confusément ce qui s’était passé, l’esprit tout baigné d’un douloureux brouillard et enfin délivrée de son chagrin solitaire après que je l’eus embrassée, m’avait souri aussi, derrière les traces de ses larmes qui s’étaient mêlées à la sueur, sur son visage bruni par ses origines, autant que par le soleil cuisant de Madère.

      

    A chaque fois que je franchis la passerelle d’un avion, me vient une pensée douloureuse et tendre pour Amira, et je frémis en évoquant Riyad, le séduisant Commandant de bord d’une prestigieuse compagnie marocaine qui, ce soir-là, à Funchal, avait passé le seuil du " O Jango " au bras de sa femme - pour regagner son palace flottant qu’il avait quitté au petit matin- avec la majesté chancelante de l’ivresse, juste après avoir déposé une liasse de billets de banque sur le comptoir d’un bar à la mode.


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  • La série Transit est sur le podium des Inattendus 2008 avec plus particulièrement les stations 5 et 12. Vous pouvez bien sûr revisiter les autres arrêts en cliquant sur les Assortiments ci-contre.

      

    Transit 5

     


    Ils allaient dans le même sens. Ensemble, les sens en alerte. Ensemble et perdus. Anonymes dans la foule des voyageurs. Egarés au milieu d’âmes traînant de pays en pays leurs corps épuisés. Ensemble, ils avaient un but. Ensemble, ils se rendaient sur le lieu de l’exécution. Elle seule devait accomplir l'exécrable. Leur histoire avait déraillé. C’était une affaire entendue. Il ne leur restait plus qu’à se débarrasser des restes. Ensemble, une dernière fois. Elle en était certaine, elle n’avait rien dit ou rien fait de travers. Son généreux ami s’était éclipsé du train sans crier gare, au milieu de la nuit, quelque part entre Paris et Amsterdam. Seule au monde, elle ne croisait plus que des regards qui disaient l’étrangeté des hommes. Son ventre réprimait des remords. Sa gorge cherchait à expulser la rage. Laisser tomber, se disait-elle. Se délester. Abandonner la valise et tout le nécessaire. Inverser le cours des choses. Dépasser l’idée de devoir se rendre seule à la clinique.

    Retourner à la vie.


    Transit 12

     


    Il n’y avait personne pour indiquer son chemin au voyageur. Personne au guichet, personne en salle d’attente et pas davantage sur les quais. Pas de bruit non plus et presque pas de lumière. Seul sur la plate-forme, il affectait cet air un peu stupide des gens qui languissent et qui ne savent que faire sinon regarder leur montre toutes les minutes. Par bonheur, la sienne s’était enrayée lors d’un accident d’aiguillage. Depuis, son corps le laissait en paix et son esprit vaquait, libre de toute inquiétude. La gare n’était plus qu’un lieu d’attente et il savait à quoi s’en tenir au sujet des trains qui n’arrivaient pas.

    Il n’imaginait pas que la vie puisse ressembler aux images exotiques et promesses d’aventures placardées un peu partout. Pour lui, les vraies histoires étaient liées au besoin d’être bouleversé et pour tout dire elles ne tenaient jamais réellement debout. Elles se passaient fatalement dans des endroits improbables, peut-être même dans des lieux fictifs. Des instants de vie qui s'échauffaient au gré des clins d’œil et du tremblement des corps. Il n’aimait pas être comblé d’avance. Seule lui importait l’intensité du temps qui passe. Surtout le temps de la nuit, celui qui venait du ciel. La pénombre lui permettait de revenir en arrière, de fendre les murailles de l’oubli et de retrouver quelques unes des voies secrètes enfouies dans l’enfance. Parfois, il lui arrivait de se réveiller sur une toute petite île perdue dans l’océan de l’humanité. Ou bien dans une gare au beau milieu d’une salle des pas perdus.


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  • Le doughnut à l’étroit

    (à la manière de Marie NDiaye)

     

    par

    Franck Garot

     

    Caryn me regarde, à moins que ce ne soit Maureen, je ne sais pas les distinguer, elle me fixe d’un œil mauvais car elle n’approuve pas ma réponse, alors qu’elle n’en aurait de toutes les façons pas plus approuvé une autre, quelle qu’elle fût. Mes filles rejettent et critiquent tout ce que je dis, me reprochant sans cesse qu’elles n’ont pas de père, par ma faute. Elles pensent que j’ai décidé qu’elles n’auraient pas de père, alors que je ne sais toujours pas comment j’ai pu tomber enceinte, et je n’ai aucune honte à le dire, je suis persuadée de n’avoir couché avec personne à cette époque, me trouvant trop grosse, trop banale, et donc trop laide pour intéresser des garçons convenables ; et pour avoir, dans un moment de faiblesse, confié ceci à mes filles, elles me considèrent comme une demeurée, m’appellent la Sainte Vierge. Est-il possible d’avoir un tel comportement avec sa mère ? Quand bien même cette mère serait incapable de distinguer les jumelles qu’elle a enfantées d’on ne sait de quel père ? Père qui, quel qu’il soit, saurait-il les distinguer, lui ? Saurait-il dire avec exactitude ce qui différencie ses deux filles, alors qu’elles changent continuellement ? Car elles changent, j’en suis certaine. J’avais noté un grain de beauté sur la joue droite de Maureen. Il est aujourd’hui sur la joue gauche de Caryn. Caryn avait l’habitude de relever sa mèche de cheveux qui tombait inlassablement et de la fixer derrière son oreille gauche. Maureen a maintenant ce réflexe, mais à l’oreille droite. Maureen affectionnait les glazed doughnuts contrairement à Caryn qui les adore à présent. Elles projettent de me rendre folle. Je crois qu’elles complotent avec les meubles aussi. Le fauteuil dans lequel je suis assise par exemple, puisque je lisais quand elles sont venues me demander je ne sais quoi. Ce bon vieux fauteuil qui m’a toujours accueillie avec bienveillance, qui m’a cajolée bien souvent, eh bien, il est avec elles dorénavant : il me fait mal au dos, il se déplace légèrement quand je quitte la pièce et il change de couleur, je ne dis pas qu’il passe du vert au rouge, non, il nuance sa couleur, insidieusement, juste assez pour que je m’en aperçoive, et trop peu pour que je puisse en faire état. J’en oublie la question de ma fille et la réponse qui me vaut ce regard méchant. Elle agite un sac de chez Dunkin sous mon nez. Peut-être me reproche-t-elle de n’avoir pas commandé les doughnuts désirés. Caryn me regarde donc. À moins que ce ne soit Maureen. Peu importe puisqu’elles se tiennent toutes deux face à moi. Celle qui ne me regarde pas fixe ses pieds. C’était Maureen la plus timide auparavant, maintenant je ne suis sûre de rien. La seule chose dont je sois certaine aujourd’hui, c’est qu’elles me méprisent maniaquement. Ma fille abandonne son regard mauvais pour une sorte d’ironie malsaine, j’attends une perfidie, je m’enfonce dans mon fauteuil, celui-ci me repousse doucement mais fermement, il est avec elle vous dis-je. Elle déclare : " Ton cerveau ressemble à un doughnut : un grand trou au milieu. " Je ne comprends pas où elle veut en venir avec son histoire de doughnut. Alors j’opte pour l’indifférence, ce qui la déçoit. Elle m’annonce : " On a retrouvé Papa. Il habite Manhattan. " Puis elle me dit qu’elles l’ont rencontré il y a six mois, qu’elle le voient régulièrement depuis, qu’il est devenu quelqu’un d’important à Wall Street, qu’il n’a jamais supporté que je lui cache leur naissance, qu’il m’aurait épousée, que nous aurions formé une famille, et qu’il est trop tard maintenant, qu’il ne souhaite plus me revoir, mais qu’il veut voir ses filles.

    Elle s’arrête pour contempler l’effet de ses paroles sur mon visage. Plusieurs secondes s’écoulent. Elle paraît satisfaite du résultat. Elle me dit : " Maman, nous avons quinze ans, nous avons le droit de décider, et nous voulons vivre avec lui, il est d’accord. " Mes yeux se remplissent de larmes, je crie : " Tais-toi ! " Je crie non pas parce qu’elles veulent partir, mais parce que je ne sais toujours pas de qui elle parle. Qui est-ce ? Qui est votre père ? J’étais trop grosse et trop moche pour coucher avec qui que ce fût. Comment te le faire comprendre, Caryn ?

    À moins que tu ne sois Maureen.


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  • Quand il en avait eu assez de lutter contre les dragons et les vampires, il avait décidé de prendre le large. Il se doutait bien qu’ailleurs l’atmosphère resterait chargée de spectres et de mauvais génies mais il en avait cure. Dans sa situation, il lui fallait forcément payer un tribut. Chaque jour qui passait lui apportait suffisamment de raisons de battre en retraite.

    Il avait pris l’habitude de monter dans le premier train venu et d’attendre un éparpillement des regards avant de s’esquiver et d’attraper une correspondance. Brouiller les pistes ne le protégeait que quelques heures, à peine le temps d’écouter les nouvelles sur une station locale, de manger un bout et de s’assoupir. Un sifflement strident ou un cri aigu le réveillait brutalement. Des images sans liens entre elles lui venaient alors à l’esprit. Il se retrouvait pris dans la gueule béante d’une ville sous contrôle, pleine de miroirs déformants. Il se demandait si ses yeux voyaient l’envers ou l’endroit du monde. A chaque fois il lui fallait surmonter l’envie de les fermer et de se précipiter tête baissée dans la jungle des reflets.

    Et puis, il repensait à ce jour où pour la première fois il avait failli être emporté alors qu’il rentrait de mission, épuisé et incapable d’autre chose que de dormir. On peut disparaître à force de dormir, lui avait dit son voisin de couchette. L’homme s’obligeait à garder un œil dedans et l’autre dehors. L’idée de passer à la trappe l’obsédait. Comme lui aujourd’hui, il avait trouvé refuge dans les trains. Il parcourait le territoire sans faire de bruit ni rien voir du paysage, apparaissant et disparaissant sur toutes les lignes sans qu’aucun contrôleur se souvienne l’avoir croisé ici ou ailleurs.

    A son tour il circulait dans cette fraction d’espace, juste en dessous du réel. La nuit était toujours plus profonde. Mais l’important était de bouger, d’être loin, toujours plus loin, y compris de soi-même.

     


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  • Et si l’on regardait d’un peu plus près ce qu’ont pu dire par le passé quelques esprits savants, érudits, éclairés ? Et si l’on faisait le point aujourd’hui d’un bout à l’autre de la planète ?

     



    "La femme doit adorer l’homme comme un dieu. Chaque matin elle doit s’agenouiller, neuf fois consecutives, aux pieds du mari et, les bras croisés, lui demander: Seigneur, que désires tu que je fasse ?"

    Zaratustra (Philosophe perse, VII siécle a.J.C.)

     

    "Toutes les femmes qui séduiront et amèneront au mariage les sujets de Sa Majesté au moyen de parfums, peintures, dents postiches, perruques et rembourrage au hanches et à la poitrine, encoureront le délit de sorcellerie et le mariage sera automatiquement annulé."

    Constitution Nationale Anglaise (loi du XVIII e siécle)

     

    "Bien que la conduite du mari soit censurable, bien que celui ci se livre à d’autres amours, la femme vertueuse doit le révérer comme un dieu. Durant l’enfance, une femme doit dépendre de son père, en se mariant de son mari, si celui ci meurt, de ses fils et si elle n’en a pas, de son souverain. Une femme ne doit jamais se gouverner seule."

    Lois de Manu (Livre Sacré de l’ Inde)

     

    "Quand un homme sera repris en public par une femme, il a le droit de la frapper avec le poing, le pied et de lui casser le nez pour que ainsi, défigurée, elle ne se montre pas, honteuse de sa figure. Et elle l’a bien mérité, pour s’être adressée à l’ homme avec méchanceté et un langage osé."

    Le Ménagier de Paris (Traité de conduite morale et de coutumes de France, XIVe siécle)

     

    "Les enfants, les idiots, les lunatiques et les femmes ne peuvent pas et n’ont pas la capacité pour effectuer des négoces."

    Henri VII (roi d’ Angleterre, chef de l’ Eglise Anglicane, XVIe siécle)

     

    "Quand une femme aura une conduite désordonnée et cessera d’accomplir les obligations du foyer, le mari peut la soumettre et la réduire en esclavage. Cette servitude peut, y compris, s’exercer dans la maison d’un créancier du mari et, pendant la période que cela durera, il est licite (pour le mari) de contracter un nouveau mariage"

    Code de Hamurabi (Constitution Nacionale de Babylone, promulguée par le roi Hamurabi, qui la conçut sous l’ inspiration divine, XVIIe siécle a.J.C.)

     

    "Les hommes sont superieurs aux femmes parce que Allah leur a octroyé la supériorité sur elles. Par conséquent, il donna aux hommes le double de ce qu’il donna aux femmes. Les maris qui souffriront de la désobéisssance de leurs femmes,peuvent les châtier: abandonner leur lit,et même les frapper. Il n’a pas été légué à l’homme pire calamité que la femme."

    Le Coran (livre sacré des musulmans, recité por Allah à Mahomet VIe siécle)

     

    "Que les femmes soient silencieuses dans les églises,parce que il ne leur est pas permis de parler. Si elles veulent être instruite sur un sujet quelconque, qu’elles demandent à la maison à leurs maris."

    Saint Paul (apôtre chrétien, an 67 p. J.C.)

     

    "La nature crée seulement des femmes quand elle ne peut pas créer des hommes. La femme est, par conséquent, un homme inférieur."

    Aristote (philosophe, guide intellectuel et précepteur grec d’ Alexandre le Grand, IV e siécle a.J.C.)

     

    "La pire étiquette que peut avoir une femme c’est d’être savante."

    Luther (théologien allemand, réformateur protestant, XVIe siécle)

     



    Et si pour accompagner cette journée, nous écoutions Taslima Nasreen

     

    Mauvaise femme

     

    Les mauvaises femmes n’écoutent jamais l’avis de personne,

    Vont où bon leur semble,

    Rient aux éclats

    Et crient à tue-tête,

    Les mauvais femmes sèment la pagaille.

     

    Les mauvaises femmes se lèvent tard,

    Se couchent tard,

    Et quand tout le monde va à droite, elles vont à gauche.

    Elles embrassent qui leur plaît,

    Bourrent de coups de pieds qui leur déplaît,

    Ne respectent aucune règle.

     

    Les gens leur crachent au visage,

    Les gens leur pissent dans le dos,

    Les gens les fuient,

    Les gens bien, les gens comme il faut.

     

    Les mauvaises femmes foncent droit devant,

    Elles ne craignent pas la tempête avant d’affronter l’océan.

     

    J’ai terriblement envie d’être une mauvaise femme.


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