• Avec ce numéro 14 de la série " A propos de… " Gilbert Marquès nous présente le dernier volet de ses réflexions sur la poésie. Le dernier ? Gageons qu’il y reviendra un de ces quatre et que les échanges perdureront…

     

    Je présente à vos commentaires le second volet relatif à la poésie qui fait suite à ceux présentés ces trois derniers mois. Je traite cette fois du poème et j'espère que ce Propos suscitera autant de réflexions de votre part qu'en ont provoqué les précédents.

    Je les ai tous relus avec attention et même si nous ne sommes pas toujours d'accord sur des points de détail, nous semblons dans l'ensemble nous accorder sur le fond au point que contrairement à ce qu'écrivait Monsieur Jacques LAMY, je ne pense pas que ce soit une discussion d'arrière garde et vos réactions le prouvent. Nous ne sommes pas seulement deux à nous y intéresser.

    Même si la culture et la poésie en particulier, ne sont pas les préoccupations majeures en cette période difficile que nous traversons tous avec plus ou moins de… chance, je ne crois pas qu'il faille les délaisser pour se consacrer uniquement à l'urgence. Elles font en effet partie de l'avenir comme elles contribuent à la connaissance du passé ou du présent de sorte qu'il nous appartient à tous d'œuvrer pour qu'elles perdurent dans les meilleures conditions possibles même si cela ne semble pas très sérieux eu égard aux événements actuels.

    Le monde change et comme à chaque époque charnière, la culture a non seulement sa place mais se doit aussi d'être actrice de ce changement au travers de nos travaux. Toutes les œuvres produites aujourd'hui seront des témoignages pour le futur et c'est en cela qu'elles sont a priori bien plus importantes que nous le croyions et ceci, même si nous prétendons maintenant créer avant tout pour nous faire plaisir. Peu ou prou, certaines d'entre elles laisseront des traces.

    La poésie, de tous temps, a apporté sa pierre à l'édifice de la connaissance et du savoir au même titre que toutes les autres formes de création. Gageons par conséquent que même si elle paraît aujourd'hui dévaluée, quelques poèmes si ce n'est leurs auteurs, resteront dans la mémoire collective pour marquer leur temps.

     

    Comment définir le poème ?

     

    En préambule, j'emprunterai partiellement les termes d'une critique parue dans le numéro 69 de la revue "La braise et l'étincelle" de mai 2007 à propos de mon dernier recueil de poèmes édité, Des-Rives :

    " L'auteur possède une plume acérée, parfois violente mais toujours trempée dans l'encre de l'amitié… Derrière la crudité d'une désespérance apparente, s'étouffe à chaque page un cri d'espoir. L'écriture est belle, forte, agressive, parfois violente et toujours dérangeante mais la poésie, c'est aussi cela"

    Ainsi pourrait se résumer ma définition de ce que devrait être le poème mais ce serait trop réducteur. L'important, dans cette citation, se trouve à la fin : "… mais c'est aussi cela la poésie" Cette réflexion, anodine a priori, implique que le poème n'est pas seulement cela mais bien d'autres choses encore. Pour certains, il s'agit d'un cri, pour d'autres d'une plainte ou de l'expression d'un espoir, parfois d'un constat, d'un moment de bonheur à immortaliser. Pour moi, le poème reste le reflet de l'état d'âme du moment, de l'instant parfois, d'une idée, d'une réflexion, d'une vision.

     

    Pour l'auteur, un poème se révèle parfois difficile et long à écrire. Pour le lecteur, il peut s'avérer un révélateur ou bien un catalyseur. Pour l'un et l'autre, la perception du poème demeure fonction d'une foule de facteurs extérieurs et intérieurs liés à l'humeur, à l'environnement, à la culture, en résumé à tout ce qui constitue un individu pour lui permettre l'ouverture par différentes interprétations.

     

    Si je me place du côté du lecteur, le poème, comme toute œuvre d'art de quelque nature qu'elle soit, doit susciter des émotions, des pensées, des réminiscences, des souvenirs, en un mot des réactions qu'elles soient d'adhésion ou de rejet. Cette liste n'est pas exhaustive et que le lecteur m'excuse de généraliser mais si poète je suis, je ne prétendrai pas comme certains de mes confrères que la poésie est art majeur ne serait-ce que parce que j'en ai pratiqué d'autres, théâtre et musique notamment mais aussi parce que dans le domaine de l'écriture y compris, je ne me cantonne pas à la poésie mais je l'étends aussi à la prose. Selon ma conception, tous les arts sont complémentaires et il ne peut donc en exister un de supérieur aux autres.

     

    Si j'endosse ma peau d'auteur, il est vrai que j'utilise souvent le poème comme un coup de poing tel que le suggère la critique à laquelle j'ai emprunté cette réflexion. Pas seulement toutefois ! En ce sens, le poème a pour moi une valeur militante, politique, sociale et je l'emploie en tant que tel, dégagé de toute morale castratrice et de tous les tabous sociétaires menant au politiquement correct selon l'expression consacrée. Le poème ne doit pas s'embarrasser de bienséance mais garder son esprit critique, engagé, ironique, contradicteur ou approbateur et évidemment, violent parfois. Il ne doit pas craindre d'appeler un chat un chat de sorte qu'employer le mot cul dans un texte plutôt que postérieur n'a rien de choquant, tout résidant dans la manière de le faire.

    Le poème ne doit pas se limiter à un exercice de style pour amuser élites et esthètes. Il doit rester un espace de liberté totale et absolue. Voilà qui constitue sa préciosité et son infinie variété allant du rêve à la réalité.

     

    Le poème a pour moi les apparences d'un bijou ne connaissant ni licence ni censure. C'est sans doute et enfin ce qui explique sa longévité au travers des siècles malgré les avatars imposés par une civilisation matérialiste prônant une certaine culture où le paraître supplante l'être pour l'abaisser à une triste médiocrité autant économique qu'idéologique.

     

    Le poème est aujourd'hui trop confondu avec la chanson au point que la société qualifie de poète n'importe qui et de poème n'importe quoi mais au fond, tant mieux parce que si les vrais poètes et la poésie véritable sont noyés dans cet amalgame confusionnel, leur subsistance est assurée au moyen d'une certaine forme de publicité dont le poème émergera grandi et renforcé.

    En ceci, le SLAM pourrait devenir le véhicule de cette renaissance populaire dans cette époque faisant la part belle au son et à la vidéo plutôt qu'à l'écrit.


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  • Au début c’était toujours la même image qui lui revenait. Juste avant de refermer la porte du compartiment, elle avait jeté un coup d’œil sur son mari. Il s’était assoupi. La tête plaquée sur le rideau de la fenêtre. Un papillon doré badinait dans ses cheveux. Le train entrait alors dans son rythme de nuit. Dehors la terre jouissait de l’étirement infini de la lumière. Dans le couloir elle n’avait fait que quelques pas avant de s’effondrer. La collision s’était produite au passage d’une gare. La plupart des voyageurs étaient à terre. La peur avait déclenché les cris. Engendré des plaintes et des sanglots. Haché les pensées. Elle n’avait pas senti la douleur de ses deux jambes brisées. La détresse l’avait rapidement happée et autour d’elle l’obscurité s’était brusquement alourdie. A son réveil, il était toujours là, dans l’encoignure. Un grand sourire cassé barrait son visage. Ses yeux fixaient un point lumineux dans le lointain. Tout de suite elle s’en était voulue. Jamais elle n’aurait dû le presser de partir. Qu’avait-elle besoin de cette excursion alors qu’elle avait le ventre en joie, qu’ils formaient une si belle totalité ? Et pourquoi l’avait-elle invité à échanger leurs places ? A l’exposer lui, au péril ? L’instant d’avant, dans le couloir, quelqu’un de grand et fort avait attiré son attention. Son visage était masqué par la pénombre mais il lui avait semblé reconnaître un bon ami qu’elle chérissait autrefois. A présent qu’elle était si triste, elle s’en souvenait comme d’un être sorti d’elle-même, une sorte de reflet de son homme portant l’envers de son âme. Quand la fin du jour venait, elle ne pouvait s’empêcher de trembler à l’idée de sentir cette présence venue des ténèbres, ses lèvres se mouillaient de chagrin et elle aurait voulu mourir à ce moment-là. Elle passait alors la nuit à guetter un signe des étoiles. Au petit matin, les mains agrippées au fauteuil roulant elle se laissait emporter à l’hôpital sans dire un seul mot. Jamais personne ne se souciait de lui demander des nouvelles de son mari.


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  • Le café est de nouveau ouvert. A vrai dire, il n'était pas vraiment fermé au vu de toutes les discussions qui s'y sont tenues ces derniers jours...  Merci à vous tous. Et voici les chansons de Georges Chelon tant réclamées... 

     

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  • Le café est en pause jusqu’au 23 février 2009 et comme Françoise Guérin sur Mot Compte Double fait de même, la participation à l’élection pour Les Inattendus 2008 est prolongée jusqu’à la fin du mois. Pour l’heure un texte se détache nettement. Derrière, on peut dire que c’est plus serré… Pour qui les lecteurs de la dernière heure feront-ils pencher la balance… ?

    Bon retour sur le passé et à bientôt.


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  • Après l’épisode 10 des aventures maritimes de Suzanne Alvarez à bord du Pythagore et de ses 114 commentaires reçus à ce jour, voici une nouvelle virée qui devrait en susciter bien d’autres…

     

    Des nouvelles fraîches

     

    Il libéra la chose de son plastique protecteur, l’ouvrit avec lenteur, ce qui eut le don de nous exaspérer au plus haut point, enfin la déplia, et sa voix s’éleva comme celle de Dieu le Père sur le Sinaï. 

     

    Sur l’île de Sâo Vicente au Cap-Vert . La baie de Mindelo est agitée par un roulis dansant. Les voiliers, une bonne vingtaine, ont la danse de Saint-Guy et sont ballotés dans tous les sens par une méchante houle et un vent à décorner les bœufs d’au moins 35 nœuds, et chargé de boue. C’est encore pire que sur l’ïle de Sal que nous avions délaissée au bout d’une semaine. Il est près de 10 heures du matin, mais dans le mouillage, le silence est total. Il est vrai que même les estomacs les plus amarinés ont du mal à résister à un tel régime. Heureusement que notre bateau est un quillard*. Certains sont sûrement encore sous leur couette. La nuit a été rude. J’imagine ce pauvre Michel de " Plaisir d’Amour ", en ce moment, tellement secoué sur son dériveur, et qui se terre avec un mal de mer carabiné dans son sarcophage de plume. A propos de Michel, justement, il attend, comme nous, " Nautilus " et " Il était une fois " avec lesquels nous nous étions donné rendez-vous, ici, pour la traversée de l’Atlantique. Et comme nous, il commence à s’inquiéter car nous n’avons plus de nouvelles de nos amis depuis Madère. Et pas question, aujourd’hui, d’aller à terre. Aller jusqu’au quai en annexe relèverait de l’acrobatie. La houle déferlante aurait tôt fait de nous transformer en serpillères, remplir le canot et noyer le moteur de surcroît. Marc est assis, adossé au mât. De temps en temps, il repose son gobelet de café qu’il coince entre ses genoux et qu’il boit à petites gorgées, pour prendre ses jumelles. A l’intérieur, le chat somnole sur la table à cartes. La moussaillonne qui a délaissé aujourd’hui livres et cahiers pour se transformer en boulangère, malaxe une boule de pâte. Assise en face d’elle, je la regarde faire, qui prépare le pain pour plusieurs jours. Elle en a déjà enfourné un. Je le vois qui commence à dorer, à travers la vitre du four. J’ai la tête comme une pastèque. Toute la nuit, Pythagore a gémi et j’ai à peine fermé l’œil. A plusieurs reprises, j’ai entendu Marc s’affairer sur le pont, pour remonter l’annexe qui cognait contre la coque et aussi pour vérifier si l’ancre ne dérapait pas.

    - Bon Dieu ! Quelqu’un est en train de se noyer !

    Des appels au loin. Un groupe sur le quai. Des mains qui s’agitaient dans la direction du mouillage. Un corps qui a basculé dans l’eau. Voilà ce que le capitaine de Pythagore a entendu et vu de son poste d’observation.

    Je me suis emparée de l’autre paire de jumelles en dérangeant le chat qui m’a regardée d’un sale œil, et je suis montée sur le pont, dare dare, suivie de ma progéniture qui a les mains encore pleines de farine.

    - Et l’annexe qui est remontée…Il va falloir la remettre à l’eau… Il est trop loin… je n’arriverai jamais à temps ! a fait Marc, complètement désespéré.

    - Mais au lieu de gueuler comme ça… non, mais tu crois pas… il n’y en a pas un qui se serait porté à son secours… puisqu’ils étaient à côté ? déplora Carole en désignant le groupe de curieux qui s’était formé sur le quai d’en face.

    J’ai pu enfin régler ces maudites jumelles :

    - Une minute ! Il n’est pas en train de se noyer, il vient dans notre direction !

    Nageant à la force d’un seul bras, l’homme -puisque c’en était un- avançait dans une espèce de brasse lente, disparaissant par moment sous des rouleaux de vagues. L’un de ses bras était visible pourtant, qu’il tenait en l’air inlassablement, un bras dont la main qu’on voyait très nettement à présent tenait obstinément quelque chose… comme un rectangle blanc.

     

    Alors, le capitaine de Pythagore commença à décrypter la lettre écrite par Guy du voilier Nautilus : " Arriverons à Mindelo dans la semaine du 16 au 21. Sommes enfin prêts pour le grand saut. Jojo a cassé son safran et il a fallu sortir " Il était une fois " de l’eau pour réparer. La tuile, quoi !............. " 

     

    Puis il continua en pensée, pour lui seul, et, l’esprit complètement emporté par sa lecture, planant à cent coudées de là, il en oublia notre présence et celle du " facteur " qui, toujours agrippé à la coque, attendait tranquillement, comme si l’exploit qu’il venait d’accomplir se fût agi de la chose la plus naturelle du monde.

    Quand Marc eut achevé son monologue intérieur, il revint sur terre. Enfin si on peut dire :

    - Nom de Dieu ! Mais qu’est-ce que tu fous encore dans l’eau, toi ! Monte ! Monte ! Vite les filles ! Aidez-moi à le hisser !

    - Ça sent bon chez toi ! fit l’homme en souriant, tandis qu’il s’affalait sur l’un des bancs du cockpit.

    Une bonne odeur de levain flottait dans l’air. On n’allait pas tarder à passer à table…

     

    *Ce singulier facteur - qui n’était en fait qu’un petit pêcheur qui traînait sur les quais dans la journée- avait été sollicité par un des employés des services maritimes de l’île de Sâo Vicente par lequel notre courrier transitait, pour nous remettre cette lettre, et était parti à notre recherche. Ayant réussi à nous localiser, il espérait, avec l’aide de ses amis pêcheurs, nous faire venir jusqu’au quai pour nous la remettre, en hurlant des " PYTHAGORE " à n’en plus finir. Voyant que personne ne se manifestait, il n’a pas calculé le risque qu’il encourait et s’est jeté à l’eau pour venir à nous. Et le vent étant vif ce jour-là, Marc s’est mépris sur le sens des gestes et des cris de ces hommes, qu’il a pris pour des appels au secours.

    * Safran  : partie immergée et pivotante du gouvernail qui oriente le bateau.

    *Quillard  : voilier possédant un lest placé très bas, au bout d’un plan de dérive appelé quille et permettant un couple de redressement assez important pour une bonne stabilité du bateau. L’opposé du quillard est le dériveur.

    * Grand saut : traversée de l’Atlantique


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  • Ana Surret revient au café avec quelques brefs instants de joies, d’émotions et de craintes déposés dans l’écriture…

     

     

    Elle est triste à pleurer.

    Dans un sanglot elle lâche "  je suis partie "

    Grande fille fragile, des pleurs secouent son corps, des larmes roulent sur ses joues accentuant ses tâches de rousseur.

    En silence, je la serre dans mes bras.

     

    Elle reprend son stylo, renifle en relisant ses notes, mais son cœur est ailleurs.

     

    Elle a quitté son ami, son compagnon.

    Elle n’en pouvait plus de ses exigences, de sa jalousie qui lui faisait regarder d’un air soupçonneux l’énergie consacrée à cette deuxième vie, alors que la première, celle de son vrai travail, dont une feuille de paie attestait de son existence chaque fin de mois, ne la passionnait pas outre mesure.

     

    Il est loin le temps où il l’appelait sur son portable pour lui susurrer des mots d’amoureux à l’oreille.

    C’est vrai que deux vies à gérer, c’est compliqué. Alors une troisième !

     

    Comment choisir, alors même que, si cette seconde vie est faite de contraintes, elle comporte aussi de bons moments.

    La chaleur de l’équipe, ces fous rires sans motifs, ce plaisir d’être venu à bout d’un sujet complexe et cet ineffable sentiment lorsque l’on a réussi à convaincre un interlocuteur rétif.

     

    Deux vies qui se chevauchent, s’additionnent, grignotent tout son temps, jusqu’à ne plus laisser place au compagnon de sa troisième vie.

     

    Elle a claqué la porte, au nez de ce compagnon, la mort dans l’âme.

    Avec un gros doute à l’esprit.

    Qui pourra le lui enlever et la rasséréner en lui disant que c’était " La " solution.

    Nageant dans l’incertitude, elle éprouve pourtant le sentiment d’une liberté retrouvée.

    C’est l’allégresse pendant quelques jours, quelques semaines…

    Un chaton est venu combler la solitude des soirées…

    Seule, elle est seule.

    Plus aussi gaie, plus aussi sûre…

    L’absence de l’autre.

    Ses mains, son regard, ses mots, ses étreintes, ses caresses ont laissé des traces.

    Tout en elle l’appelle.

    Elle hésite, elle est lasse.

    Elle cède. Elle sacrifie sa deuxième vie.

    Elle l’a dit, vite, pour ne pas être tentée de revenir sur cette décision.

    Mais elle traîne, c’est dur.

    Une dernière fête, une grande tristesse.

     

    De l’autre côté de la rue, une voiture l’attend.

    Derrière le volant, sa troisième vie, le compagnon avec lequel elle a renoué, heureuse et désespérée.

    Elle s’en va, les yeux mouillés, en prononçant une vague promesse de donner de ses nouvelles.

    Cette troisième vie ne va pas lui laisser la liberté de revenir, ne serait-ce qu’un instant, dans le livre de sa deuxième vie.

    Il n’est plus temps.

    Le mot fin est apparu à la dernière page du carnet de cette deuxième vie, le jour où elle a décidé de suivre ce compagnon.


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  • Le 26 janvier dernier, Françoise Guérin publiait sur Mot Compte Double une " Lettre à un lecteur qui commence les livres par la fin " dont nous vous conseillons vivement la lecture avant d’entamer celle du présent billet.

     

     

    Pour poursuivre un débat très fructueux entamé sur Mot Compte Double à propos de la question " Doit-on mettre en prison les lecteurs qui commencent les romans en lisant la fin ? Jean Calbrix veut apporter sa pierre ici sur Calipso.

    Puisque c’est un phénomène d’époque de commencer à lire les romans par la fin, monsieur Yaka dit : " commençons à écrire par la fin ". Un peu simpliste ? D’accord, comme la fin veut les moyens, mettons la fin au milieu, quitte à mettre le milieu au début, ce qui, à la fin, ne laisse qu’une place pour le début.

    Pas satisfaisant ? Bon, une autre solution : ne pas écrire de fin et annoncer qu’il y aura une suite. Dans la suite - moitié moins longue que le premier tome car vous êtes fatigué, vous réservez vos forces pour l’avenir et vous ne voulez pas lasser le lecteur - ne pas faire de fin et annoncer qu’il y aura une suite (deux fois moins longue évidemment). L’indentation (*) est ainsi enclenchée. Le lecteur va courir après la fin par laquelle - oh désespoir ! - il n’aura jamais pu commencer. Feinté le pressé, le je-veux-savoir-tout-tout-de-suite, le celui-qui-met-toujours-la-charrue-avant-les-boeufs, le léger, le frivole, l’inconscient. Il n’aura la fin qu’à la fin de sa vie. Je vous vois venir, l’indentation se poursuivant théoriquement à l’infini, le lecteur ne verra jamais la fin. C’est compter sans la limitation physique du phénomène d’indentation ; le saucissonnage des phrases et des mots s’arrête forcément à un temps t. La fin sera donc une lettre. Ecrivain, choisis cette lettre la plus belle possible, il en va de la qualité de ton ouvrage, de ta notoriété et de la belle ambition que tu as de ne pas laisser le lecteur sur sa fin.

    Si malgré tout, tu as raté ta fin dis-toi bien que tu viens d’inventer, non le feuilleton, c’est déjà connu, mais le feuilleton à terme car même si tu coupes les lettres en quatre, tu finiras toujours par tomber sur le dernier atome d’encre (à condition bien sûr d’avoir encré ton bouquin dans le bon port). A bon entendeur, salut.

     

    (*) L’indentation est un processus mathématique repris par les informaticiens dans le but de programmer scientifiquement toutes sortes de choses. Exemple pédagogique : vous pratiquez le casting pour découvrir la femme canon et les candidates recrutée par petites annonces se présentent à vous. Première étape, vous les numérotez. Deuxième étape, vous les mettez en file indienne par ordre de numéro. Troisième étape, vous les faites passer à tour de rôle sur la balance. Si la balance marque plus de quarante-cinq kilos, vous balancez la candidate (mais pas la balance, elle servira encore à n+1). Si la balance marque moins de quarante-cinq kilos, vous retenez la candidate. Après ce premier tri, vous renumérotez les candidates retenues et vous les soumettez au mesurage du tour de poitrine. Si le centimètre indique moins de 90 et plus de 120, vous éjectez la candidate. Si le centimètre indique entre 90 et 120, vous retenez la candidate. Vous procédez ainsi suivant tous les critères de la femme canon. Si au bout de ces processus d’indentation, votre compteur tombe à zéro, vous n’avez plus qu’à repasser votre petite annonce pour obtenir un nouvel échantillon. Ne vous découragez pas, le succès est au bout, la gloire et les feux de la rampe avec. Les mathématiciens ont prouvé qu’après un boudin n, il y a forcément un canon n+100.


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  • Un petit divertissement ce soir au café. Ysiad nous raconte combien il est difficile pour un ancien haut fonctionnaire de poursuivre son œuvre …

     


    Viens voir Papa, mon poulet. Tu sais combien Papa t’aime, lui. Papa te pige au quart de tour, mon mignon, c’est pas comme ta Maman qui te rationne honteusement. Une virago sans pitié. Jamais rien compris aux bêtes. C’est pas comme moi. Poulet poulet poulet ! Comme il est beau le poulet de Papa ! Non. D’accord. Tu n’aimes pas quand Papa t’appelle Poulet. Tu as raison. C’est pas beau, poulet. Papa doit t’appeler Sumo. Oui, mon trésor. J’obéis. Comme il est mignon le trésor de Papa. Oui, mon coco. Pardon, pardon, pardon. Mon Sumo. Viens voir ce que Papa a déniché pour son Sumo sur Wanimo. Heureusement que Papa s’est mis à Internet. Tout le temps branché, Papa. Surf à fond les manettes à l’affût d’une promo. Tous les cadeaux qu’on trouve sur Internet pour son bichon mignon. Un nouvel os en peau de buffle, certifié écologique. Absolument. Et des baballes en hochet. Oui mon chéri. Tout ça pour toi. Et une vraie niniche en plumes d’autruche bien douillette et moelleuse. Ouais. Rien n’est trop beau, tu le sais. C’est bien. Lèche la main de ton grand Papa Jacquot. Comme je t’aime, mon bon bichon. Mords bien ton bon nonos de bubuffle. Ouais. Vas-y à fond, c’est bon pour tes canines, comme lorsque Papa mordait dans de bons poulets gratuits offerts par la Mairie de Paris. La faim, je sais c’ que c’est. Et après le bon nonos, qui c’est qui va avoir sa bonne sousoupe ? C’est Sumo ! Et ouais ! Ha ha ! Jacquot est un grand ami des bêtes et des bichons maltais. Jacquot était aussi un grand ami des Français. Tu sais que maintenant, mon Sumo, la moitié de la France regrette le grand ami des Français qui tapait goulûment su’l cul des vaches durant la foire annuelle aux bestiaux en s’enfilant du sauciflard ? Et ouais. C’est la vie. Maintenant, Jacquot, il a son bichon et il a Wanimo et il compense et voilà. C’est la vie. Viens sur ton grand Papa. Là. Regarde tous les beaux produits sur Wanimo. Sans compter que c’est l’avalanche de prix en ce moment. Regarde-moi ça. Putain, font du rab sur les oreilles de porc. Tout s’écroule comme les cours de bourse. Ha ha. L’orgie. 15 kg de Royal Canin plus 5 kilos gratos. Et des sticks Porks en packs de six à prix sacrifiés. Je te commande 3 kilos de stick Porks. N’empêche que ça a l’air vach’ment bon, ces sticks Porks. J’en goûterai avec toi. Livraison gratuite. On va s’en met’ jusque là. Y a aussi des matelas glamour ouate et des bonbons à la menthe pour rafraîchir l’haleine et des nouveaux cirés. Idéal contre la pluie qui mouille. Trois tailles, existe en écossais. Ah la la. Ecossais ou uni ? Zat is the Kouechtione. Va pour l’écossais. Ouais. Et un sac à roulettes pour quand on partira en voyage avec Maman si elle nous prend pas la tête avec ton régime. Elle fait rien que nous embêter, Maman. T’as pas besoin de faire de régime, toi.

    - Jaaaacques !

    - Présent, Bernadette.

    - Tu n’as pas encore nourri Sumo j’espère ?

    - Mais non. Je t’attendais.

    - Pas plus de trente grammes.

    - OK.

    - Je surveille. Attention.

    - OK.

    - Pèse les avant.

    - OK.

    - Léger, le poignet.

    - Léger. Une plume. Juré craché. Papa ne ment jamais.

    Mon pov’ Sumo. 30 grammes. Une misère.

    Viens mon coco. On se rattrapera. Attention, je verse….

    Aouch ! Mais pourquoi tu mords Papa comme ça mon poulet ? Aouch ! Coco joli ! Aouch ! Ma main est en sang !

     

    - Bien fait. Cette bête déteste les vieux gâteux qui le suralimentent. Viens mon Sumo. Vas-y, mange tes croquettes de régime. Ta Maman n’achète pas des cochonneries dégoûtantes sur Internet, elle. Elle les a achetées spécialement chez le vétérinaire.

    Cause toujours, virago. Cause toujours.

    La photo de Sumo, elle est déjà sur Wanimo. Dans les bras de son Papa.


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  • Où l’on revient grâce à Suzanne Alvarez sur le fameux Banc aux goélands de Jean-Paul Lamy. Si vous ne l’avez pas encore lu, voilà donc une raison supplémentaire de passer commande auprès de l’auteur :  janpollamy@wanadoo.fr



    Alors que dans ce terrible FACE A FACE, Lili, avait, pour contrer la veulerie ordinaire de l'espèce humaine, "besoin de croire à un petit îlot de sincérité", des larmes montaient aux yeux de Paulo et "coulaient abondamment sur ses joues, tombaient, lavaient le visage impassible du mort de la souillure qu'il lui avait infligée"...

    "Il les attendait, immense, droit, les mâchoires contractées, le regard dur. Effrayant. Ça vous glaçait le sang".

    "Vu d'ici, le paysage tend vers l'abstraction : trois bandes horizontales. La première est verte, la seconde, celle de la mer, d'un gris verdâtre et sale, la troisième est lourde d'un ciel lourd de menaces".

    Dans un luxe de détails, le héros nous entraîne dans la PENTE de sa "pauvre finitude face à cet infini d'eau et de temps"...

    Et c'est ainsi que, dans le BOIS DOMPTĖ "devant mes yeux, un Christ et toute la souffrance de l'humanité surgissaient lentement de la masse de bois. La tête penchait d'un côté, le masque était douloureux mais il conservait une grande noblesse, une dignité muette : la victime était plus forte que ses bourreaux" ; Loïc, ciseau à bois en main, croyait pouvoir assurer son bonheur à l'image de tous les Colas Breugnon qui honorent notre littérature. Mais le destin en avait décidé bien autrement...
    A l'OUEST-EST
    il n'y aurait rien eu de vraiment nouveau dans cette histoire d'hommes, sans la présence de ce "petit homme trapu au poil roux et au regard bleu qui inspirait des sentiments contradictoires à ses compagnons", ceux-là même qui "se moquaient de lui mais n'avaient pas honte de profiter de ses petites combines"...

    Grâce à ses RENCONTRES, l'auteur du Banc aux Goélands, instruit, sans doute, par ses riches expériences, nous donne ici une formidable leçon de vie et, dans son immense sagesse, nous incite à profiter de chaque instant de cette "vie palpitante et impatiente, la vie éphémère et scintillante, la vie souriante et fragile, la vie qu'elle avait failli perdre de la manière la plus absurde qui fût, la Vie qu'il fallait écrire avec un grand V parce que la certitude lui était venue qu'il n'en était point qui ne méritât qu'une minuscule"...

    Face à ses BOUTEILLES VIDES, Antoine, le vieil ours solitaire, sombrera peu à peu dans un désespoir sans fin. "Des messages étaient venus s'échouer là, il en était sûr, mais quelqu'un était passé avant lui et avait tout raflé" donne une note pathétique à cette histoire. "...c'était comme un ricanement de la mer". "Ce qu'il avait attendu toute sa vie ne s'accomplirait donc jamais". Mais la force de cette oeuvre provient sans doute de la compassion du docteur dans sa manière d'aborder la mort...
    Me Quantil mène, quant à lui, UNE VENDUE
    tambour battant, émaillant ses propos de piques savoureuses, surtout destinées à faire monter les enchères. "De nos jours, on ne prend plus le temps de faire les choses comme il faut... Ah ! Je vois que les dames me comprennent...". Oncques a-t-il jamais connu commissaire-priseur plus spirituel ? Mais attention, ne vous méprenez pas, car derrière cette histoire vaudevillesque, on sent poindre de "vieilles rancœurs rassises et tenaces" qui peuvent mener au désespoir...

    Pendant ce temps-là, prenant l'IF à témoin, Folingue, le philosophe indigent, "le chantre des vents d'exception...reprit son souffle et poursuivit : Oui, mesdames et messieurs, un vent à déboiser les cerfs, à déchanter sous la pluie,...à décaler les forts en thème, à décapoter les pharmaciens..."...
    M.Peyrot qui "était vieux comme les pierres" tuait le temps en observant de sa fenêtre les allées et venues de ses voisins. Il faut dire qu'
    "il jouissait d'une VUE PLONGEANTE sur les jardins ouvriers et les rives de la Borette"...

    Dans l'AMOUR POUR TOUJOURS, c'est avec un humour féroce que l'écrivain brosse sans complaisance le portrait d'un bourgeois de province, victime de sa mesquinerie et de son mépris pour les petites gens, non sans avoir évoqué les fables de La Fontaine : "La Cigale et la Fourmi, le Lièvre et la Tortue, oui, il se souvenait mais le Loup et le Chien, non, vraiment, ça n'évoquait rien pour lui... Sans doute une oeuvre mineure, une morale douteuse..."...

    PIERRE PAUL ET CIE "Il avait aussi décidé que frugal repas était beaucoup plus chic que repas frugal"..."Viens, tout cela me fait un peu tartir...". M.Paul, est un ministre qui bouscule le protocole et donne une grande claque à la hiérarchie sociale, pour le plus grand bonheur des gens de petite condition.
    Grâce, ou plutôt, à cause d'UNE PIERRE DANS SON JARDIN
    , Louis, le sceptique, pensait à juste titre que : "Chacun voit midi à sa porte" ; mais c'était sans compter sur le destin qui...

    L'OIE SAUVAGE est une histoire douloureuse. Malgré tout "il partit d'un bon gros rire bien gras qui signifiait que c'était là qu'il fallait s'esclaffer". Dans leur DECONFITURE, la honte, la vraie honte pour eux, ce n'était pas tant de se trouver mesquins, mais d'être reconnus comme tels...

    C'est sans doute à cause de ce SALAUD D'HUXLEY qu'Edith avait fait sauter une maille. Bien obligée fut-elle de détricoter tout un rang "puis, de nouveau, ses aiguilles se lancèrent dans une danse alerte et gracieuse"...

    J'ai eu un HAGUE A L'AME le jour où j'ai rencontré l'énigmatique Geneviève. Mais je n’avais pas capté tout de suite quand elle avait ajouté "comme en confidence, après une hésitation...J'ai toujours froid"...
    DE L'AUTRE COTE DE LA HAIE
    , le mort trouvé par Roland et son pote, et le p'tit coup de gnole chez M'sieur l'Maire firent que ce dernier ne se sentit
    "plus chez lui nulle part"...

    L'auteur met en oeuvre une réflexion critique sur la nature humaine et sur l'appartenance sociale sur le BANC DES GOELANDS. "Chloé aime beaucoup la lecture. Et toi ?... Je répondis : je lis le dictionnaire"...
    Et puis, voilà un séducteur, qui, à force de jouer au jeu de la séduction, finira à son tour par se laisser séduire. Mais l'histoire de DESIR
     est bien trop douloureuse pour que nous puissions nous en réjouir.

    Le mieux, pour se changer les idées, surtout quand elles sont bien noires, est de faire UNE SORTIE PEDAGOGIQUE RICHE D'ENSEIGNEMENT avec le prof de Géo, Mme Humboldt, pour traquer le méridien de Greenwich. "Hélas ! Hélas ! Hélas ! se lamente notre professeur..."

    Mais gare à ROMULUS LE TYRAN ! Remarquez bien, pas si tyran que ça ce St Bernard ! "Et bientôt elle tomba d'accord avec son chien : Julien caressait très bien"...

    Et pour finir, à vous, je peux bien le dire : QUI ETAIT M.BUHOT ? Un illustre médecin ? Un grand peintre ? Un héros de la Résistance ? Un séducteur ? Un voyou ?...Ou tout à la fois ? Allez savoir !

    NON ! Vous n'irez pas savoir puisque je me suis interdit de vous révéler la moindre petite chute de ce recueil avant que vous ne l'ayez lu en entier. Frustrant n'est-ce pas ? Comme je vous comprends, surtout vous, là-bas, dans le fond...les inconditionnels de la chute !

    Quant à vous dire mes préférences ? Face à Face, Une Vendue ? Bouteilles Vides ? De L'Autre Côté de la Haie ? L'Amour Toujours ? Bois Dompté ? Pente ? Quoique Consensus, Romulus le Tyran, l'If, Rencontres...me plaisent tout autant. Alors quoi ? Eh bien, je vous répondrais tout simplement...TOUS, ils me plaisent TOUS...Certains récits m’ont émue et m’ont provoqué un frémissement douloureux, et d’autres m’ont laissé bizarrement, un curieux guili au creux de l’épigastre.


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