• Que vous soyez nomade ou sédentaire, voilà une chronique de Gilbert Marquès qui vient fort à propos pour accompagner l’été et ses multiples rendez-vous avec l’imaginaire.

    Le café et ses collaborateurs prennent trois à quatre semaines de vacances. Pendant ce temps, ce texte sera en haut de l’affiche. Bien sûr, les autres pages du menu resteront disponibles à la lecture et aux commentaires. Nous vous souhaitons de trouver inspiration et plaisir d’écrire du côté des appels à textes " Soifs d’été" et " Le regard " à propos de la dépêche expéditive du numéro 20 de Blogcity, revue d'étoiles.
    A bientôt.

     

      * * *

     

    L'angoisse de la page blanche, de la toile vierge ou de la partition…

    Selon les disciplines, tout créateur a au moins une fois éprouvé dans sa vie ce vide gigantesque.

    Il a envie mais ne peut pas ! L'inspiration s'est mise en vacances. Dehors, le soleil parade et n'aide guère alors…

    Alors, prendre son courage à deux mains et forcer le destin ou la flemmardise, sacrifier la sieste, saisir par surprise une idée volatile pour l'incruster sur le papier, la toile ou la partition et tenter d'en faire quelque chose, peut-être une œuvre inoubliable.

    Que sommes-nous finalement sinon des artisans besogneux qu'un rien suffit à distraire ? Le moindre prétexte sert de mauvaise raison pour éviter de se pencher sur le papier, la toile ou la partition puis…

    Puis survient un événement, souvent dramatique, et alors, comme par miracle, l'inspiration revient parce qu'il devient urgent de figer des sensations, des émotions, des souvenirs puis de les disséquer pour les assimiler, les expliquer.

    Les vacances sont oubliées et durant une période plus ou moins longue, le créateur ne vit plus qu'au travers de ce ressenti. Plus rien n'existe autour de lui que ces choses diffuses et indéfinissables qui hantent son esprit et qu'il doit impérativement immortaliser. Il ne peut se consacrer à rien d'autre et le temps même s'est enfui comme la notion abstraite qu'il est. Le créateur jette des notes, trace des esquisses, expulse des mélodies qui nourriront dans les semaines et les mois futurs sa passion créatrice.

    Certes, toute création ne suit nécessairement ce processus mais quel créateur peut prétendre n'avoir pas cédé au moins une fois à cette forme d'inspiration née d'un événement le touchant intimement ? L'œuvre qui en jaillit, si elle n'est pas la meilleure parmi toutes celles produites, s'avère néanmoins souvent la plus touchante pour le public parce qu'elle est empreinte de sincérité, de franchise, dénuée de tout artifice. L'artiste se dénude sans penser à rien d'autre qu'à son sujet. Les mots, les couleurs, les notes viennent spontanément du cœur vers l'esprit.

    Voilà finalement qui différencie le créateur du commun des mortels. Plus que sa capacité à traduire des émotions et à les transmettre, l'hypersensibilité qui le caractérise lui permet de ressentir l'impalpable et l'improbable pour toucher l'autre dans ce qu'il possède de plus secrètement humain.

    L'apaisement vient avec le partage. Une manière de faire le deuil ou bien de se soigner, d'éviter la folie ou le suicide, de pouvoir aussi continuer à vivre dans une société où tout lui est à la fois contraire et contraintes.

    Le créateur demeure un inadapté sans quoi il n'aurait rien à dire et ne pourrait pas non plus exercer son esprit critique ni son libre arbitre. Il ne serait ni râleur ni colérique. Il ne serait pas égocentrique. Il serait simplement soumis.

    Hors, il aiguise sa plume, son pinceau ou son crayon en armes redoutables de revendications pour affirmer ses différences, son individualité indivisible, son intégrité, ses libertés de penser et de dire.

    Le créateur reste un être unique, à part, en marge, solitaire par définition et sociétaire par obligation. Il observe le monde, le palpe, le déguste puis le recrache transformé en idéal utopique que les hommes interprètent jusqu'à en édulcorer l'essence à leur profit.

    Dès lors, le créateur peut parfois se sentir incompris et en vérité, il l'est toujours parce que ceux avec lesquels il communique n'ont pas sa pureté de pensée. Ils ne savent ni comment ni pourquoi l'œuvre est née. Ils cherchent alors à comprendre mais comment y parviendraient-ils quand le créateur lui-même souvent ne sait pas répondre à ces questions ?

    C'est aussi à cause de cette incapacité à résoudre ces problèmes que les autorités de toutes obédiences craignent les créateurs étiquetés dans une élite dangereuse. Ils sont incontrôlables et parfois incompréhensibles et c'est bien connu, on a toujours peur de ce que l'on ne comprend pas et plus encore de ce que l'on ne connaît pas. Alors, la censure fut inventée pour tenter de maîtriser ce qui est par définition indéfinissable. D'autres, plus catégoriques, ont créé le lavage de cerveau et les prisons mais parvient-on véritablement à encager le rêve ? De plus malins ont essayé d'acheter les idées pour museler l'opposition mais qui est assez fortuné pour pouvoir se les offrir toutes en croyant les rendre muettes ? Les derniers enfin, les plus catégoriques, ont décidé de fusiller l'être afin de n'avoir plus que des moutons à leurs bottes mais est-il possible d'assassiner la pensée même si on peut parfois la juguler par la peur ?

    Tous ces potentats ont cependant oublié un détail important : l'inspiration n'a pas d'étiquette. Elle ne se soigne pas comme un vulgaire rhume. Elle ne s'enferme pas. Elle ne se laisse ni soudoyer ni commander et elle ne craint rien ni personne.

    Et ses serviteurs, les créateurs, sont des hydres immortelles renaissant sans cesse de leurs cendres pour essaimer la liberté malgré les coups qui leur sont portés depuis les temps plus reculés où l'homme a tenté d'asservir ses semblables. C'est le rôle qui leur incombe, parfois malgré eux, et c'est en cela que leur existence n'a pas de prix. Ils ne connaissent ni loi ni morale sinon la leur devenant quelques fois celles des autres. Alors…

    Alors toutes les sirènes de nos marchands actuels pourront déployer leurs charmes pour tenter de les séduire, ils ne se laisseront pas circonvenir et resteront maître de leur destin, y compris dans l'adversité dont ils ont l'expérience. Ils sont au service de l'inspiration et des autres hommes mais en toute indépendance. Ils sont maîtres de leurs idées et n'obéissent pas à celles des autres.

    L'inspiration ne s'embarrasse pas des conventions sociétaires même si certains veulent la transformer en produit manufacturé de grande consommation à leur seul et unique profit. Ainsi prétendent-ils vouloir instaurer une pensée unique dans un monde aseptisé.

    Rassurez-moi, ce n'est pas possible ?

    Aussonne, le 18 Juillet 2008


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  • Une dernière nuit blanche en compagnie de Corinne Jeanson avant la pause estivale…


    Mante cannibale


    Même quand tu oublies
    Dans tes détours
    De me dire je pars
    Je prends plaisir
    A te deviner ailleurs

    J'aime quand tu déposes
    Tes secrets sur ma bouche
    D'un simple doigt
    Les soirées s'allongent
    Je déroule nos instants
    Je les déplie
    Comme des cornets
    D'oublies

    Absent de toi, je range ton boudoir
    Tes bas abandonnés
    Ta jupe fendue
    Et ton parfum
    Traînant
    Je pourrais parcourir les rues
    Te retrouver
    Accoudée nonchalante
    Dans les bars d'étuve

    Je tourne en rond
    Dans le couloir vide
    Je déplie une carte
    Pour dessiner tes voyages
    Impossible de me détacher
    De tes fantaisies
    Les pinceaux sur la toile
    Te grimacent des poses
    De mante cannibale
    Je croque le baiser
    Que tu donnes à des inconnus

    Quand tu réapparaîtras
    Dans mon antre
    Avec ton sourire esquissé
    N'oublie pas
    Mes morsures de bête
    Te saisiront.


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    Une chronique à la petite semaine de quelques judicieuses fabriques de littérature.

    A cliquer dans les Aiguillages :

     

    Sur Mot Compte Double

    Sauf erreur, la collection " Rouge " est terminée. Pour retrouver les textes de cette remarquable saga, il suffit de cliquer sur link 

    Chez
    Stéphane Laurent

    Stéphane n’en finit pas de s’énerver… mais bon, on entend guère les lecteurs se plaindre…

    Chez Georges Flipo

    Une radioscopie des manœuvres et stratagèmes, des trucs et astuces, des recommandations et coups de main, des facteurs de nuisances et zones d’influences autour des relations réelles ou supposées entre auteurs et éditeurs …

    Sur Pour le plaisir d’écrire

    Ernest J. Brooms dit beaucoup de bien de la revue Les Hésitations d’une Mouche. Il a raison Ernest, d’autant qu’il figure au sommaire, tout comme notre ami Jean-Claude Touray et moi-même pour l’édito consacré aux concours de nouvelles.

    Chez Magali Duru

    Une préparation à l’oral du bac digne de figurer dans les annales (28 juin)

    Sur Bonnes Nouvelles

    Après une pause (absence de connexion internet), Bonnes Nouvelles reprend enfin du service avec à l’affiche une dizaine de nouveautés.

     

    La dépêche expéditive de chez Reuters

    Un Italien s’est vu condamné à une peine de dix jours de prison avec sursis assortie d'une amende de 40 euros pour avoir trop longuement posé son regard sur une passagère de 55 ans dans un train de banlieue. L'homme, âgé d'une trentaine d'années, était poursuivi pour harcèlement sexuel. Le rapport de police spécifiait que les voyageurs s'étaient retrouvés à deux reprises la même année. La première fois, l'homme avait pris place à côté de la passagère, qui se serait plainte d'être approchée de trop près. La seconde, il avait choisi de s'asseoir en face d’elle et, aux dires de la plaignante, de l’avoir dévisagée pendant tout le trajet. Et le rapport de se terminer sur cette note : à aucun moment ils ne se sont adressés la parole.

     

    Ces drôles de requêtes enregistrées sur la route Google / Calipso

    Comment donner une seconde vie à des placards ?

    Peut-on donner des gâteaux secs à une communion ?

    Dans quelles conditions un chat peut-il faire une crise cardiaque ?


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  • L’aventure commençait juste après le panneau indiquant l’au-delà. Au-delà de cette limite vous devez… L’avertissement périssait sous la rouille et, depuis la délocalisation du site de maintenance des chemins de fer, on ne savait plus trop ce que l’on devait.

    Il en avait fait son territoire. Une zone d’expérimentation bien plus amusante que les parties de cache-cache entre les ateliers et les wagons avec ses copains d’école. Jouer à faire des découvertes, inventer des mondes éphémères, jongler avec les visiteurs était tout simplement magique.

    A peine sorti de l’école, il était sur le terrain. Tapi dans l’ombre à guetter l’imprévu, à épier les couples clandestins, repérer les filous, surprendre les intrus, sentir les intrigues. Chaque homme, femme ou enfant franchissant la ligne de démarcation, faisait l’objet d’une description minutieuse de ses faits et gestes, assorti de commentaires sur ses tics et manies. Rentré chez lui, son carnet de bord devenait l’objet d’explorations passionnées et les événements du jour le répertoire énigmatique de toutes les tentations.

    C’est à partir d’un poste d’observation secondaire, du côté de la chaudronnerie, qu’il avait surpris leur manège. Au risque d’être découvert, il s’était approché au plus près du wagon où s’étaient réfugiés sa petite sœur et son deuxième père. En équilibre sur un bout de marchepied, il avait failli se casser la figure en voyant ce gros bonhomme gigoter à quatre pattes, à moitié nu.

    Heureusement qu’ils ne m’ont pas vu…   avait-il noté après coup. Rien d’autre. A quoi bon, il n’avait jamais aimé l’histoire de l’ogre et du petit poucet.


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  • Même quand il pleut, c’est l’été. Même quand l’atmosphère est grise et embrumée, il est là. Depuis longtemps, on a pris l’habitude d’emmagasiner le soleil pour le faire briller quand il vient à manquer. On se souvient de l’éblouissement des jours bleutés et de l’épuisement des nuits volcaniques. On se souvient de la paume brûlante du ciel avant l’orage et de ses spasmes infinis qui déchirent les ténèbres. On se souvient de la sueur et des larmes, de l’eau de vie et de l’ivresse au goût d’anis.

    On se souvient tous des étés d’avant…


    Pour cet été donc, le café vous propose de participer au rafraîchissement de sa carte en publiant vos rayons de soleil. Pour la mise en bouche Jean-Claude Touray nous offre une
     " citronnade "

     


     

    - L’été, grand-mère nous faisait boire de la citronnade…

    - Citronnade Maison ?

    - Naturellement. C’était vraiment rafraîchissant. Vers quatre heures de l’après-midi, quand le soleil avait rissolé nos peaux blanches, quand il faisait encore si chaud que la sueur se desséchait sur nos corps d’enfants, quand chacun avait terriblement soif, Mamy nous appelait dans la cuisine. Elle avait préparé les verres et sorti du frigo un grand broc de citronnade. Un liquide jaune-paille où flottaient des glaçons qui tintaient contre les parois du récipient quand elle servait. Je n’ai jamais connu, par la suite, breuvage aussi efficace pour se désaltérer.

    - Il est vrai que le Coca et les sodas aux arômes de synthèse, ne désaltèrent que brièvement, même froids. Trop de sucre. Plus on en boit, plus on a envie d’en avaler. C’est l’addiction en perspective. La bière, que dis-je, les bières, cervoises et autres gueuses, sont faites pour être dégustées, plus que pour couper la soif. Et attention à l’alcool. C’est encore plus vrai pour les vins, qu’il faut boire pour le plaisir. La boisson idéale pour se réhydrater, c’est l’eau du robinet, plus ou moins améliorée par chacun.

    - Mamy gardait secrète sa recette de la citronnade. Je l’ai trouvée après sa mort, calligraphiée dans un petit carnet rouge, caché au fond du tiroir de buffet où elle rangeait pêle-mêle tire-bouchons, ouvre-boîtes, casse-noix, pelotes de ficelle, bougies de gâteau d’anniversaire et tout ce qui n’avait pas sa place ailleurs. En lisant cette recette, d’une désarmante simplicité, j’ai découvert que grand-mère avait un redoutable sens de l’efficacité.

    " Dans un litre d’eau, faire fondre une cuillérée à soupe d’acide citrique (E 330) pour le goût, et une pincée de tartrazine (E 124) pour la couleur. Ajouter dix morceaux de sucre et un peu de sel. Agiter jusqu’à dissolution complète et placer au moins une nuit au réfrigérateur. Servir avec une paille, des glaçons et deux gouttes de menthol ". Rien d’autre.

    - Pas besoin de conservateur, évidemment, puisque ta grand-mère fabriquait sa citronnade pour une dégustation immédiate.



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  • Une huitième Nuit Blanche orchestrée par Corinne Jeanson et un éloge du désir qui ne trompera pas les couche-tard…


    J'avoue, j'avoue
    Tes mensonges
    Nourrissent mes songes
    J'écoute tes fables
    Tes artifices me font craquer
    J'aime les serments que tu sèmes
    Judas je consens à tes baisers
    Tes boniments me gréent
    A ton mat de bateau
    Tes mirages dorent mon désert
    Ton bourrage enfume mes romans
    Tes contes hantent mes sommeils
    Ma vie s'illusionne à tes inventions
    Je fonds à tes tromperies
    Tes non-dits s'accordent à mes imaginaires
    Tes trahisons me délivrent du néant
    Mystifie-moi
    Laisse-moi croire que tu me mens
    J'avoue, j'avoue
    Je triche bien plus que toi
    Tant que tu m'échappes je te désire.



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  • C’est une plongée dans les limbes informatiques que nous propose Ysiad pour ce grand retour de la rubrique " Au cœur de… "

    Informatique, tique, tique…


    Début du vidage de la mémoire physique... Salopard d'ordinateur. Immonde machin moderne, va te faire voir en enfer avec ta carte mère et toutes tes puces électroniques ! L'horreur absolue. Putain, quel crépuscule. Ouhhhh! Je meurs. Je suis morte, laissez-moi mourir tranquille, je flotte déjà sur le ventre au milieu d'un océan de papier. Non, vous ne pouvez rien pour moi les enfants, personne ne peut rien pour moi, l'ordinateur a implosé et tous mes textes avec. Si, tous. Les achevés, les sur le point de l'être, les en gestation, les pensées d'un soir, les folies d'un jour, les embryons d'idée, les brouillons, les impulsions alcoolisées... Tout. Je vous dis de me laisser, et puis pas de compassion, surtout. Allez-vous en, fermez la porte derrière vous bon sang, et adieu. Bonsoir.

    Purée purée purée, qu'est ce que je vais faire ? Six années de travail liquidées, évaporées, en une seconde chrono, le néant à l'écran. Même pas une étincelle de vie qui pourrait me laisser un semblant d'espoir. Je n'ai plus d'espoir. Plus rien ne s'allume, vide abyssal, à moi les gouffres amers de Baudelaire. Plus de mots, plus de texte défouloir, plus aucune nouvelle, même pas le plus petit brouillon à triturer sur le clavier... Fichu, foutu, tout est foutu. Pas possible. C'est pas possible ! Ouhhhh ! Début du vidage de la mémoire physique... J'aurais dû me méfier de ce message dès le début, appeler dare-dare le service après-vente, au lieu de me demander ce que ça pouvait bien vouloir dire ! Et ce crétin de téléphone qui sonne. Mais tais-toi donc, stupide engin beuglard, pourvu que ce ne soit pas ma belle-mère, j'en ai pour une heure à garder mon calme en m'arrachant la peau des joues.

    Allô ? Ah, c'est toi, Maman. Je préfère ça. Mal. Très mal, au plus mal, au bord du Styx. Mon ordinateur vient de crasher, oui, une implosion en plein vol alors que j'étais en train d'écrire un texte vertigineux sur le thème de la dent. Oui, ça existe, tout existe, il y a eu des thèmes sur le pied, sur la main, sur le nez, maintenant c'est sur la dent, et j'étais en train de trouver des jeux de mots fabuleux sur les dents, quand tout a planté. Net ! Plus rien. Kaput. Adios, amigos. Il ne me reste rien ! Comment ça : C'est pas dramatique ? Répète moi ça un peu pour voir ? Koâ ? Me calmer ? Mais je ne PEUX PAS me calmer ! Tu me dis que c'est pas dramatique si j'ai plus d'ordinateur ? Mais tu veux ma mort. Ma propre mère veut ma mort. Si, tu la veux, ne nie pas. Tu veux que je crève avec l'ordinateur. Tu n'as jamais aimé mes textes, oui ! Jamais, jamais, jamais ! Quand j'ai le malheur de t'apporter un recueil comme une relique, tu me dis merci. C'est limite. Merci, c'est le minimum syndical, c'est tout. C'est pas beaucoup, non. J'aurais bien voulu un gros maximum syndical avant que l'ordinateur n'implose. Parfaitement. Il a implosé. Quand un avion se crashe, il explose, quand un ordinateur se crashe, il implose, c'est comme ça. Et tiens, je devine même de la fumée à l'intérieur ! Une grosse fumée bien épaisse avec toutes mes nouvelles dedans ! Tout est parti en fumée, Maman... Tous mes mots sont morts. Décédés. Crevés, calcinés. Mais non, Maman. Tu dis n'importe quoi. Comment veux tu que je retrouve mes textes dans ma tête ? C'est impossible. Le cerveau est une machine bien trop complexe pour remonter son cours, d'autant que j'écris d'abord au crayon, et ensuite à l'écran... Entre le crayon et l'écran, il y a un océan, Maman. Tu ne peux pas comprendre, mais je sais de quoi je parle. D'autant plus qu'il n'y a pas que le papier et l'écran, il y a aussi les post-it ! Parfaitement. Maintenant comment veux-tu que je retrouve le cheminement subtil qui mène aux post-it de la corde à linge ?... Mais non bien sûr, je ne suis plus sous garantie. La fin de la garantie, c'était le mois dernier. Pas de bol, je sais. Ah je t'en prie, ne compatis pas, j'ai horreur de la compassion forcée, ça coule dans le téléphone. Tu les as, les recueils que je t'ai confiés ? Koâ ? Tu t'en es servie cet hiver pour démarrer ton feu dans la cheminée ? Mais pourquoi tu les as pas gardés ? Koâ ? C'était pas aussi bien que Pirandello ? Mais Maman ! Comment peux-tu dire une chose pareille ? Tu auras beau chercher, plus personne n'écrit comme lui, va donc faire un tour au Salon du Livre... Pirandello était un génie, Maman. Les génies, il faut les relire avec passion, aimer le monde qu'ils vous donnent et les reposer sur l'étagère des génies en les regardant comme des étoiles inaccessibles. Ils n'ont pas besoin d'ordinateur ni de corde à linge pour renforcer leurs phrases, eux. Ils écrivent vingt feuillets d'une traite, ils jettent un peu de poudre d'or sur leur encre, et ensuite, pfouit, ils courent cueillir des pâquerettes... Oui, j'en avais beaucoup. Un bon paquet. 211, comme Pirandello. Je plaisante. 112 merdiques et 2 sublimes... Je ne sais pas ce que je vais faire, je vais appeler un dépanneur. Mais non, je ne vais pas faire de bêtise avec la corde à linge ! Je vais m'acheter une Olivetti double bande dès demain, et basta.

    Ciao, Maman.

    Tout de même. Me payer un crash pour m'entendre dire que je n'écris pas comme Pirandello...

                                                                                                                Ysiad


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