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    Carte postale ou photo dédicacée...
    à vous de voir pour les affiches de la rentrée…


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    Merci et bonne chance aux 112 participants. Rendez-vous en septembre pour les premières impressions...


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    Je vous écris d’un lieu sans nom

    Ici tout part absolument de travers

    Les rues autrefois si animées s’engluent dans la poisse et s'affaiblissent de jour en jour

    Les édifices respirent de plus en plus mal

    Certains ont perdu de leur superbe et s’agrippent tant bien que mal à l’Histoire

    Parfois quelques chuchotements surgissent de l’effondrement

    Mais des caméras jaillissent et trompent l’œil imprudent

    Il n’y a plus aucun endroit explicite où s’asseoir

    Implacable pesanteur de la vie au point mort

    La ville est en état d’arrestation

    Et se doit de garder le silence


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    Le café n’existe pas vraiment et pourtant on y vient pour de vrai. Les serveurs - pardon les auteurs -sont les témoins de sa permanence ; messagers mystérieux, ils nous entraînent pour de vrai dans le jeu de la fiction. Ils ne viennent pas seulement des environs ni même des quatre points cardinaux puisque les frontières ont depuis longtemps été renversées au nom de la libre circulation des idées. Ils sont ici et là, et c'est tant mieux pour tous.

    Le café présente un mélange subtil de textes où les auteurs se saluent avec des mots odorants, juteux, tendres et caressants, des mots parfois entachés de tristesse, pris dans les tourments de la vie, des mots du dimanche aussi, de ceux qui accompagnent les promenades, dispersent les soucis et invitent à partager des choses…

    Certains choisissent un propos discret, proche de l’effleurement, d’autres un récit tragique, un pèlerinage douloureux, une conversation entretenue d’un rêve à l’autre, d’autres encore embrassent le côté épicurien distillant avec passion de délicieuses et trompeuses liqueurs, et puis il y a ceux qui sont de toutes les expéditions romanesques pour peu que le courant passe, pour peu que le plaisir ou le réconfort soient au rendez-vous. Alors c’est peut-être bien parce que la soirée au café leur appartient pour de vrai que les uns et les autres se laissent doucement aller à un peu d’ivresse…

    Seulement voilà, du 20 juillet au 12 août le café sera au repos et les auteurs par monts et par vaux ; mais plutôt que de se dire chaque jour non, aujourd’hui encore il n’y a rien au menu, nous vous proposons chers lecteurs de demeurer hors du temps de l’absence pour à votre tour prendre la plume et adresser d’où vous serez une carte postale aux auteurs qui vous manquent. (Calipso 35 rue du Rocher 38120 Le Fontanil).  Publiées dès la reprise du service, elles viendront enrichir la carte aux trésors.

    Merci à Danielle Akakpo, Désirée Boillot, Monique Coudert, Ernest J. Brooms, Magali Duru, Patrick Essel, Régine Garcia, Françoise Guérin, Marie-Thérèse Jacquet, Corinne Jeanson, Stéphane Laurent, Philippe Leroyer, Gilbert Marquès, Dominique Mitton, Marielle Taillandier, Jean-Claude Touray…


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    Bientôt l’été, disions-nous. Force est de constater qu’il nous faut bien ouvrir les yeux sur autre chose que le ciel et ses mouvements d’humeur pour imaginer les étoiles. En général l’été permet d’embellir les jours et les nuits, d’avancer dans l’ombre et de flotter dans la lumière, de mélanger presque toutes les déclinaisons de la langue, d’étouffer les distorsions du temps, de franchir les précipices, de supporter en quelque sorte les écarts, les errements et les manquements, fussent-ils de l’ordre de la fiction. Ce n’est que beaucoup plus tard, une fois revenu dans l’évidence du monde, que l’on se surprend à goûter aux fruits de ces étés-là.

     

    Navion

    par Françoise Guérin

     

    C’était une drôle de colonie. Elle accueillait, pour le mois d’août, cinquante pensionnaires que les habitants de ce petit village des Alpes regardaient plutôt d’un sale œil. Cinquante adultes handicapés mentaux qui venaient se rincer les poumons à la montagne et oublier, pour un temps, l’institution hospitalière. Cinquante pensionnaires et quinze jeunes animateurs plus ou moins formés, plus ou moins ahuris devant les frasques de ces colons pas ordinaires.

    Non loin de là, un petit aérodrome tendait ses pistes minuscules à des avions de pacotille. Plusieurs fois par jour, les appareils survolaient le centre. Tout le monde levait le nez et Christian se mettait à courir, le doigt pointé vers le ciel, en criant : " Navion ! Navion ! " Il le suivait un instant puis revenait vers moi, tout excité, pour me prendre à témoin de l’ineffable. Christian ne parlait pas, ou si peu. Mais il gesticulait, poussait des cris de gosse et dansait d’un pied sur l’autre. C’était un petit homme chauve aux yeux ronds et à la bouche béante. Un animateur bizarrement inspiré l’avait comparé au " schtroumpf timide " et c’est vrai qu’il semblait tout droit sorti d’une bande dessinée belge. Il m’avait choisie comme animatrice, le premier jour et, depuis, ne me quittait plus d’une semelle. Quand il voulait quelque chose, il prenait mon bras et le pointait vers l’objet de son désir en se tortillant, les joues rouges.

    Donc, plusieurs fois par jour, Christian courait après les avions, avec une joie de môme bruyante et sauvage. Je le contemplais, rêveuse, et lorsqu’il revenait vers moi, les yeux pleins d’étoiles, je lui souriais.

    – Oui, Christian, tu as vu un avion. Tu es content…

    Il se tortillait et saisissait mon bras pour se rassurer face à ce déferlement d’émotions incontrôlables.

    Vint le jour où une randonnée nous conduisit jusqu’au petit aérodrome. Nous en franchîmes les grilles et un pilote nous fit faire le tour du propriétaire. Oh, l’expression, sur le visage de Christian ! Sans lâcher mon bras, il examina la carlingue d’un petit coucou, caressa les hélices et colla son nez contre un hublot. Amusé, le pilote l’autorisa à s’installer aux commandes. Bien sûr, nous eûmes un peu de mal à faire redescendre sur le tarmac ce grand gosse émerveillé, dans sa peau d’adulte mal taillée. Et il ne mit pas longtemps à se faire comprendre. Saisissant mon bras, il le pointa vers l’avion, puis vers le ciel, avant de s’entortiller sur lui-même, écarlate.

    – Si vous voulez, dit le pilote attendri, je vous fais un prix d’ami pour un baptême de l’air.

    Je crus qu’il allait falloir ranimer Christian.

    Le soir même, lors de la réunion d’animateurs, il fut décidé que tous les pensionnaires auraient droit au baptême de l’air. Une folie douce dont il fallut négocier le financement en haut lieu.

    Le jour dit, les uns après les autres, les pensionnaires grimpèrent dans l’avion, accompagnés d’un animateur. Agrippé à mon bras, à l’ombre d’un hangar, Christian observait les rotations de l’appareil. Les passagers en redescendaient, tantôt ivres, tantôt hilares, tantôt crispés. Il était bien pâle, mon schtroumpf timide, et plus du tout enthousiaste. Il laissa passer tout le monde et lorsqu’il ne resta plus que lui, le pilote vint, en personne, le chercher. Il secoua la tête, paniqué. J’hésitai puis le saisis par l’épaule.

    – Viens, Christian. Je reste avec toi.

    Il tremblait. Le pilote semblait inquiet.

    – Il va se tenir tranquille ?

    Christian prit place à l’arrière et s’empara de ma main. Lorsque l’avion se mit à rouler, il poussa un long gémissement.

    – Je suis là.

    Je n’en menais pas large. Il n’avait pas l’air très solide, ce petit avion de rien du tout. En revanche, je savais qu’en cas d’agitation, Christian pouvait devenir incontrôlable.

    L’avion prit de la vitesse, je surpris un regard du pilote.

    – Ça va aller ?

    Puis lorsque l’appareil quitta le sol, je sentis les ongles de Christian s’enfoncer dans la chair de mes mains. Il s’était replié sur lui-même, les yeux clos, la respiration rapide.

    Je ne vis rien des Alpes, des pâturages et du glacier que le pilote nous fit survoler. J’avais, tout près de moi, un être fragile, exsangue, entre joie et terreur. Durant le vol, Christian n’ouvrit jamais les yeux. Cramponné à mes mains, il souriait de peur.

    L’atterrissage se fit en douceur. Avec précaution, Christian ouvrit les yeux et murmura " Navion ". C’était tout, il n’y avait rien d’autre à dire. Ah si, un détail : c’était aussi mon baptême de l’air.



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    Le Cercle Maux d’Auteurs est une association loi 1901 qui a pour but de susciter des échanges entre passionnés d’écriture et d’apporter aide et conseil à ses adhérents auteurs amateurs. Son comité de lecture assure la correction orthographique et le commentaire critique des textes qui lui sont soumis et qui sont ensuite mis en ligne sur le site. http://www.mauxdauteurs.com  
    Le Cercle dispose également d’un forum très animé, qui entretient des liens cordiaux et fructueux avec de nombreux autres forums ou blogs.

    Danielle Akakpo assume la présidence du Cercle depuis avril 2006 et l’administration du forum depuis… pas mal de temps.

    À titre personnel, c’est ma rencontre, tout à fait fortuite, avec le Cercle fin 2002 qui a réveillé puis boosté mon goût pour l’écriture à laquelle je me consacre en même temps qu’à la musique – les deux vont très bien ensemble – depuis que l’éducation nationale m’a rendu ma liberté. J’ai une prédilection pour le texte court, la parodie et la nouvelle.

    En 2006, j’ai publié un recueil de nouvelles, Elles et Eux aux éditions Écriture et Partage et un roman en co-écriture avec Jean-Noël Lewandowski Un Homme de Trôo, aux éditions Pietra Liuzzo

    On peut retrouver l’auteur sur : http://danielle.nipox.com

     

    Le " sent-bon " 

    par Danielle Akakpo

     

    Ce dimanche-là, il y a juste quinze jours, le repas de famille s’achevait dans une douce torpeur. L’envie me prit de me dégourdir les jambes, et je commençai à errer dans la vaste salle à manger, emportant avec moi l’odeur entêtante du café qui fumait encore dans quelques tasses. Je ne bois pas de café, ce qui ne m’empêche pas de humer avec délice l’arôme corsé du pur arabica.

    Les enfants babillaient dans un coin. Je déposai un baiser sur la joue du bébé, Chloé, et une douce senteur fruitée, moitié pomme moitié abricot me titilla les narines : son menton, son bavoir portaient les restes du petit pot de compote qu’elle venait de déguster. Son frère Gérald réclama aussi un bisou : je flairai la vanille, mais non, il embaumait la mousse au chocolat noir qui dégoulinait de ses lèvres goulues et de ses mains poisseuses. Sa mère l’emmena pour le laver, il me fallut porter ailleurs ma truffe gourmande.

    J’approchai de la fenêtre près de laquelle mon jeune frère tirait de larges bouffées de sa pipe de bruyère. J’allumai une Royale et les fragrances de mon tabac blond vinrent s’ajouter à celles de son tabac hollandais. Nos spirales de fumée fleurant bon le caramel et le foin séché s’entremêlèrent dans une odorante complicité, rappelant celle si affectueuse, parfumée aux bonbons et jus de fruits, aux premières cigarettes dégustées en cachette, qui unissait nos fredaines, nos rires d’enfants et d’adolescents.

    La tante Eugénie n’était pas très loin. Vieille campagnarde qui consent à se doucher et à changer de linge une fois tous les quinze jours, elle dégage en permanence un relent de moisi très caractéristique. Moi qui déteste le fromage, c’est ce remugle de bleu, de roquefort ou autre horreur de ce genre qui m’alerte en général sur sa présence. Je dus fuir à nouveau.

    La cousine Daisy s’éventait sur le canapé, agitant ses innombrables carats de bijoux étincelants. Assise à côté d’elle un court instant, je reçus en plein estomac les effluves écœurantes du N°5 ou 6 de chez X ou Y dont elle s’était copieusement inondée.

    La nausée me guettant, je continuai mon voyage autour de la pièce. L’oncle Michel somnolait sur sa chaise. À le voir rose et grassouillet comme un cochon de lait, ce fut un fumet de saucisses, ou plutôt une bonne grosse odeur campagnarde de cassoulet toulousain qui me souleva le cœur, non que je déteste le cassoulet, mais nous avions suffisamment ripaillé ce jour-là..

    Où reposer mon appendice nasal si réceptif en ce jour de fête ? Grand-mère ! J’avais oublié la chère vieille dame, si paisible dans son fauteuil, les mains croisées sur les genoux, grand-mère et son teint de rose, ses cheveux de neige qui ne connaissaient ni laque ni teinture.

    Bonheur ! Une suave senteur s’exhalait de toute sa personne, évoquant les fleurs des prés, le linge séché à l’air pur, et donnant envie de respirer à pleins poumons. J’avais oublié la seule coquetterie de grand-mère : son fin mouchoir de dentelle aspergé de quelques gouttes de la bonne vieille eau de Cologne qui lui servait à parfaire sa toilette quotidienne. Grand-mère : je fermai les yeux, je te dégustai, j’aspirai de grandes bouffées de ton parfum si sain – ton " sent-bon " disions-nous quand nous étions enfants – qui lava mes narines, mon cerveau des miasmes ambiants.

    Précieux souvenir, s'il en est, puisque ce matin, grand-mère, teint de lis et cheveux de neige, vient de s’endormir pour toujours, sourire aux lèvres, mains serrées sur sa pochette parfumée. 


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    L’ébéniste

    par Monique Coudert

     

     

    J’ai accompagné Maman chez l’ébéniste, pour m’occuper pendant les vacances. Imaginez une pièce circulaire avec des outils en désordre sur les établis contre les murs d'un atelier. Des gouges, des pinces à bois, des rabots... Il y a des copeaux sur le sol et comme une poussière blonde voletant dans l'air. Il flotte dans l’atelier une odeur que je n’ai jamais sentie de toute ma vie. La lumière vient chichement d’une petite fenêtre pleine de toiles d’araignées. Une grande cheminée laisse aussi passer quelques rayons. Nous sommes entrées par la porte étroite, Maman et moi. Peu à peu nos yeux se sont habitués à la pénombre. Je fais le tour de la pièce en passant un doigt sur les planches poussiéreuses qui servent d'étagères. Je tripote les outils avec ravissement.

    Maman est venue demander la réparation du coffre de fiançailles de ma grand-mère. Je ne tourne même pas la tête. Je la connais l'histoire du coffre : son bois précieux, les initiales gravés par mon grand-père, un cœur et des roses sur le couvercle. Soudain j'entend un rire d'homme. Je me retourne vers ce rire et je n'en crois pas mes yeux : il y a un lit au milieu de la pièce ! Je ne m’en étais même pas aperçue, occupée par tous ces outils qui me fascinaient. Et dans ce lit, je distingue un homme appuyé à de gros oreillers, avec un tablier de cuir et une chemise à manches larges. En m'approchant, je distingue des petites taches brunes sur sa chemise. Du sang ? De la teinture de bois ? Je suis fascinée par les petites taches sur la toile grise et pour mieux les voir, je m'approche de l'homme couché. Il a un visage rougeaud, des yeux vifs comme des paillettes et une grosse barbe de poils gris et roux mélangés. Il a une belle voix, mais je n’aime pas sa méchante façon de rire. J’ai pourtant pitié de lui. Ce menuisier est handicapé. Oh, le pauvre homme... Le lit. La poussière... mais comment fait-il pour travailler ? Il doit avoir un apprenti qui va lui chercher le bois et les outils. Il doit sculpter du fond de son lit. Comme ça doit être difficile ! J’imagine son calvaire...

    Je suis si pleine de pitié que j’ai la tentation de lui passer les bras autour du cou. Il ressemble à Saint Joseph. Je voudrais bien rendre cet homme moins malheureux. Je voudrais caler ma tête au creux de son épaule et sentir sous ma joue la lanière du tablier de cuir. Je ne le fais pas, bien sûr. Mais je le contemple. Ca pourrait durer des siècles. Mais il ne rit plus, il tourne la tête vers la fenêtre. Moi aussi. Je veux voir ce qu'il regarde.

    C'est maman qu'il regarde.

    Elle est debout sous la fenêtre. Les rayons du soleil auréolent son profil comme sur une gravure. La mousse de ses cheveux frise sur la nuque. Elle a les mains jointes sur le ventre. Elle ressemble à une statue, comme la vierge Marie qu’on voit dans les églises.

    Mais Marie c'est moi. C’est mon nom. Une colère terrible monte en moi. J’ai envie soudain de frapper cet homme qui ne s'en rend pas compte tant il fixe maman. J’ai soudain envie de pleurer. Jamais personne ne fait attention à moi. J’en ai gros sur le cœur. Je sors de l'atelier et m'assied sur les marches. Je crois avoir attendu très longtemps. Puis à bout de patience je suis rentrée toute seule à la maison. Je voulais tout raconter à papa. Mais quand je l’ai vu penché sur les livres de compte à la graineterie, je n’ai rien dit. Je me suis enfermée dans ma chambre où j'ai dansé comme une folle devant le grand miroir jusqu'à tomber d'épuisement.

    Quand je suis descendue pour le dîner, maman chantonnait doucement en remplissant les assiettes. Elle m’a fait un petit sourire complice et a repris sa chanson comme si de rien n’était. Je me suis assise à ma place et j’ai mangé ma soupe sans dire un mot.

    Le coffre n’a jamais été réparé.

     


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    Le café reçoit aujourd’hui : " Récits de Vie "

    Une association à but non lucratif (loi 1901), dont la vocation est de favoriser l’écriture autobiographique, ainsi que celle se rapportant au genre biographique. Elle accueille dans sa revue les textes de ses membres actifs : récits d’enfance, de voyages, chroniques, portraits de famille, témoignages sur des épisodes de vie ou des événements vécus, extraits de mémoires, de journaux intimes, correspondances, poèmes intimes... Les membres actifs participent à la rédaction de "Plaisir d'écrire" (50 numéros publiés), et les membres bienfaiteurs soutiennent cette revue en s'y abonnant.

    Site à visiter : http://assoc.wanadoo.fr/recitsdevie

    Et pour accompagner cette visite, un récit proposé par une animatrice de cette association.

     

    Mise en bière

    par Marielle Taillandier

     

    C’était comme un rituel. Une heure après le petit déjeuner, il s’isolait dans la cuisine pour préparer le premier sacrifice avec soin. La table nettoyée et rangée et la toile cirée à carreaux tirée aux quatre angles, il allait chercher dans le frigo la première victime. Encore toute fraîche, couchée à côté de ses congénères, il la tirait délicatement par le col et la prenait à pleine main, d’une seule main, la droite. Fasciné, il se mettait à la caresser avec indécence, suivant de ses gros doigts tremblants les courbes devenues féminines de la petite bouteille. De l’index il essuyait avec tendresse les perles de condensation tandis que le pouce massait la base large crissant sous sa pression. Il revenait ensuite s’asseoir à la table et, la porte de la cuisine fermée, la première dégustation pouvait commencer. Il l’observait encore, restait quelques instants à la faire tourner dans la main face à la lumière puis dégoupillait la capsule qui sautait d’un bruit sec sur le carrelage.

    Alors seulement, tandis que le petit corps de verre se réchauffait et que la buée transformée en sueur lui collait dans la paume, il portait le goulot aux lèvres et commençait à téter.

    C’était sa copine, sa maîtresse, sa gueuze. Dans un rire gras de fumeur, il prononçait ce dernier mot avec un accent chtimi exagéré, dégageant un sourire approximatif et une haleine piquée à la bière. La première gorgée coulait dans l’œsophage et les autres suivaient, à intervalles réguliers, glissant sur la pomme d’Adam proéminente qui accomplissait sa tâche de déglutition avec application. Aussi loin que je me souvienne, je ne l’ai jamais vu boire autre chose.

    La bouteille vidée et lui momentanément repu, il la reposait avec précaution sur la table, se passait la main sur les lèvres qu’il nettoyait d’un coup de langue discret. Commençait alors la courte trêve avant le sacrifice suivant. Les canettes défilaient ainsi une à une jusqu’au soir, rythmant ses humeurs, ses rires et ses coups de gueule selon qu’il avait le vin gai ou agressif. Et quand on en était aux coups de gueule, la main caressante sur la bouteille se faisait lourde sur les joues et les têtes de ses gosses qu’elle manquait de dévisser. Pour des broutilles. Ses gosses…habillés de vêtements trop étriqués ou trop larges que les aînés repassaient aux cadets, et les sœurs ressemblant aux frères dont elles héritaient, sinon les tenues, du moins le caractère ; cent fois ils eurent honte de sortir de chez eux, cent fois nous avons entendu les railleries des autres mômes, impitoyables. Aux repas non plus ils n’étaient pas à la fête. Dans le silence pesant que le père faisait régner, on n’entendait que le cliquetis timide des fourchettes dans les assiettes qu’ils vidaient plus par trouille des représailles que par appétit. Un jour, il resservit plusieurs fois à l’une des filles du chou-fleur froid qu’elle mastiquait sans pouvoir l’avaler, le cœur au bord des lèvres. La main du père s’abattit sur sa nuque, provoquant un spasme qui lui coupa le souffle. Les coups pour les gosses, les caresses pour la bouteille.

    L’après-midi c’était la sacro sainte sieste qui interrompait le rituel de la bière, pour cuver. Au réveil, le sang un peu rafraîchi mais la tête alourdie d’une bonne dizaine de gueuzes, il en vidait une nouvelle accompagnée d’une Gauloise sans filtre, qu’il prenait cette fois dans le salon face à nous, affalé dans le meilleur fauteuil. Acteur d’une mauvaise pièce jouée cent fois avec les mêmes tirades sarcastiques sur les buveurs de flotte. La tête en arrière, le cou tendu, la main gauche tremblotante pendue dans le vide et l’autre tenant fermement sa douce amante, il fermait les yeux de bonheur dans une ivresse que nous ne pouvions pas partager.

    " Jacques est fatigué, nous rentrons dimanche ". Un tour de Corse à vélo épuisant avait vidé ses dernières forces et lui avait révélé le mal qui le rongeait sans qu’il s’en doutât. Il était inopérable. Bouffé par le crabe de haut en bas, foie, estomac, poumons jusqu’au cerveau tapissé de métastases. Commença alors la lente descente aux enfers entre fringales inhabituelles de gâteaux et coups de tête contre le mur pour faire cesser la douleur. La bière fut remplacée par des perfusions de morphine. L’ivresse devint torpeur et la sieste, un long sommeil artificiel où la nuit prit le pas sur le jour.
    Il finit dans un hoquet, le cœur au bord des lèvres… Ses gosses, qu’il avait fini par réclamer dans de rares éclairs de lucidité, ne sont jamais venus le voir à l’hôpital.

     


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    Quelque chose de pourri au royaume d'Angleterre de Robin Cook aux Editions Rivages/noir, 394 pages, 9€

    Du passé faisons table rase et que l’avenir soit à jamais banni, tel semble être le mot d’ordre récurrent de ce roman d’une autre époque (1970) où un homme, journaliste non aligné, tente d’échapper au rouleau compresseur d’une société devenue totalitaire.

    Un homme décidé, mordant, résistant, un homme amoureux, sincère, protecteur et fidèle, un homme instruit des choses du monde, animé par le désir de le parcourir, de regarder, écouter, comprendre. Un homme pris aussi par la nécessité de se mettre à l’abri de ses dérives et qui entreprend de s’installer pacifiquement dans un ailleurs où l’espace ne serait plus consacré qu’aux vertus de l’amour, du travail, de l’amitié et d’une révolte mesurée.

    Mais sous le soleil aveuglant de l’Italie où il s’est réfugié, les jours heureux comptent pour rien, la détermination ne suffit pas et les bonnes résolutions volent en éclats quand les limiers de l’ordre nouveau viennent frapper à sa porte pour lui faire payer au prix fort ses engagements passés. L’être humain se transforme dans l’adversité mais plongé au cœur de la machine destructrice, celui-ci ne ferraillera bientôt plus qu’à tâtons, perdu dans l'obscurité d’une humanité déchue. Seule subsistera un temps la rage qu’engendre la dépossession et la volonté de survivre remplacera peu à peu l’exigence de liberté.

    Au fil des pages on peut faire l’inventaire des règles qui fondent cet ordre absolu : division en classes, suppression des droits fondamentaux, médias sous tutelle, recours à la délation, milices omnipotentes, camps d’internements, élimination rationnelle des récalcitrants, déportation des étrangers...

    Une anticipation qui fait froid dans le dos tant on peut en éprouver la banalisation dans le monde actuel et constater la mise en œuvre ça et là de tout ou partie de ces conceptions. Un roman éprouvant, parfois insoutenable, mais qui entraîne forcément le lecteur à approfondir la façon dont il se débrouille avec ces affaires-là … avant de s’abandonner au sommeil.


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