• Pour la rubrique " Au cœur de … " Ysiad nous propose un reportage dans les coulisses du sport de haut niveau…

     

     

    J POINT P

     

    Bonjour les enfants. Je me présente : Poustaud Jean-Paul, J POINT P, vot’ nouveau prof’ de gym. Quelqu’un dans cette classe peut-il me dire pourquoi je précise bien : J POINT P ?

    - Moi M’sieur.

    - Vas-y.

    - Parce qu’il y a plusieurs Jean Paul.

    - Pas du tout. Suivant.

    - Parce qu’on peut confondre avec Jean Pierre.

    - Du tout. Suivant.

    - Parce que vous avez un frère.

    - Parce que j’ai un frère. Bravo Chouchou. Même qu’il s’appelle Christophe, et qu’il est aussi prof de gym ici, dans le même bahut, ça prête à confusion et ça explique pourquoi je tiens beaucoup à J POINT P. Ça permet de faire le distinguo entre collègues. Je dis bien : collègues. Sachez que dans l’éducation nationale, y a plus de lien de parenté qui tienne, on est une immense famille de collègues, Poustaud Christophe, c’est plus un frère mais un collègue, c’est pour ça que je précise bien J POINT P, pour qu’on me prenne pas pour mon frère, prof de gym dans le même collège. Des questions ?

    - Moi, M’sieur !

    - Comment tu t’appelles ?

    - Gabriel.

    - Gabriel. Vas-y.

    - C’est rapport à votre frère…

    - COLLEGUE !

    - Collègue. Il est dans quelle classe ?

    - On s’en fiche puisque vous avez J POINT P pour prof de gym ! Retenez bien. J POINT P. Bon. Passons aux horaires. Qui c’est qui connaît les horaires de gym ?

    - …

    - Personne ? Je récapitule. On va se voir trois fois par semaine, une heure le lundi de 9 à 10, deux heures le mercredi de 10 à 11 et une heure le vendredi de 15 à 16, soit trois heures en tout, c’est du lourd. Du très lourd. Tiens, toi, chouchou, distribue la feuille des horaires à tes p’tits camarades. Bon. Parlons terrain. Il y a le grand terrain et le petit terrain. Alors : quelqu’un peut me dire sur quel terrain on va faire de la gym ?

    - …

    - Personne ? Bon. On va faire de la gym sur les DEUX terrains ! Sur le grand terrain on va faire du foot, du basket, du base-ball et des tours de pelouse, minimum cinquante pour s’échauffer, et s’agira pas de s’inventer des crampes au pied pour les dispenses. Sur le petit terrain, on va faire du volley-ball, du hand-ball, et des passes à dix. Pas de questions ?

     - …

    - Parfait. Passons au gymnase. Au collège, il y a deux gymnases. On va partager un gymnase avec la 6ème 4, dont le prof de gym s’appelle Poustaud Christophe, alors attention. Faudra pas vous tromper. Quand vous demanderez Monsieur Poustaud, faudra bien préciser : J POINT P. Donc dans le gymnase, on fera la même chose que sur les terrains, sauf qu’en hiver on sera chauffés. Des questions ? Toi, là-bas, c’est quoi, ton nom ?

    - Maurice.

    - On t’écoute Maurice.

    - Ben heu… Est-ce qu’il y a des douches ?

    - Excellente question. Justement oui. Depuis cette année, il y en a. Et il y a aussi des vestiaires pour se changer. Des vestiaires filles pour les filles, et des vestiaires garçons pour les garçons.

    - Mais heu… Est-ce qu’on sera obligés de prendre des douches ?

    - Alors là chacun fait comme il veut. Si tu veux rester crade, tu te laves pas ! Avec J POINT P, la douche n’est pas obligatoire. Qu’on se le dise. Passons au stade. Pour aller au stade, il faudra prendre le car de 9 heures dix.

    - Mais si on est malade ?

    - Quoi, malade ? Précise.

    - Si j’ai mal au cœur….

    - Ben Chouchou si t’as mal au coeur, tu te mettras à côté de moi côté vitre, comme ça on sera parés. Passons au matériel. C’est simple. Ouvrez bien vos oreilles, je le répéterai pas. Je veux pas de tenue sportive. Une tenue sportive, c’est ce que je porte maintenant. Un sweat, un pantalon mou, des baskets à scratch. C’est pas bon, ça. Du tout. Je veux une tenue de sport. Nuance. Quelqu’un peut me dire ce que J POINT P veut dire par : Tenue de sport ?

    - …

    - Bon. Explication. Une tenue de sport c’est un survêtement conçu pour l’usage du sport et non pour repeindre l’appartement ou descendre les poubelles. Un survêtement, donc, à couleurs coordonnées, sans fioritures ni ficelles ni tous ces trucs qui pendouillent pour faire joli, rien que du sobre, qui permette de faire des mouvements amples, d’être à l’aise dans ses gestes. Pour les chaussures, je veux de vraies baskets à semelle en plastique amortisseur, qui aèrent le pied, le détendent, lui permettent de donner tout son punch dans la course à pied, lui laissent sa liberté de pied sans le comprimer, en somme des baskets pour que le pied puisse s’épanouir. Par exemple toi, là devant, fais pas ces yeux là, je vais pas te manger, J POINT P est gentil avec les enfants, c’est pas comme Poustaud Christophe, qui lui les mange, eh ben toi par exemple, t’es pas en tenue de sport. Le haut ça va, le bas aussi, mais voilà : t’as pas les bonnes chaussures.

    - Mais… C’est des Puma, M’sieur

    J POINT P…

    - Je dis pas, c’est très bien les Puma, mais ce sont pas les bonnes chaussures avec des trous pour aérer la voûte plantaire.

    - C’est Maman qui me les a achetées exprès pour le sport.

    - Eh ben ta Maman pouvait pas savoir, voilà tout. C’est pas grave, on s’arrangera. Qui c’est qu’a des Puma dans la classe ?... Vous avez TOUS des Puma ? Pas possible. Dix mois avec trente cinq paires de Puma, ça va puer des pieds, je vous dis pas. Bon. On va s’en sortir. Faudra prendre des douches. Beaucoup. Toi Chouchou là-bas au fond, arrête de rire. Y a pas de quoi rire tu sais, vraiment pas. J’ai 58 ans, je suis encore jeune mais je manque de mémoire, c’est comme ça, donc toutes les filles je les appelle : Chouchou. Faudra vous y faire. Toi par exemple, Chouchou, là, qu’est ce que tu fricotes dans tes papiers ?

    - Rien, M’sieur. Je cherche l’emploi du temps.

    - Il circule. Tu vas l’avoir. Plus de questions ? Bon ben il reste dix minutes, on va aller faire un foot dans la cour, y a justement mon collègue Poustaud Christophe en bas avec ses élèves. Allez zou !

    Ysiad


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  •                                                                                      Photo Ernest J. Brooms


    Pourquoi ne pas prolonger la nuit blanche de Corinne Jeanson avec un nouvel hommage au tango ? Ernest J. Brooms entre en scène.

     

    La tristesse danse

     

    Ton tango tangue mes mots chagrin, cambre leurs reins. Mes sons tragiques gainés de soie tremblent ta musique. Et la tristesse danse.

    C'est Buenos Aires, le Rio de la Plata, quand sur tes airs, ondule la fille de joie ; costume rayé, cheveux noirs et gomina. Regard de velours, l'homme joue la femme, front contre front, jambe entre jambes... et le corps chante le désir, le respire, s'unit à l'autre, au grand écart du bandonéon. Au grand désespoir des dévots et des faux pudiques. Danse la tristesse, danse !

    Tu quittes Medellin, retour au pays, ton avion explose ! Une larme dans la gorge, tu chantais hier encore l’impossible retour !

    Mais chaque jour et toutes les nuits, tu chantes mieux. Tu vis ici, hantes nos espoirs et nos amours. Au cimetière de Chacarita, tu fais sourire la douleur des femmes. Elles fleurissent ta boutonnière, fredonnent " Silencio " et, entre tes doigts de bronze, glissent une cigarette allumée qui fumera toujours entre mes mots, Gardel, Carlos Gardel.


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  • C’est sur un air de tango que Corinne Jeanson nous invite pour sa prochaine nuit blanche…

     


    Quand tu dis : cette nuit sur la colline
    Je file pour une grande envolée,
    Moi, ton homme à femme, je goûte au spleen.
    Quand tu t'évades pour tes chevauchées
    Je me damne à toi ma douce sauvage.
    Tu te glisses sur les pierres qui roulent
    Avec quoi, avec qui ? Dis ! Ça m'enrage,
    Pour quoi, avec qui tu tangues, ma poule ?

    Quand tu fous le camp rejoindre les loups,
    Ca m'obsède, savoir qui te possède,
    Y faut que je sache ou je deviens fou.
    Quand tu t'éclates, je crie pas à l'aide
    Je préfère, mon bel amour, mourir
    Ou pourrir là sous tes fenêtres closes.
    Au-dessus des lois, au-dessus des rires,
    Monte à ma gorge un goût d'apothéose.

    Ce n'est pas ma faute quand tu m'oublies
    Je me perds au milieu de tes délires.
    Je sanglote quand tu ris à la vie.
    Sous les mille étoiles de tes désirs,
    Mes songes voyagent à la dérive
    Pour toi, j'suis prêt à flirter au-delà,
    A quitter le droit chemin pour tes rives.
    Je garde en moi le parfum de tes pas.




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  • L'heure est à la réforme dans l'enseignement... Comme toujours, profitons des vacances pour soumettre à la consultation et au débat les décisions incontestables arrêtées par la commission de modernisation des programmes éducatifs. Le rapporteur, Jean Calbrix, un professeur de la nouvelle école, s’est autorisé à rendre compte de la mise en œuvre du chantier telle qu’il a pu la vivre de l’intérieur.

     

    à Jean-Paul

    La situation était alarmante. Les caisses de l'état étaient vides. On n’allait bientôt plus pouvoir verser le salaire du Président. Le gouvernement multiplia les commissions pour examiner les dépenses superfétatoires. On réalisa que l'Éducation Nationale - et plus particulièrement l'enseignement des mathématiques dans les collèges - était un gouffre. Tout un aréopage - doctes inspecteurs généraux, parlementaires, personnalités connues pour l’intérêt porté aux choses éducatives - dirigé par le Ministre en personne, passa à la loupe les programmes pléthoriques que les enseignants devaient inculquer aux chères têtes bondes (et souvent brunes).

    Les triangles furent les premiers à subir l'attaque frontale. Il fut avancé que l'étude des triangles quelconques était une ineptie. Pourquoi une telle notion vague, propre à brouiller les jeunes esprits, était-elle enseignée ? De surcroît, ces triangles de guingois représentaient un obstacle à l'approche de la vision harmonieuse de l'univers. Seul le triangle équilatéral par sa simplicité et son esthétisme trouva grâce à leurs yeux. On biffa donc tout ce qui ne concernait pas l'équilatéralité et deux centaines d'heures d'enseignement - ou plutôt de gaspillage enseignemental - furent économisées. Bien sûr, un vieux schnock qui avait dû connaître les dinosaures fit remarquer que Pythagore passait à la trappe. Ce fut un tollé. Comment en 2008 pouvait-on encore se préoccuper de ces choses obsolètes datant de plus de 2.500 ans ? Dans la foulée, les quadrilatères subirent le même sort. Il n'y eut que le carré qui ne resta pas sur le carreau. Et puis, tout ce qui n'était franchement pas rond - l'ellipse, la parabole, l'hyperbole - fut considéré comme faribole. On les élimina rondement. L'économie en heures passa d'un bond de 200 à 600.

    Devant ces résultats encourageants, la commission s'attaqua avec enthousiasme à l'algèbre. Elle remarqua qu'additionner, soustraire et multiplier des lettres, quand on ne les divisait pas, étaient d'une aporie sans nom. Et puis, pouvait-on encore laisser traîner dans les manuels cette expression sibylline et absconse "soit x l'inconnue" plongeant les élèves dans une perplexité sans fond, puisque cette inconnue logeait de manière immuable à la 24 ième place dans l'alphabet ? Les chiffres ne devait pas être mélangés aux lettres, un peu d'ordre était nécessaire : les uns aux maths, les autres au français ! Et le célèbre jeu télévisuel ne s'en porterait que mieux. Il est vrai qu'il était un peu dur, même pour un ministre, de jouer au compte est bon avec des lettres. Quant au mot le plus long avec des chiffres ? Bref, on économisa ainsi plus de mille heures.

    L'euphorie gagna la commission. Après avoir soulevé ce lièvre, elle en souleva un autre dans la foulée. On avait parlé d'opérations mais on n'en avait pas discuté. Quelqu'un fit remarquer qu'un ministre du passé avait déjà fait œuvre de simplification hardie en supprimant allègrement la division au CM, allégeant substantiellement le fardeau des maîtres et des élèves. Aucune heure ne fut économisée, mais la route était toute tracée pour en faire au collège. Si la division était inaccessible à l'école, elle ne l'était pas moins au CES. Certains dirent même qu'elle ne pouvait trouver sa place qu'à Sciences-Po pour illustrer l'adage "Diviser pour régner" devant nos futurs penseurs. On décida donc de biffer le mot division des programmes. Le grognon de service qui avait plaidé pour Pythagore intervint pour défendre sa grande utilité dans les partages d'héritages. Un inspecteur le toisa en rétorquant que les partages en parts égales n'étaient qu'une vue de l'esprit. N'avait-on pas encore en tête l'incident de Soisson où Clovis dut réprimer sévèrement un de ses reîtres qui avait fait voler en éclat un vase qui revenait légitimement au maître après le sac de la ville ?

    On débattit longuement de la soustraction. Le secrétaire de séance biffait, gommait biffait, gommait... On tomba finalement d'accord pour offrir aux élèves des soustractions rondes et carrées, partant sans retenues. Il était vrai que ce mot de retenue était à proscrire car créant des traumatismes irréversibles dans la tête des élèves comme le fit remarquer un éminent psychothérapeute. Le gain en heures atteignait des sommets. Cependant, le Ministre avait placé la barre un peu haut et le compte n'y était pas encore. Alors, un secrétaire d'État émit l'idée révolutionnaire : "Et si on se passait des quatre opérations ?". Monsieur Hewlett-Packard qui somnolait dans son coin, sursauta. Il avait arraché haut la main le marché des calculettes. La proposition du secrétaire d'État risquait de le lui faire perdre. Il protesta avec véhémence. Le ministre le rassura tout de suite. Le cours des bûchettes avait encore augmenté, les machines de monsieur Hewlett-Packard pouvaient habilement se substituer à ce matériel onéreux. On les distribuerait donc aux élèves de CP voire de maternelle pour qu'ils s'initient au dénombrement. Et si, par hasard, certains d'entre eux remarquaient qu'en appuyant sur les touches, il s'affichait des nombres, peut-être que, finalement, découvriraient-ils tout seuls les vertus des opérations, ce qui mettrait aux anges les tenants de l'auto-apprentissage.

    L'objectif était atteint. La commission se sépara grandement satisfaite de ses travaux et vota une augmentation de salaire de 200% pour le Président et une forte prime de rendement pour le Ministre.

    Jean Calbrix


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  • Cela devient une habitude, une plaisante habitude. Figurez-vous qu’il y a toujours un ou une habituée du café pour répondre sans façon aux questions des internautes égarés sur la route Google/Calipso. Aujourd’hui retour au Blogcity, revue d’étoiles N° 18 et à la question : quel risque encourt-on à se croiser les doigts au bureau ? L’auteur de cet exposé n’est autre que Tartambouille. Tartambouille, vraiment ?

     

    Cher internaute,

    Je ne sais si tu es un homme ou une femme, je ne connais rien de toi, et pourtant je ne te remercierai jamais assez. Sache qu’en ce beau jeudi de printemps, tu viens de m’épargner une foulure de phalange, j’étais justement en train de me livrer un fougueux combat d’épées avec deux index seulement.

    Le problème que tu poses est assez complexe pour ne pas le complexifier davantage, comme dirait mon chef de service à l’heure où les pontes se réunissent entre eux devant des plateaux repas qui ne sont pas confectionnés par Roger La Frite, je confirme. Oui, très cher internaute, le problème est complexe car il dépend de l’endroit où tu as l’intention de te croiser les doigts. Tu ne peux plus te les croiser n’importe où. Qu’elle est loin, l’époque où Clémenceau disait qu’un fonctionnaire, ça fait un très bon époux : ça n’est pas fatigué en rentrant le soir et en plus ça a déjà lu le journal ! Maintenant, ce n’est plus possible, et ce n’est même pas la faute de la mondialisation, c’est un simple constat. Les temps ont changé. Beaucoup changé. C’est ahurissant ce qu’ils ont pu changer. On ne les reconnaît plus, les temps. Ils courent toujours autant, mais tout de même, ils n’ont plus rien à voir avec les temps d’avant. Avant, c’était le… 

    Je ne te le fais pas dire.

    Car s’il est vrai que du temps de Clemenceau, on pouvait encore se la couler douce dans les couloirs feutrés des ministères où de gros ventilateurs faisant office de sentinelle berçaient de leur bourdonnement régulier le puissant coma du gratte-papier (consécutif à sa virée aux alentours de midi dans une petite taverne du vieux Paris pour y déguster un pavé de charolais sauce béarnaise arrosé d’un petit vin de terroir), aujourd’hui, dans les ministères, il n’est plus possible de se croiser les doigts sans risquer la mise à pied, surtout au Ministère de la Justice où la Garde des Sceaux arrive aux aurores, pond des décrets à la fréquence de ses visites chez Dior, et déteste les mecs qui ronflent à côté d’elle la bouche ouverte dans les avions, du type Baloo, Boubou, Bourloulou, un nom comme ça, ma mémoire flanche, je suis surmenée, vite un hamac.

    Les temps ont changé, ô voyageur anonyme de la toile, et de même que je projette depuis quinze ans d’écrire une thèse sur l’art de la sieste au bureau ou sur celui du lancer d’avions en papier durant les réunions d’informations pratiques (d’où l’on ne sort jamais indemne contrairement à ce que l’on croit, tant certains orateurs feraient mieux d’aller explorer l’épave du Bananier plutôt que d’infliger à l’auditoire les raisons pour lesquelles il ne faut jamais jeter son emballage de sandwich dans les toilettes mais dans la grande poubelle du rez-de-chaussée), de même lutté-je tous les jours, autant que de besoin, − pour reprendre l’expression favorite de mon chef de service qui préfère, aux croisements des doigts, celui des pieds à même le sous-main de cuir durant ses pauses postprandiales, dans un bon fauteuil matelassé, avec un bon journal, un bon café, un bon cigare et un bon salaire −, contre l’envie qui me saisit lorsqu’à travers le carreau souillé de la fenêtre, l’échelle des pompiers aguiche mon œil et que l’envie me prend d’en escalader les barreaux pour m’envoler par le toit.

    Je lutte, oui. Tout en croisant tout le temps les doigts. Je n’encours pas de risque à proprement parler, ici les gens jacassent ou font semblant de travailler ou les deux en même temps. Cependant cher internaute, je me dois de te mettre en garde. Aussi vrai que les ministères ne sont plus ce qu’ils étaient, tu peux encourir des risques à ne plus te croiser les doigts face à la fenêtre. Vois-tu, il est parfois préférable de te livrer des combats d’index plutôt que de faire irruption dans le bureau de ton supérieur hiérarchique qui lit le journal avec des propos du type : Excusez-moi de vous déranger en plein travail mais il faut maintenant répondre au questionnaire technique des hongrois qui s’énervent, fouette cocher.

    Il risquerait de mal le prendre. Et s’il est chatouilleux, il peut aller se plaindre à ses supérieurs hiérarchiques et cette chaîne de plaintes peut monter jusqu’au Roi des Rois qui, lui aussi, fume des cigares et n’a nullement besoin d’escalader les barreaux de l’échelle des pompiers pour s’imaginer sur le toit. Il l’est déjà, sur le toit. Et il n’aime pas trop les employés comme toi qui feraient mieux de pédaler des pouces plutôt que de vouloir croiser le fer avec plus fort et plus puissant que soi.

    Sur ce, je te laisse, cher internaute, mon index droit a remporté la victoire sur le gauche, je prends ma planche de surf, il est bientôt seize heures, mon chef s’est barré et Internet m’attend.

    Tartambouille


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  • Quand elle fut en âge, elle reçut de sa mère une valise et un billet. Un train l’emporta jusqu’à la ville. Peut-être y débarqua-t-elle trop tôt ou peut-être n’avait-elle pas pris le bon train, toujours est-il qu’à l’arrivée personne ne l’attendait. Longtemps, elle caressa l’espoir de refaire le chemin en sens inverse et de retrouver les mers de son enfance. Loin des siens, elle ne se sentit pas autorisée à braver les obstacles pas plus que de conjurer le mauvais sort. Ses années de jeunesse se liquéfièrent à l’intérieur des murs brûlants d’une cité blanche sans jamais pouvoir entrer dans l’existence d’autres personnes, sans jamais se laisser prendre par un regard, une odeur de peau ni même une parole douce. Perdue dans le souvenir d’une vie rêvée, elle laissa filer les années mûres sans un murmure, sans un seul tremblement pour le monde autour. Jusqu’à presque faire disparaître de sa vue la lumière des matins et des soirs.

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  • Une chronique à la petite semaine de quelques judicieuses fabriques de littérature.

    A cliquer dans les Aiguillages :

     

    Sur Mot Compte Double

    30 mars : bienheureux qui comme Etienne a fait un beau voyage d’amour… La carte postale est signée Ernest J. Brooms et c’est beau comme un échange nord sud…

    3 avril : début d’un séminaire édifiant animé par la maîtresse de maison.

    Chez Stéphane Laurent

    Stéphane aurait mauvais esprit. Certains vous diront que ses sautes d’humeur sont universellement reconnues et d’autres qu’elles mériteraient d’être davantage promues…

    Chez la Scribouillarde

    Entre deux aventures littéraires, Danielle Akakpo est capable de sérieux coups de gueule…

    Chez Georges Flipo

    Ce cher Georges s’ennuyait sur son île. Un vendredi, il est allé planquer une partie de ses trésors sur l’archipel de Blogcity. De nombreux auteurs ont été pris de vertiges en apprenant la nouvelle.

    Dans l’Antre-Lire

    Marie Catherine Daniel vous invite à son BAL (Blog de l’Antre Lire) L’occasion de faire de nouvelles rencontres côté plume sans porter forcément le masque.

    Du côté d’Histoires d’écrire

    Certes, Corinne Jeanson a sa table réservée au café, cela ne l’empêche pas d’inviter chez elle les amateurs de musique, poésie et nouvelles...

    Chez Magali Duru

    Lectures, rencontres, plumes d’ailleurs, coups de cœur ou de blues, avec Magali, son enthousiasme et sa générosité, c’est presque tous les jours dimanche…

    Sur Quelques propos sur l’invisible

    Frédéric Boudet est à nouveau lisible via son blog ; serait-ce le signe d’une prochaine publication ?

     


    La dépêche expéditive de chez Reuters

    Le temps c’est de l’argent. Si vous l’aviez oublié, les Suisses, grands ordonnateurs du temps, se chargent toujours de remettre les pendules à l’heure. Pour ne pas être en retard sur l’époque, les horlogers qui pointent au firmament de l’ère moderne ont sondé les grands actionnaires de la planète pour connaître leur représentation du luxe ultime. Résultat : 80% ont répondu " le temps ". Maîtriser le temps tout en échappant à sa durée voilà le pari qu’on fait en retour ces artificiers en mettant sur le marché une montre " extravagante " qui ne donne pas l’heure mais qui, pour la bagatelle de 300 000 dollars, vous apprend s’il fait jour ou nuit. Très tendance pour le règlement des heures supplémentaires.

     


    Ces drôles de requêtes enregistrées sur la route Google / Calipso

    Quel risque encourt-on à se croiser les doigts au bureau ?

    Comment trouver gratuitement un discours pour la remise des Palmes Académiques ?

    Cherche personne pour faire tapisserie. (dans un salon ?)


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    Il arrive que Corinne Jeanson vienne au café passer une partie de la nuit. Elle en profite pour effleurer quelques souvenirs et nous faire partager quelques belles pages avant de nous dire bonsoir…

     


    Yvonne,
    Pourquoi m'as-tu adressé toutes ces lettres ? Tu as attendu trop longtemps. Depuis ton départ je me suis grisé à tant d'autres vies, à tant de goulots, aux enfers aussi. Le temps a passé. Il fallait bien passer le temps, ce faux guérisseur. Rompre les espaces éternels. Comment pourrais-je aujourd'hui écouter tes lettres ? Entendre le bruit froissé de leur papier entre mes doigts qui tremblent. Ecoute mon cœur, il se brise, il est en verre blanc. Ne me donne plus à lire tes lettres, elles me font trop mal aux yeux, aux joues, à la bouche, aux tripes, aux genoux, mes pieds fuient sur le sol qui se dérobe. Cette dernière rue où nous avons marché main dans la main, ce dernier matin où nous avons perdu notre langage. Oh Yvonne, qu'avons-nous fait de nos vies l'un sans l'autre ? Le jardin est dévasté, tu ne le reconnaîtrais plus. Tes lettres me sont venues trop tard. Et je suppose que tu ne m'en écriras plus maintenant, trop d'étoiles ont cessé de briller depuis ton départ. Dis-moi. Ma voix s'est éteinte. Je t'ai perdue, mon âme est perdue. J'ai peur.
    Ton vieil époux, Geoffrey

    Ps. Je prie pour que tu reviennes, ne serait-ce qu'un jour...


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    Lecture éclairée, expliquée, commentée, interprétée, incarnée, c’est tout cela à la fois que nous conte Jean-Paul Lamy avec ce poétique retour en classe de français pour " Au cœur de… "

     

     

    Déjà !

    L’un des événements les plus marquants, les plus déterminants de la vie de Baudelaire fut sans doute certain long voyage à bord du " Paquebot des Mers du Sud ".. Nous savons que sa poésie s’en trouva imprégnée de parfums, de sons, de couleurs exotiques. Quand on dit " sa poésie ", on oublie parfois un peu " les Petits poèmes en prose ", cette tentative d’écrire une prose libérée de la dictature de la rime et du mètre mais qui, par ses rythmes, ses images, ses sonorités, ses thèmes évoque irrésistiblement la poésie, est de la poésie.

    En je ne saurais plus trop dire quelle année, alors, disons, il y a trente-cinq ans de cela et nous ne serons pas très loin de la vérité, j’enseignais le français dans une oasis du Sud algérien, une île, verte de milliers de palmiers, cernée de tous côtés par des vagues de sable blond. Trente-cinq ans, pensez donc : c’était au siècle dernier, bien avant qu’internet ne vînt rétrécir le monde en le prenant dans ses filets, c’était la Préhistoire, en somme…

    " Quel rapport avec Baudelaire ? ", me demandera-t-on. J’y viens.

    J’enseignais donc au lycée de cette oasis… Un jour, établissant, pour les semaines à venir, un programme de ce que l’on ne doit plus, aujourd’hui, appeler " lecture expliquée ", j’arrêtai mon choix sur un poème en prose de Baudelaire : " Déjà ! " " Cent fois, déjà, le soleil avait jailli, radieux ou attristé, de cette cuve immense de la mer dont les bords ne se laissent qu’à peine apercevoir ; cent fois, il s’était replongé, étincelant ou morose, dans son immense bain du soir… " Et Baudelaire, évoquant ce long voyage en bateau, développe… déjà un thème qui lui est cher : la solitude du poète, la bassesse des autres passagers qui se plaignent de vivre depuis si longtemps les pieds sur un sol mouvant, de toujours manger de la viande salée… Et puis, un jour, une terre est annoncée, on s’en approche, on touche au but et, quand, fuyant le navire, les passagers s’écrient " Enfin ! ", le poète, qui, lui, quitte à regret l’océan et ses beautés, soupire " Déjà ! "

    Un texte court, dense, très beau. Celui que je préfère, sans doute, parmi ces poèmes en prose…

    Lorsque je faisais étudier des poèmes, ayant le souci de proposer une lecture aussi parfaite que possible, j’avais recours, comme tout le monde, à des enregistrements de ces textes dits par tel ou tel acteur. Des fables de La Fontaine, des œuvres d’Hugo, de Verlaine, de Musset, de Rimbaud, de nombreux poèmes des " Fleurs du Mal " ont ainsi été enregistrés par les plus grands comédiens de l’époque. Mais les " Petits poèmes en prose ", je ne trouvais pas.

    J’avais un peu de temps devant moi, c’était donc jouable : je décidai de demander à un comédien d’enregistrer ce texte, rien que pour ces élèves que j’embarquerais avec moi dans l’analyse de cette belle page. J’écrivis une lettre que j’adressai à un grand hebdomadaire en lui demandant de faire suivre.

    En racontant ce souvenir, je voudrais rendre hommage à un artiste aujourd’hui disparu : Jean-Louis Barrault.

    Oui, car il me répondit et sa lettre était accompagnée d’une bande magnétique que j’écoutai avec ravissement. Il avait certes enregistré le texte mais, l’ayant fait au cours des tout premiers jours de janvier, il commençait par présenter ses vœux aux élèves… Et puis, il se lançait dans une comparaison entre la solitude du poète et celle du comédien - un parallèle auquel, pour ma part, je n’aurais pas songé - et il citait d’autres textes que Baudelaire avaient écrits sur ce thème, ajoutant que ce qui était dit là pouvait aussi bien concerner l’un que l’autre. Enfin, il nous confiait que certains de ces mots du poète mériteraient d’être gravés, un jour, sur la tombe d’un comédien… (A-t-on gravé des mots – ces mots – sur ce que l’on appelle pudiquement " sa dernière demeure " ? Je ne saurais le dire…)

    " Quand pourrons-nous manger de la viande qui ne soit pas salée comme l’élément infâme qui nous porte ? "  demandent les passagers du paquebot. Il y avait, dans la façon qu’avait le comédien de prononcer le mot " viande " tout à la fois le dégoût qu’inspirait la nourriture servie à bord et l’envie de la chair fraîche sur laquelle on se jetterait aussitôt débarqué.

    " Ils auraient, je crois, mangé de l’herbe avec plus d’enthousiasme que les bêtes. "  Jean-Louis Barrault mettait un tel mépris dans ces mots qu’il était impossible de ne pas imaginer l’isolement du poète au milieu de voyageurs aux préoccupations aussi triviales.

    A la fin de l’heure de cours, je réalisai que le comédien n’avait pas seulement magnifiquement lu un beau texte, il avait, par son analyse personnelle et par ses confidences, prolongé cette lecture (et… fait une partie de mon travail !). Il avait aussi, par sa présence presque physique, dans une classe de ce lycée construit à la sortie de la ville et dont les fenêtres s’ouvraient sur l’univers minéral du désert, montré que la littérature n’était pas uniquement le fait de cadavres enfermés entre les pages des livres, mais qu’ayant été vie, elle ne cessait jamais de l’être.
                                                                                                                Jean-Paul Lamy


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  • Elle était sur le point de lui dire que c’était vrai, qu’elle se réjouissait de ne plus être une enfant, qu’elle gardait un souvenir lumineux de la nuit passée avec son amie, qu’elle se délectait de cette soif d’absolu qui les avait unies et qu’elle n’existait plus que par ce désir pressant d’être grande comme le ciel et fraîche comme la pluie d’été.

    Et puis le train démarra. Brutalement. Collée à la fenêtre du compartiment, elle se sentait aspirée dans un monde énigmatique, avec d’un côté sa fantastique expansion et de l’autre son inexorable rétrécissement. En coupant les ponts, elle s’éclipsait pour une échappée lointaine et incertaine mais elle voulait croire que sa révolte resterait insaisissable et que, malgré sa puissance, son père ne la rattraperait jamais.


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